LINA LARBES RACONTE SON AVENTURE IMMIGRER EN PLEINE PANDÉMIE
La nouvelle arrivante algérienne Lina Larbes raconte s’être préparée à son immigration, notamment psychologiquement. La trentenaire ne pouvait toutefois pas prévoir la pandémie de COVID-19, qui a frappé juste avant son départ.
«C’était un moment très stressant, raconte-t-elle à propos de son couple. On avait vendu notre appartement, nos meubles et là, le couperet est tombé: tous les aéroports ont fermé.»
Les deux habitants d’Alger se disent cependant que leur envol vers le Canada et ses libertés, c’est maintenant ou jamais. Leur visa de résidence permanente en poche, ils achètent un billet pour un avion de rapatriement au prix de 2500 euros. Puis ils partent, avec une seule valise.
Au premier trimestre de 2020, près de 1100 immigrants à destination du Nouveau-Brunswick ont pris ce genre de décision, selon Statistique Canada. Au second trimestre, ils étaient environ 600.
ISOLEMENT À L’ARRIVÉE
Dès leur arrivée à Montréal, le 31 mars, Mme Larbes et son mari doivent s’isoler pendant deux semaines. Heureusement, ils connaissent un compatriote dans la métropole québécoise.
Cet ami leur laisse de la nourriture à la porte de leur habitation louée sur Airbnb. Il leur achète ensuite un billet d’avion pour Fredericton, car ils n’ont pas encore de carte de crédit.
«On est arrivé au milieu de la nuit comme des voleurs, se rappelle Mme Larbes. Nous avons pris un taxi jusqu’à Moncton pour 300$.»
À nouveau, les voilà dans une location Airbnb, sans compte bancaire, ni voiture, ni numéro de téléphone, au milieu de magasins fermés. Mais cette fois sans amis.
«On s’est senti seul pendant le confinement», se souvient Mme Larbes.
Elle insiste toutefois sur les efforts des organismes d’accueil et d’accompagnement des immigrants du Grand Moncton, comme le CAFi et l’AMGM.
«Nous avons eu une réponse assez robuste, soutient le relationniste de cette seconde association, Jeremy Bouchard. Nous nous sommes aperçus que nous étions des travailleurs essentiels, parce que beaucoup de nouveaux-arrivants sont vulnérables. La plupart d’entre eux n’ont pas de connexions avec de la famille ou des amis. Ils ont donc besoin d’un soutien supplémentaire.»
SERVICE D’URGENCE DISPONIBLE
L’AMGM a mis en place un service de réponse d’urgence par courriel et téléphone, disponible 24h/24, pour des besoins alimentaires, médicaux et logistiques, par exemple.
«Nous livrons des boîtes de nourriture nous-mêmes ou nous dirigeons les personnes vers nos partenaires appropriés», indique M. Bouchard.
Il affirme que ce service a aidé environ 700 étrangers jusqu’à présent (y compris des étudiants internationaux et des visiteurs).
Mme Larbes puise dans ses économies pour subvenir à ses besoins, ainsi que dans ses réserves de médicaments, différents de ceux prescrits au Canada, pour contenir sa maladie auto-immune.
«Je n’ai pas accès à un médecin en personne, mais juste par téléphone, déplore-t-elle. On ne peut pas donner un historique médical, comme ça!»
DES PREUVES À FAIRE
Elle trouve néanmoins un appartement en trois jours au centre de Moncton. Elle réussit même à convaincre des vendeurs sur internet d’y livrer quelques biens.
«On a un lit, une table, deux fourchettes, deux cuillères et deux assiettes», s’amuse Mme Larbes.
L’ancienne gérante d’institut de beauté décroche aussi un poste de caissière après avoir attendu longtemps son numéro de sécurité sociale, à cause d’une communication limitée aux échanges postaux avec Service Nouveau-Brunswick.
«Psychologiquement, j’étais vraiment prête à un retour à zéro, confie-t-elle à propos de sa surqualification au travail. Il faut commencer par faire ses preuves en arrivant dans un nouveau pays. Je n’ai pas de rancoeur.»
La francophone a toutefois eu une déception pendant sa recherche d’emploi: la langue de Shakespeare était nécessaire dans la plupart des entrevues qu’elle a effectuées à Moncton.
«Même pour un travail en français, l’entretien peut se passer en anglais, car beaucoup d’employés des services de ressources humaines sont anglophones», remarque-t-elle.
L’ANGLAIS À MAÎTRISER
Le chercheur Christophe Traisnel a mis en évidence cette difficulté pour les immigrants francophones dans une étude de 2020 pour l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques.
Les répondants d’un sondage étaient 85% à regretter ne pas avoir obtenu plus d’informations sur le niveau d’anglais requis au Nouveau-Brunswick.
«C’est un quiproquo tenace qui est là depuis assez longtemps, regrette le professeur en hautes études publiques à l’Université de Moncton. Mais la province et les organismes préviennent de plus en plus les personnes de ce qu’est vraiment le bilinguisme officiel dans leurs campagnes de recrutement.»
Un grand frein dans le parcours de Mme Larbes est aussi son isolement au sein de sa nouvelle société.
«Je ne sais pas si c’est moi qui ne suis pas d’un naturel à aller de l’avant, s’interroge-t-elle, se croyant timide. Mais surtout, il y a la COVID-19. Quand vous arrivez et qu’on vous demande de rester à deux mètres des autres, comment faire?»
L’agente de la stratégie d’immigration de la Ville de Moncton, Angélique Reddy-Kalala, indique avoir participé à l’organisation de webinaires sur la recherche de travail et l’entrepreneuriat. Elle annonce aussi le lancement de salons de l’emploi virtuels à partir du mois prochain.
DES AMIS À RENCONTRER
«On peut assister à une foire virtuelle, mais pas y rencontrer quelqu’un de manière fortuite, pointe toutefois M. Traisnel. Beaucoup d’occasions d’embauche se font à travers ce type de réseautage, et ce n’est plus possible.»
Il y a peu de temps, Mme Larbes a dépensé ses dernières économies dans l’achat d’une voiture, afin de se rendre à son travail. Bien qu’elle soit payée au salaire minimum et que son mari soit de retour aux études, le plus difficile sera toutefois de se faire des amis et de se sentir chez elle au Nouveau-Brunswick, selon elle.
«L’aventure continue», s’exclame la jeune femme. ■