VIVRE AUTREMENT
NDLR: Le tourisme sera local cet été. Notre journaliste Simon Delattre vous propose donc d’embarquer dans un périple à travers la province. Il amène avec lui sa curiosité, son goût pour les rencontres et une envie de découvrir les trésors méconnus du Nouveau-Brunswick. Au milieu des bois se trouve Kedgwick, petit village peuplé de gens aux grandes idées. Hommes et femmes y parlent de retour à la terre et imaginent une économie plus solidaire, moins consumériste.
«Arrêtons les coupures!» À mon arrivée à Saint-Quentin, un panneau me rappelle à quel point l’histoire de cette jeune communauté a été marquée par les luttes: luttes pour le maintien des services et luttes contre l’épandage d’herbicides sur les terres forestières de la région.
Je débarque bientôt sur le terrain de la famille Arpin, point de départ d’excursions en canoë sur les rivières Kedgwick et Restigouche. J’y rencontre André Arpin en pleine séance de coupe de bois.
Ce personnage bien connu dans la région pour son engagement environnemental s’est lancé dans un nouveau projet: la création d’une écocommunauté. Sur un terrain dont il vient de faire l’acquisition, une dizaine de personnes ont entrepris la culture de jardins partagés.
«L’idée c’était de la terre accessible à tous ceux qui veulent s’entraider et amener les gens à vivre autrement, à partager, à devenir autonomes.»
Sur place, ils sont cinq cette journée-là, occupés à préparer des buttes en permaculture. Leur motivation commune: miser sur la force du collectif et l’envie de vivre autrement. Bientôt, on y élèvera des poules et des moutons, on y fera pousser du blé pour faire du pain.
«Le projet est ouvert à tous ceux qui veulent participer et retrouver l’instinct de se nourrir soi-même, on veut profiter du partage de capacités et de connaissances», souligne André Arpin.
Sur le terrain, une maison en rénovation servira de lieu de rencontre commun et les membres du groupe auront la possibilité d’installer leur mini-maison autonome. Raymond Piette a presque fini de bâtir la sienne!
M. Arpin et lui ont passé l’hiver à travailler sur la structure de 30 pieds de long par 12 pieds de large, au toit en forme de bateau. Ils s’attaquent désormais aux finitions intérieures. Coût de construction: moins de 10 000$.
«On dit souvent que dans n’importe quel fond de rang, il y a un patenteux. Je me suis servi du bois des forêts environnantes et de matériaux de récupération, relate fièrement Raymond Piette. Beaucoup de gens ne veulent plus d’une maison traditionnelle que tu mets 20 ans à payer.»
Formé à l’horticulture, ce citoyen d’origine belge souhaite pratiquer la déconsommation et la simplicité volontaire. Des panneaux solaires et un chauffage au bois lui garantiront une autonomie énergétique.
«Elle est assez grande pour une ou deux personnes et mieux isolée que beaucoup de maisons conventionnelles», explique-t-il.
«En faisant ça, je veux donner l’exemple, rendre les gens curieux et leur montrer qu’on peut vivre autrement dans cette société de gaspillage.»
Raymond Piette installera bientôt sa minimaison sur le terrain de la communauté d’entraide naissante. Il compte désormais finir sa vie dans le jardin et transmettre ses connaissances.
«En ce moment, je sens un dynamisme, les gens ont besoin de faire quelque chose de concret et de se reprendre en main. Ils ont raison, si du jour au lendemain les frontières ferment complètement, comment on nourrit le Nouveau-Brunswick?»
Inspiré par l’esprit d’entreprendre de son grand-père, l’un des premiers colons à s’être installé dans la région, André Arpin n’a pas perdu le goût de bâtir et de rassembler. Coopérative? Communauté de partage? Il ignore encore quelle forme prendra le projet d’autonomisation alimentaire, mais espère que des initiatives comme celle-ci participeront à une transformation de notre modèle de société.
«Avoir toujours l’idée de profit c’est triste, on n’avance pas», lance le rêveur de 62 ans. ■