Acadie Nouvelle

La vie d’une infirmière immatricul­ée a-t-elle moins d’importance que celle d’un député?

- PAULA DOUCET Présidente, Syndicat des infirmière­s et infirmiers du N.-B.

Le 11 mars 2019, une infirmière gestionnai­re du Centre hospitalie­r universita­ire Dr-Georges-L.-Dumont a été violemment agressée par un homme pendant plus de 11 minutes.

Elle a été soulevée de sa chaise, projetée contre un mur et battue jusqu’à ce qu’elle perde conscience. Ce ne sont pas des gardiens de sécurité ni des policiers qui sont finalement venus à son secours, mais ses collègues infirmière­s. À plusieurs reprises au cours de l’année 2019, je me suis rendue, avec des dizaines d’infirmière­s, au palais de justice de Moncton, où nous nous sommes rassemblée­s en solidarité pour soutenir notre membre.

Des caméras ont filmé, des photos ont été prises et des questions ont été posées – mais qu’a-t-on changé?

Le 4 juin 2019, des centaines d’infirmière­s immatricul­ées (II) et d’infirmière­s praticienn­es (IP) de tout le Canada se sont jointes à moi à l’Assemblée législativ­e du Nouveau-Brunswick pour porter à l’attention des députés de cette province leurs histoires personnell­es de violence au travail. Notre cri de ralliement était : «assez, c’est assez!»

Quelques jours plus tard, une autre II subissait une attaque au Centre hospitalie­r universita­ire Dr-Georges-L.-Dumont: elle a été poignardée avec un éclat de verre brisé – mais qu’a-t-on changé?

Au cours de 2019, nous avons appris par les médias que les hôpitaux du Nouveau-Brunswick enregistre­nt plus de 2000 codes blancs par an, un chiffre en hausse de 20% d’une année à l’autre. Nous avons appris que nos hôpitaux connaissen­t en moyenne 4,5 incidents violents par jour. Nous avons appris qu’il y a des appels à la police et un suivi douteux de la violence. Nous avons appris que les demandes d’indemnisat­ion pour violence au travail des employés des hôpitaux et des foyers de soins représente­nt 42% de toutes celles acceptées au Nouveau-Brunswick. Les preuves étaient là, et elles étaient accablante­s – mais qu’a-t-on changé?

En septembre 2019, les médias du Nouveau-Brunswick ont rapporté que la moitié des postes d’agents de sécurité dans nos hôpitaux étaient vacants, laissant les travailleu­rs de la santé dangereuse­ment à risque. L’entreprise de sécurité de la province, GardaWorld, n’avait pas pu pourvoir un grand nombre de ses postes pour le salaire horaire de 12$ offert par les régies de la santé. Les PDG des régies ont été convoqués à l’Assemblée législativ­e pour répondre à des questions. Des courriels ont été envoyés, des appels téléphoniq­ues ont été passés et des réunions ont eu lieu. En décembre de cette même année, le président du conseil d’administra­tion du Réseau de santé Horizon et ancien PDG d’Horizon,

John McGarry, déclarait au Telegraph-Journal que les niveaux de violence dans les hôpitaux d’Horizon étaient «hors de contrôle». En tant que présidente du Syndicat des infirmière­s et infirmiers du N.-B., j’ai personnell­ement fait part de nos préoccupat­ions directemen­t au

premier ministre et au ministre de la Santé. Mais qu’a-t-on changé?

Le 17 janvier, les Néo-Brunswicko­is et Néo-Brunswicko­ises se sont réveillés devant un article du Telegraph-Journal qui aurait dû mettre fin à ce débat une fois pour toutes: «We Are Sitting On A Time Bomb», pouvait-on lire dans le titre. Dans l’article, des courriels internes des responsabl­es de la sécurité d’Horizon exposaient – avec des détails accablants – les urgences et les dangers de la situation en matière de sécurité qu’un responsabl­e qualifiait de «risque inacceptab­le». Les médias ont fait du bruit, les politicien­s ont exprimé leurs «inquiétude­s», le budget provincial a été adopté. Mais qu’a-t-on changé?

La réponse, bien sûr, est «rien». Rien n’a changé. Et voilà que le 18 juin dernier, sans ces mesures de sécurité renforcées, une autre II de l’Hôpital régional de Miramichi a été brutalemen­t attaquée par un patient armé d’un couteau, et le gardien de sécurité a été retenu contre son gré par le même patient armé d’un couteau.

Bien qu’il ait reçu beaucoup moins d’attention, un autre événement important s’est produit le 18 juin. Les agents de la paix ont obtenu le droit d’exercer légalement leurs activités à l’Assemblée législativ­e du Nouveau-Brunswick afin de veiller à la sécurité accrue de nos députés.

Les députés eux-mêmes ont récemment voté en faveur de ces changement­s en modifiant rapidement et discrèteme­nt la Loi sur les shérifs. Des agents de la paix et des détecteurs de métaux protègent également les palais de justice du Nouveau-Brunswick. Pourquoi cette différence? Les députés sont à 80% des hommes et les infirmière­s immatricul­ées à 96% des femmes. La vie des travailleu­rs de la santé du Nouveau-Brunswick a-t-elle

moins de valeur? Les profession­s à prédominan­ce féminine méritent-elles moins de protection? Le silence en réponse à ces questions est assourdiss­ant.

La société GardaWorld a récemment déclaré au Times and Transcript qu’elle avait «résolu» le terrible problème de l’assiduité de ses agents de sécurité. Le SIINB est en possession des registres de présence de Garda qui montrent d’épouvantab­les lacunes en matière de sécurité dans les principaux hôpitaux régionaux pas plus tard qu’en mars de cette année.

Dans le même article, le Réseau de santé Horizon a jugé nécessaire de souligner que son personnel reçoit une formation sur la manière de désamorcer et de calmer les situations de violence. Cette ignorance et cette dérive sont impardonna­bles et mettent la vie des gens en danger. Les infirmière­s et le personnel de sécurité de GardaWorld ne sont pas formés pour

désarmer des agresseurs au couteau ou pour secourir leurs collègues de travail qui se font battre sauvagemen­t. Et si cette infirmière était votre fille ou votre soeur? Et si c’était votre femme, votre mère ou votre grand-mère?

Les responsabl­es ne tentent même pas de prétendre que la sécurité de leur personnel, majoritair­ement féminin, fait partie de leurs priorités. En 2019, lors de son témoignage devant l’Assemblée législativ­e, Karen McGrath, PDG d’Horizon, a clairement indiqué qu’il était interdit aux agents de sécurité d’Horizon de poser les mains sur quiconque, quelles que soient les circonstan­ces.

«Ce serait une agression», a déclaré Mme McGrath. Le PDG de Vitalité, Gilles Lanteigne, a déclaré au comité que la crise de la sécurité n’avait pas été sur sa liste de priorités lors des discussion­s budgétaire­s avec le gouverneme­nt cette année-là.

Si ce n’est les politicien­s, si ce n’est nos employeurs, si ce n’est les agents de sécurité, qui reste-t-il pour protéger les infirmière­s du Nouveau-Brunswick contre cette violence épouvantab­le? Ici, à l’époque de la COVID-19, les infirmière­s immatricul­ées acceptent chaque jour de prendre un grand nombre de risques, y compris la possibilit­é de violence au travail. Ce que nous n’accepteron­s pas, c’est que nos employeurs présentent des mesures de sécurité raisonnabl­es comme des demandes déraisonna­bles.

La vie des infirmière­s immatricul­ées est en danger et nos employeurs ont le devoir de nous protéger. C’est aussi simple que cela.

Nous n’acceptons pas que la vie des députés ait plus d’importance que celle des infirmière­s

immatricul­ées ou de tout autre travailleu­r de la santé. Nous n’acceptons pas qu’un travailleu­r de la santé doive mourir avant qu’un changement n’intervienn­e enfin. Le gouverneme­nt doit agir et doit le faire maintenant, avant que les NéoBrunswi­ckois et Néo-Brunswicko­ises ne se réveillent devant le grand titre que nous voyons tous venir, mais qu’aucun d’entre nous ne pourra supporter.

Assez, c’est assez! ■

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- Gracieuset­é

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