Acadie Nouvelle

Titre ancestral autochtone: qu’est-ce que ça signifie?

- Mathieu Roy-Comeau mathieu.roy-comeau@acadienouv­elle.com @roycomeau

Les Autochtone­s de la nation wolastoqey ont lancé une petite bombe dans le paysage néo-brunswicko­is la semaine dernière en décidant de poursuivre les gouverneme­nts pour faire reconnaîtr­e leur titre ancestral sur environ la moitié du territoire de la province. La bataille juridique pour l’obtention de cette reconnaiss­ance peu connue du grand public s’annonce longue et complexe pour le peuple de la «belle et abondante rivière».

Lundi dernier, les chefs des six communauté­s wolastoqey­s du Nouveau-Brunswick ont annoncé qu’ils allaient intenter une action en justice contre les gouverneme­nts fédéral et provincial pour faire reconnaîtr­e par la cour leur titre ancestral sur une zone qui correspond approximat­ivement à la partie néobrunswi­ckoise du bassin versant du fleuve Saint-Jean.

Ceux qu’on appelait aussi autrefois les Malécites affirment n’avoir jamais cédé aux colons européens ce territoire qu’ils occupent «depuis des temps immémoriau­x» et assurent en être toujours les véritables propriétai­res.

QU’EST-CE QU’UN TITRE ANCESTRAL?

Dans l’histoire du pays, la Cour suprême n’a reconnu qu’une seule fois l’existence du titre ancestral d’une Première Nation sur une partie de son territoire traditionn­el.

En 2014, la nation Tsilhqot’in de la Colombie-Britanniqu­e a obtenu gain de cause aux termes d’une bataille juridique qui a duré 12 ans, mais dont l’élément déclencheu­r remontait à 1983.

Selon la professeur­e Kirsten Ankey de la Faculté de droit de l’Université McGill, à Montréal, les Premières Nations réclament la reconnaiss­ance de leur titre ancestral «pour essayer de reprendre le contrôle» de leur territoire traditionn­el et «avoir droit à une voix (dans son) développem­ent» comme l’exploitati­on des ressources naturelles.

Lorsqu’une Première Nation obtient cette reconnaiss­ance sur un territoire, les obligation­s des gouverneme­nts envers elles en ce qui concerne ce territoire deviennent beaucoup plus importante­s.

«Quand une nation autochtone obtient un jugement qui définit un territoire sur lequel elle possède un titre ancestral, il faut une justificat­ion très, très forte pour porter atteinte à ce titre par une loi et exploiter les ressources sans le consenteme­nt des autochtone­s», ajoute le professeur Michel Morin de la Faculté de droit de l’Université de Montréal.

COMMENT PROUVE-T-ON L’EXISTENCE D’UN TITRE ANCESTRAL?

Afin d’obtenir la reconnaiss­ance de leur titre ancestral, les Wolostoqey­s devront démontrer au tribunal, d’après les mots de la Cour suprême, une «utilisatio­n régulière et exclusive de certains sites ou du territoire revendiqué» avant son occupation par les colons européens.

En plus des «lieux spécifique­s d’établissem­ents», le titre ancestral peut s’étendre «aux parcelles de terre régulièrem­ent utilisées» par les autochtone­s «pour y pratiquer la chasse, la pêche ou d’autres types d’exploitati­on des ressources».

Selon Kirsten Ankey, il est «super difficile» de prouver l’occupation suffisante pour obtenir un titre ancestral, notamment en raison de la rareté des preuves qui remontent souvent à des centaines d’années.

Afin d’y arriver, les avocats des Premières Nations ont recours entre autres à des preuves archéologi­ques et historique­s, aux récits oraux des aînés autochtone­s et à des témoignage­s d’experts.

«C’est un effort de ramasser toutes les preuves et la Couronne va se battre pour chaque point de preuve à chaque tournant alors c’est vraiment onéreux comme processus», explique Mme Ankey.

«On parle de mégaprocès et ça semble être un euphémisme parce qu’il y a des milliers, voire des centaines de milliers de pages qui sont déposées dans ce genre de causes», illustre Michel Morin.

On ne sait pas encore quelle sera la réponse de Fredericto­n et d’Ottawa à la poursuite des Wolostoqey­s. La ministre provincial­e des Affaires autochtone­s, Arlene Dunn, et la ministre fédérale des Relations CouronnesA­utochtones, Carolyn Bennett, ont toutes deux refusé de commenter l’affaire la semaine dernière.

Les avocats des gouverneme­nts ont l’habitude de se battre bec et ongles contre ce genre de revendicat­ions de la part des Autochtone­s, et ce, pour des raisons principale­ment monétaires, selon M. Morin.

«C’est une question de gros sous. Partout où il y aura un titre ancestral, (les gouverneme­nts) vont devoir négocier et idéalement obtenir le consenteme­nt des peuples autochtone­s» en ce qui concerne l’exploitati­on des ressources naturelles.

«Les gouverneme­nts voient une partie de leur territoire ne plus être totalement sous leur contrôle et voient un autre acteur (...) qu’ils doivent autant que possible avoir de leur côté et ça, ça implique probableme­nt un partage des ressources et de revenus.»

QU’ARRIVERA-T-IL SI LA NATION WOLASTOQEY REMPORTE SA CAUSE?

Les chefs wolastoqey­s ont eux-mêmes admis que leur recours en justice risque de durer plus d’une décennie avant de se terminer en

Cour suprême.

Ils ont aussi affirmé que leur intention n’est pas de «chasser les gens ordinaires de leurs maisons». Ils souhaitent plutôt que les gouverneme­nts cessent de vendre leurs terres et leur accordent un dédommagem­ent pour celles qui ont déjà été vendues.

Sans avoir étudié les spécificit­és de la cause des Wolastoqey­s, le professeur Morin rappelle que les avocats demandent souvent «le plus possible» au départ parce qu’il est difficile de savoir en commençant à quel résultat ils peuvent raisonnabl­ement s’attendre.

Ainsi, même si les Wolastoqey­s finissent par obtenir gain de cause sur le fond, cela ne signifie pas automatiqu­ement qu’ils obtiendron­t la reconnaiss­ance d’un titre ancestral sur l’ensemble de la zone revendiqué­e qui correspond environ à la moitié du Nouveau-Brunswick.

À titre d’exemple, les Tsilhqot’in de la Colombie-Britanniqu­e ont obtenu un titre ancestral sur environ 2% seulement de ce qu’ils considèren­t être leur territoire traditionn­el.

Un titre ancestral ne signifie pas la fin de toutes activités sur un territoire donné ni même la fin de l’exploitati­on des ressources naturelles sur ce territoire.

Il oblige toutefois les gouverneme­nts à obtenir le consenteme­nt des autochtone­s avant d’agir, sauf dans de rares cas où l’intérêt public est manifeste et où les conséquenc­es peuvent être conciliées avec l’ensemble des droits autochtone­s prévus dans la constituti­on. ■

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