S’aimer… de chaque côté d’une frontière fermée
Lorsque le grand confinement est arrivé, en mars, Ellie Safari, de Windsor, en Ontario, et son petit ami américain, James Darden, de Detroit, juste en face, ont dû faire face à un dilemme déchirant.
James travaillait dans un casino à Detroit, où il a de la famille, y compris sa mère et sa fille âgée de 18 ans. Il faisait la navette chaque semaine entre le Canada et les ÉtatsUnis. Sa blonde Ellie travaille à Windsor, dans l’hôtellerie.
Le couple a eu deux enfants, nés au Canada, et âgés de 4 et 9 ans. Lui n’a pas la citoyenneté canadienne.
Avec la pandémie, James a finalement décidé de rester à Windsor avec Ellie et leurs deux jeunes enfants - qui ont le plus besoin de lui en ce moment: sa fille adolescente sera mieux en mesure de comprendre. Mais il ne voit quand même plus sa grande fille ni sa mère à Detroit.
La situation de ce couple met en évidence certains des défis sans précédent auxquels sont confrontés les résidents de villes frontalières, alors que les voyages non essentiels entre les deux pays sont interdits depuis deux mois.
Certains s’étaient construit une vie, une carrière ou une entreprise autour de l’idée qu’eux-mêmes, leurs proches ou leurs clients pourraient facilement et rapidement franchir cette frontière canado-américaine. Ce n’est plus possible.
«Nous considérons Detroit et sa grande région comme une extension de notre arrière-cour», explique le maire de Windsor, Drew Dilkens.
«Les habitants de Windsor passent la frontière pour aller dîner puis reviennent. Ils vont y chercher de l’essence ou de l’épicerie, magasiner, faire du sport.»
L’impact financier est aussi «assez important», admet le maire Dilkens. Les revenus de péage que la Ville récolte, en détenant la moitié du tunnel Detroit-Windsor, par exemple, ont diminué d’environ 90%. Et la Ville perd de l’argent à cause de la fermeture du casino de Windsor, où les Américains venaient profiter change. d’un avantageux taux
DES «ANGES GARDIENS» CANADIENS
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Autre défi: 1600 professionnels de la santé traversent la frontière chaque jour de Windsor-Essex pour aller prêter main-forte à Detroit, durement touchée par le coronavirus. Ces Canadiens sont considérés comme un service essentiel et peuvent encore traverser. Mais quand ils reviennent à Windsor, certains les voient comme des vecteurs potentiels de la maladie, soutient le maire. Même si cette thèse n’est pas du tout étayée par les données épidémiologiques.
Au restaurant mexicain El Nopal de Sumas, dans l’État de Washington, à trois pâtés de maisons d’Abbotsford, en Colombie-Britannique, les affaires ont chuté parce que les clients canadiens ne peuvent plus y faire un saut. Wendy Gonzalez, qui est copropriétaire du restaurant avec son mari Jose, estime que 70% du chiffre d’affaires venait de leur clientèle de la ColombieBritannique depuis leur ouverture en 1988.
«C’est vraiment difficile. J’ai dû mettre beaucoup de mes employés sur appel. C’est épouvantable ici.»
Mme Gonzalez a souvent voyagé en Colombie-Britannique, au fil des ans, pour magasiner ou visiter des amis canadiens. «On ne réalisait plus qu’il y avait une frontière - jusqu’à aujourd’hui...»
À Woodstock, au Nouveau-Brunswick, un peu à l’est du Maine, l’hygiéniste dentaire Jami Hood relate qu’elle et d’autres concitoyens faisaient souvent des sauts à Bangor pour magasiner, faire le plein d’essence ou prendre l’avion à moindres coûts son mari travaille en Caroline du Sud. Mme Hood a vu son mari pour la dernière fois début janvier et elle devait le revoir pendant la semaine de relâche en mars.
La grande pandémie a fait déraper ce projet et elle craint maintenant que sa demande de carte verte ne soit retardée et qu’elle ne puisse pas le revoir d’ici un bon bout de temps. - La Presse canadienne ■