RINO MORIN ROSSIGNOL: MALGRÉ TOUT, LA VITA È BELLA!
Et ce fut le jour de l’Action de Grâce. Ce bref moment de l’année où les personnes de bonne volonté remercient le Ciel pour ses bontés apparemment infinies. Aujourd’hui, beaucoup ont pris l’habitude de remplacer «le Ciel» par «la Vie», mais au fond, ça revient à la même chose. Même si Épicure ne serait pas d’accord!
Du temps de mon ancienne jeunesse, on récitait déjà une prière qui s’appelait l’Acte de Grâce. (Je mets des majuscules, au cas où le Saint Esprit me surveillerait.) Dans cette prière on remerciait le «Bon Dieu» pour ses bienfaits. Mais comme les malheurs pleuvaient sur ma famille à cette époque-là, j’en ai longtemps voulu à ce «Bon Dieu» que je trouvais bien ingrat alors que je lui rendais grâce à tour de bras!
À la fin de l’adolescence, j’ai arrêté de m’en prendre au «Bon Dieu» pour m’en prendre plutôt à «la Vie» que je trouvais aussi croche et aussi cruelle que le «Bon Dieu». Tout comme lui, A me lâchait pas, la mautadite!
Enfin, vers la quarantaine, le message a commencé à passer: j’ai arrêté de me quereller avec l’au-delà et l’en-deçà, genre, en prenant enfin conscience que tout ça n’avait rien à voir avec le Ciel ou la Vie, et que je devais plutôt m’assumer et assumer ma vie comme un grand garçon.
Depuis, j’ai installé le bonheur au salon de ma vie, je me sens heureux, et je rends grâce mille fois par jour pour tout ce qui m’arrive de beau, de bien et de bon. Un moineau qui piaille, une plante exotique, un sourire épanoui, un livre captivant, une canicule jouissive, une rencontre stimulante, un instant de répit: tout cela me rend heureux. Le reste: aux poubelles!
Toutefois, ne confondons pas tout: le bonheur n’est pas l’absence de problème. Mais il arrondit les angles en titi. Il est tellement plus agréable d’être heureux avec des problèmes que malheureux avec ces mêmes problèmes! Comme dirait Confucius: l’essayer, c’est l’adopter.
J’ai aussi appris, au fil des ans, que l’action de la Grâce sur les humains se décline dans toutes les cultures, toutes les idéologies, toutes les langues, allant d’Hosanna à
Hamdoulilah, en passant par le suave Gracias a la Vida qui donne toujours envie d’une bonne bière froide au soleil des Antilles!
C’est à croire que partout, tout le temps, tout le monde rend grâce. J’en profite donc pour vous remercier, adorables lecteurs zé lectrices adorées, de me suivre depuis toutes ces années, de me donner du coeur au ventre, de me remettre à ma place quand c’est nécessaire, et de savoir me lire avec ce grain de sel magique qui fait tant de merveilles!
Et puisque vous avez été sages, je vais vous raconter les péripéties récentes de ma vie, quasiment aussi palpitantes que celles de Don Quichotte et ses moulins à vent! Mes rossignolades valent bien une Rossinante!
Au début de l’automne dernier et jusqu’en janvier, j’ai accompagné un de mes frères dans son dernier bout de chemin, direction paradis. Depuis, d’autres âmes bien nées sont également entrées dans l’éternité du souvenir, emportant avec elles des fragments de ma vie. Tout cela m’a amené à réfléchir sur le sens de la vie, me remettant en face de ma propre finitude. Tout passe, tout disparaît.
À l’été vint mon Grand Dérangement: quitter un appart que j’occupais depuis trente ans, dans un petit duplex d’un quartier assagi. J’allais avoir 70 ans. À cet âge, on pense à la tranquillité, justement, et, très souvent aussi, on cherche à s’installer dans un endroit conçu pour ce qu’on appelle désespérément «les aînés».
J’ai voulu faire exactement le contraire. Me suis installé près du centre-ville de Montréal, dans un gratte-ciel, là où les bruits de la rue, des étudiants en goguette, des klaxons en délire, de l’humanité en vie se marient si bien dans une sorte d’adrénaline urbaine grisante.
Au début de l’été, de mon nouveau balcon arrière je trippais sur les couchers de soleil caniculaires. J’ai vite déchanté quand le soleil automnal s’est mis à raser l’horizon. La lumière fuyait mon balcon! Sans lumière, impossible de vivre.
Je suis donc déménagé à nouveau! Trente ans dans un appart, suivi de trois déménagements en trois mois! Chu crevé! Parti d’un racoin du septième ciel arrière du building, je me suis retrouvé aux premières loges, en façade de l’édifice!
Ici, la lumière coule à flots dans l’appart, et mon ti-coeur fait du bungee tellement je suis contenté! Alléluia!
Ciel, me vlà encore parti à raconter ma vie! Et dire qu’il y a tant d’autres événements quasiment aussi captivants à décortiquer pour rendre grâce!
Tenez: l’Acadie sort d’une élection qui l’a officiellement laissée orpheline du pouvoir ministériel. Oui, c’est plate. Mais.
Mais n’en tient-il pas qu’à l’Acadie de secouer ses neurones collectifs pour trouver d’autres moyens d’exercer son pouvoir politique?
Ne dispose-t-elle pas des outils nécessaires: une société civile où professionnels, animateurs, travailleurs et autres intervenants s’activent comme des bons; des institutions qui renforcent ses assises et favorisent son développement; et surtout, des coeurs vaillants qui ne lâchent pas, qui osent regarder droit devant avec confiance?
Ça mérite pas une tite Action de Grâce, ça?
Et puis, parmi les autres événements dignes de mention, il y a cette surréaliste pandémie qui marquera à jamais nos contemporains. On en parlera encore dans cinquante ans, comme on parle encore de la grippe espagnole, ou des deux guerres mondiales, ou de la grande dépression. (Ou même du grand bogue de l’An 2000! LOL)
Soyons reconnaissants que dans cette crise, nous ayons au Canada des gouvernements qui voient essentiellement à maintenir notre bien-être, notre sécurité, notre avenir même, malgré les contraintes, les contradictions, les contrastes effarants surgissant devant nous comme autant de défis immédiats, mais des défis que nous sommes capables de relever.
Avec cette foi dans la vie qui a toujours guidé ceux dont nous sommes les descendants débrouillards.
Oui, malgré tout: la vita è bella!
Han, Madame? ■