LE CANADA COINCÉ ENTRE PÉKIN ET WASHINGTON
Jeudi, le Parlement chinois a sans surprise adopté une nouvelle loi proposée par Pékin sur la sécurité nationale à Hong Kong. Rétrocédée à la Chine en 1997, le président Xi Jinping a longtemps considéré les libertés dont jouit l’ancienne colonie britannique comme un obstacle majeur à la mise en oeuvre de son projet de réunification nationale.
À un moment où la pandémie distrait les États-Unis et les puissances européennes, Xi Jinping en a probablement conclu que c’était le moment approprié pour agir. La loi qu’il vient de faire approuver par les 3000 dévoués délégués du Parti communiste chinois (PCC) réunis à Pékin mettra fin à coup sûr au principe dit «un pays, deux modèles de gouvernance» accordé à la ville de Hong Kong depuis son retour sous domination chinoise.
La loi autorisera les «agences de sécurité nationale compétentes du gouvernement central» à établir des branches permanentes et opérationnelles à Hong Kong. Des responsables de l’Administration de la Cyberspace de la Chine, dédiée à la cybersécurité et la censure en ligne, y seront sans doute également envoyés.
En novembre, le Congrès américain adoptait une nouvelle loi («US Hong Kong Human Rights and Democracy Act»), qui exige que le Département d’État américain certifie sur une base annuelle que Hong Kong réponde aux exigences des lois américaines en ce qui concerne son statut de «pôle financier mondial» de l’Asie.
Le secrétaire d’État américain Mike Pompeo a déjà informé le Congrès des dernières évolutions à Hong Kong. La perte de ses privilèges commerciaux et financiers portera certainement un coup fatal à l’économie de Hong Kong. En imposant cette loi draconienne, les dirigeants chinois ont toutefois clairement indiqué que l’éradication de la dissidence sur leur territoire était encore plus importante que la préservation du statut privilégié de Hong Kong. L’Occident fera-t-il payer un prix fort à la Chine? Certains pensent que si les alliés des États-Unis ont souvent hésité à prendre parti dans la confrontation sino-américaine en cours, la dernière décision de la Chine rendra leur décision beaucoup plus facile.
Cette remarque concerne tout particulièrement le Canada. Jeudi, un juge de la cour suprême de la Colombie-Britannique estimait que la vice-présidente de la compagnie des télécommunications chinoise Huawei, Meng Wenzhou, était coupable des crimes que le gouvernement américain lui reprochait et qu’elle était susceptible d’extradition.
En prévision des nouvelles représailles du gouvernement chinois contre Ottawa, Guy Saint-Jacques, ambassadeur du Canada en Chine de 2012 à 2016, écrit dans The Globe and Mail: «Il est grand temps que le gouvernement canadien adopte une attitude beaucoup plus ferme à l’égard de la Chine». Saint-Jacques d’ajouter: «C’est la seule langue que parle le PCC».
La stratégie que préconise le diplomate est compréhensible. Est-elle pour autant réaliste? En février, le secrétaire américain à la défense Mark Esper prononçait un discours en Allemagne dans lequel il mettait les partenaires européens américains en garde contre la «stratégie infâme» de Pékin en vue de prendre le contrôle de technologies émergentes sensibles. Esper a alors réitéré la menace officielle américaine que toute adhésion européenne à la technologie 5G chinoise pourrait compromettre leur alliance militaire. Cependant, interrogé sur les autres options disponibles sur le marché des nouvelles
La Chine tente encore une fois de limiter les droits des citoyens de Hong Kong. - Archives technologies mobiles en comparaison avec le forfait attractif offert par Huawei, M. Esper a simplement répondu qu’il s’agissait d’une bonne question.
Depuis des années, la Chine applique une version asiatique raffinée de la «Doctrine Monroe» qui revendiquait au 19e siècle l’«Amérique aux Américains». Washington et ses alliés occidentaux n’ont toutefois pas su déceler à temps la stratégie hégémonique chinoise en Asie qui paraît aujourd’hui irréversible.
Les récentes initiatives chinoises à Hong Kong, contre les Ouïghours dans la province du Xinjinag ou sa diplomatie vis-àvis de Taïwan (qu’il menace maintenant d’annexer de force), en participent et confirment une nouvelle agressivité de la Chine. Cela dit, ses modalités de guerre contre l’Occident, inspirées de son célèbre stratège de l’Antiquité, Sun Tzu, consistent à gagner sans jamais avoir à se battre.
Ainsi en va-t-il de l’initiative des nouvelles routes de la soie chinoise lancée en 2013. Décrite par la Banque mondiale comme «un effort mené par la Chine en vue d’améliorer la connectivité et la coopération régionale à l’échelle transcontinentale grâce à des investissements à grande échelle», elle vise à ramener l’«Empire du Milieu» au centre des affaires mondiales.
L’Occident n’en propose à ce jour aucun équivalent. Des pas parfois microscopiques, mais stratégiquement significatifs, rapprochent ainsi progressivement la Chine de ses ambitions mondiales. À cet égard, la tâche essentielle d’une puissance moyenne comme le Canada consiste à éviter d’être dangereusement coincée entre une Chine affamée et une puissance américaine peu inspirée.