De la mer à l’assiette!
En temps ordinaires, les prises de thon rouge au large de l’île Miscou sont expédiées par camion à l’Île-du-PrinceÉdouard pour une première transformation, avant d’être acheminées à Halifax pour un vol en direction du Japon, pays très friand de ce poisson prisé pour son gras.
Tous ces intermédiaires font exploser le prix proposé aux consommateurs, alors que le pêcheur en reçoit moins de 10$ la livre dans la Péninsule acadienne pendant que son collègue de la Gaspésie peut en recevoir jusqu’à 15$, selon James Stewart.
«Ça nous coûte cher avec tous ces intermédiaires», argue le pêcheur de Miscou, qui ne fait pas ça pour l’argent.
Mais là, en raison de la pandémie de la COVID-19 et la fermeture des marchés extérieurs, les pêcheurs ont découvert l’alternative locale, à travers la restauration et les poissonneries, pour écouler leur stock. Cela comporte de nombreux avantages dans le maintien de la haute qualité du produit.
Le sommelier Robert Noël en a arrangé trois, cet automne, avec son partenaire Martin Mallet. Habituellement, il pouvait débourser jusqu’à 35$ la livre pour en faire venir du Japon pour son restaurant. Une aberration à ses yeux, quand il savait qu’il avait, à portée de main, une pépinière de thon rouge, surtout depuis que le stock n’est plus menacé d’extinction.
«Ça faisait plusieurs années qu’on voulait en acheter, mais c’était compliqué. Cette année, des facteurs comme la pandémie ont facilité les choses. On en a acheté un. C’est un peu comme un orignal à dépecer. Puis on en a acquis deux autres. On en avait même un de 750 livres. Ça peut faire 3000 sushi, mais on vient par se tanner de manger juste du sushi. On veut trouver d’autres possibilités. Notre but est d’acheter du thon localement et de le revendre localement. On sent qu’il peut y avoir un beau potentiel. Il y a une demande, c’est certain. On en a même vendu à des restaurateurs de Bathurst, de Moncton et de Saint-Jean.»
UNE CARTE GASTRONOMIQUE
De la mer à l’assiette, comme il dit. Le restaurateur d’expérience l’a récemment expérimenté dans une carte gastronomique de cinq services avec le chef Benoît Larocque du Kabernet, un restaurant de Lamèque.
Le cuisinier a ajouté le thon rouge à son menu cette année. Du thon pêché localement, sans intermédiaires. Sa stratégie est d’en faire un mets accessible à travers différentes recettes.
«Je n’avais jamais fait ça avant. C’est comme du boeuf, mais c’est fragile comme du poisson. Les Japonais le mangent cru avec de la sauce soya. On a voulu le proposer selon nos goûts», raconte-t-il.
En tataki, en ravioli, en tartare ou en steak, le thon révèle son potentiel. En longe comme un filet mignon avec des frites ou encore en tartare - très populaire -, les clients sont agréablement surpris, a-til constaté. Avec ce qui lui reste, il prévoit pouvoir en servir jusqu’aux Fêtes.
«Ce n’est pas difficile à travailler, mais c’est facile à rater. Trop cuit, c’est comme du thon en canne. Le tartare est très à la mode. À notre restaurant, le thon remporte un succès qui m’étonne. Je crois qu’il y a un potentiel, selon un marché à notre échelle. On a accès à un si beau poisson, mais on dirait que personne n’essaie de bien le cuisiner», mentionne le chef, qui est allé en mer à trois reprises cet automne.
La démocratisation du thon rouge fait des adeptes. Même le fameux chef Ricardo Larrivée a ajouté diverses recettes à son menu. À la poêle et même au barbecue, ses manières de le présenter rallient plusieurs adeptes.
À la mi-septembre, James Stewart a pu faire apprêter un thon de près de 600 livres par un chef du Manitoba, Luc Jean, venu avec un groupe vivre cette expérience au large de l’île Miscou.
«Il est venu chez nous et il nous a fait à manger avec ce thon. C’était vraiment bon», assure le pêcheur.
Éleveur d’huîtres et scientifique, Martin Mallet a le sentiment que l’effritement des marchés traditionnels du thon rouge en raison de la pandémie va bénéficier à la redécouverte locale de ce poisson.
C’est beau le pêcher, mais on peut aussi le valoriser avec la valeur ajoutée dans le domaine de la restauration ou dans les poissonneries, calcule-t-il, en soutenant qu’il contient moins de mercure que le bar rayé, une autre poisson populaire dans le Nord-Est.
«Avant, le consommateur n’était que le dernier intermédiaire dans une longue chaîne d’approvisionnement. Nous avons la chance de couper cette chaîne. C’est bon pour le pêcheur qui obtient un meilleur retour sur le poisson qu’il nous fournit et c’est bon pour le consommateur qui peut acheter du thon de meilleure qualité à moindre coût. C’est gagnant-gagnant. On peut proposer un produit aussi bon, sinon meilleur que le thon qu’on retrouve dans les épiceries. On veut étudier tout ça et voir s’il n’y a pas quelque chose à exploiter en trouvant une façon qui respecte le poisson sans nécessiter un investissement de fou», fait-il mention.
Et, qui sait, rêvent ces intervenants, le thon rouge de Miscou pourrait devenir une attraction touristique automnale unique à la Péninsule acadienne avec sa pêche et sa dégustation culinaire. ■