Le plus beau et le plus laid
La famille Boukari de Dieppe est passée par toute la gamme des émotions dans le dernier mois. Elle a vécu un drame. De plus, elle a découvert ce qu’il y a de plus beau chez les Néo-Brunswickois, mais aussi ce qu’il y a de plus laid.
Dans la nuit du 19 au 20 septembre, Saber Boukari, son épouse enceinte Rym Farah et leur fils âgé de 8 ans se sont réveillés en catastrophe. Un incendie d’origine accidentel était en train d’endommager l’immeuble dans lequel ils vivaient. Cinquante-cinq personnes ont été évacuées cette nuit-là.
Les Boukari sont des immigrants originaires d’Algérie. Ils se sont retrouvés à la rue, sans un véritable réseau de proches et familial pour les appuyer. La Croix-Rouge canadienne les a hébergés à l’hôtel pendant quatre jours, le temps qu’ils se remettent sur pieds.
Ils ont ensuite profité d’un formidable élan de générosité. À peine quelques jours après le sinistre, ils ont été submergés de dons. Deux entrepôts ont été remplis de meubles dans le temps de le dire. Le Club de l’âge d’or de Dieppe a été enseveli de vêtements, de draps, de jouets, de produits d’hygiène et bien plus encore. Toutes les familles qui ont perdu leurs possessions dans l’incendie ont ainsi pu compter sur la générosité des Néo-Brunswickois.
Les Boukari ont toutefois fait face à un obstacle qui était malheureusement trop prévisible: la difficulté de trouver un logis.
Ce n’est pas à dire qu’il n’existe pas d’appartements dans la région de Moncton suffisamment grands pour les accommoder. C’est plutôt le fait qu’un nombre grandissant de propriétaires refusent les familles avec de jeunes enfants.
C’est illégal. C’est de la discrimination. Cela va à l’encontre de la Loi sur les droits de la personne. Et c’est pourtant tout à fait commun et généralisé.
Les propriétaires de logements à louer ne s’en cachent même pas. Allez faire un tour sur des sites de petites annonces sur le web pour vous en convaincre. Les annonces dans lequel il est précisé que l’appartement est réservé «aux adultes seulement» pullulent.
«Est-ce un crime d’avoir un enfant ici», s’est interrogé M. Boukari dans nos pages dans les jours qui ont suivi l’incendie. Il semble bien que oui.
Heureusement, les membres de cette petite famille connaîtront une conclusion satisfaisante. Ils ont déniché un nouvel appartement où les enfants sont acceptés. Il s’agit d’un endroit où vit déjà une autre famille qui s’apprête à déménager d’ici la fin du mois.
Tout est bien qui finit bien. Nous pouvons tous collectivement pousser un grand soupir de soulagement.
Cela dit, ça ne doit pas nous faire oublier le fait que dans le Grand Moncton, tout comme dans bien d’autres municipalités, la discrimination à l’endroit des familles qui ont besoin d’un logement reste monnaie courante. Le fait que les Boukari ont trouvé un endroit où vivre n’enlève rien au fait que la discrimination qu’ils ont vécue est inacceptable.
Le problème existe et est connu depuis longtemps. L’Acadie Nouvelle avait déjà dénoncé cette situation en éditorial en 2018. Jessica Chamberlain, son conjoint et leur bébé étaient incapables de trouver un logement abordable à Dieppe. Jour après jour, ils se butaient à des propriétaires qui leur faisaient comprendre que les enfants ne sont pas les bienvenus chez eux.
C’est sans compter la discrimination dont sont victimes les étudiants internationaux de l’Université de Moncton, lesquels font eux aussi face à des difficultés amplement documentées.
Ce qui est le plus incroyable est que cette discrimination se fait au grand jour. Les propriétaires d’appartements à louer ne tentent pas de sauver les apparences. Cela se fait ouvertement. Ils peuvent se permettre de discriminer sans gêne en raison de la faible probabilité d’être sanctionnés.
Le problème est que le fardeau de la preuve repose sur les épaules des victimes. Celles-ci doivent se plaindre à la Commission des droits de la personne du Nouveau-Brunswick et travailler avec celle-ci afin de résoudre le problème.
La plupart des gens ignorent cela ou ne se donnent pas la peine de passer à travers ce lourd processus. Comme ils ne portent pas plainte, la commission ne le fera pas à leur place.
Cette discrimination peut ainsi se poursuivre en toute impunité.
Quand un comportement déviant est toléré par les autorités, comme c’est le cas présentement, il est dans les faits accepté et devient à la longue encouragé.
C’est exactement ce qui s’est produit. Les Boukari ont été victimes de ce phénomène ce mois-ci, comme la famille de Jessica Chamberlain en 2018 et comme sans doute des centaines d’autres personnes un peu partout au Nouveau-Brunswick. Cela, sans que personne ne lève le petit doigt.
C’est honteux.