Bien veiller sur nos frères et soeurs
Le pape a signé un texte majeur le 3 octobre dernier sur la fraternité. Fratelli Tutti est le titre latin de cette 3e encyclique de François. Une encyclique est une lettre solennelle dans laquelle le pape enseigne sur un thème précis. Le congé de l’action de grâce m’a permis de terminer la lecture de ce long texte, mais si pertinent à ce moment-ci de l’histoire.
Dans l’histoire récente de l’Église, jamais les écrits et la vie d’un pape n’ont été à ce point rapproché du nom qu’il a choisi au moment de son élection. Le nom de François est un véritable programme pour celui qui avait été baptisé Jorge Mario.
Fratelli Tutti fait référence aux textes de François d’Assise qui, chaque fois qu’il s’adressait aux membres de son ordre, leur parlait comme à des frères et soeurs. Son encyclique précédente, Laudato Si, commence avec les premiers mots du Cantique des créatures de François. Autant que ses écrits, la vie du pape François est à l’image de ce que l’histoire nous a transmis du saint d’Assise. Tous deux fondent leur vie sur la simplicité, le dialogue, l’amour la création et le soin des pauvres.
En lisant ce texte, ma réflexion sur l’ordre mondial s’est élargie. Ma compréhension de la doctrine sociale s’est approfondie. C’est un tour de force de rassembler en un seul texte tant d’éléments essentiels sur la vie en société. Une réflexion collective est enrichie par une telle lecture (accessible en français sur vatican.va).
Mais qui lit une encyclique? Les décideurs politiques sont souvent plus sollicités à lire des données comptables pour s’assurer que l’économie marche bien. Ils analysent les sondages pour connaître la désirabilité sociale et la satisfaction à l’égard des politiques pour gouverner.
Habitués à s’informer à partir de courts et d’images textes (dont la véracité n’est pas toujours assurée), nous n’avons plus le réflexe de forger notre réflexion à partir de textes de sagesse qui rassemblent «patiemment la longue expérience des individus et des peuples» (no 50). Et qui va spontanément donner crédit au représentant d’une institution critiquée pour avoir négligé de protéger «ces petits qui sont des frères et soeurs» (Mt 25)?
Heureux ceux et celles qui font la part des choses. Ils pourront tirer du neuf à partir du vieux trésor de l’évangile. Ils trouveront dans Fratelli Tutti l’expérience profonde d’un homme formé dans les bidonvilles de Buenos Aires. Cet homme religieux est aussi un homme politique qui ne cherche pas son intérêt (ça existe encore!) et qui prend la parole des sans-voix. À la tête d’un minuscule état sur la botte italienne, il secoue suffisamment les consciences pour donner un coup de pied (vous savez où!) et nous envoyer aux périphéries. Ne serait-ce que pour cela, il faut l’écouter.
Cette encyclique du pape s’adresse à l’ensemble de l’humanité. En mettant en valeur la réflexion catholique (dont la parabole du bon Samaritain, largement commentée), le pape puise à la sagesse d’autres traditions religieuses. À quatre reprises, il s’unit au Grand Iman Ahmad Al-Tayyeb pour rappeler que tous les êtres humains sont égaux en droits, en devoirs et en dignité. Aussi pour appeler «au dialogue, à la collaboration commune et à la connaissance réciproque» pour coexister comme des frères, unis par un amour qui surmonte les barrières de la géographie (no 285).
Au départ, le pape revient sur «certaines tendances du monde actuel qui entravent la promotion de la fraternité». Certains sont surpris de ce pessimisme de François, lui qui nous avait habitués à un autre regard sur le monde. Mais il est réaliste en parlant de désenchantement du capitalisme et du recul des efforts vers la paix. De même que pour les risques de dérives de la démocratie et du non-respect des accords fragiles pour l’avenir de la planète.
À plusieurs reprises, le pape fait appel aux gouvernants. La charité politique est plus qu’un voeu pieux. Elle peut être au fondement de plusieurs projets de lois et de société pour tenir compte des gens aux périphéries, notamment les personnes âgées et les malades en temps de pandémie.
Il revient sur des thèmes de justice sociale devenus des leitmotive de son pontificat: abolition de la peine de mort, limite du droit à la propriété privée, valorisation du travail et accueil des migrants.
Mais il n’y a pas que la classe politique qui est interpellée. Chaque citoyen est appelé à découvrir la dignité de son prochain, à se méfier des cercles d’amis trop restreints, à se nourrir à des sources d’informations fiables. Pour ne pas que ses réflexions (et les miennes!) restent des souhaits éthérés, il a des pistes concrètes pour avancer sur le chemin de l’amour fraternel. François nous invite à retrouver la bienveillance.
J’aime cet état d’âme qui soutient, réconforte et rend la vie belle autour de soi. Cette vertu est accessible à chacun. Elle se manifeste en faisant attention de ne pas blesser avec des paroles, en regardant l’autre avec bonté, en proposant un service, en encourageant ou en demandant pardon. Les personnes bienveillantes «deviennent des étoiles dans l’obscurité» (no 222). Nous en avons besoin: il n’y a pas que les jours qui manquent de lumière. Nos vies aussi! ■