Acadie Nouvelle

MON TOP-3 DES PERSONNALI­TÉS LES PLUS COLORÉES

- ROBERT LAGACÉ

On m’a récemment demandé qui était la personnali­té sportive la plus colorée que j’ai eu la chance d’interviewe­r au fil des années.

Honnêtemen­t, je n’ai pas su quoi répondre sur le coup. La question m’a vraiment pris par surprise. Je ne m’étais jamais posé la question. Avec le grand nombre de personnes que j’ai croisé en plus de 35 ans de carrière, vous vous doutez bien que j’en ai vu et entendu de toutes les couleurs.

Comme la question m’a amusé, j’ai donc décidé au cours des dernières semaines de réfléchir à tout ça afin de vous dresser un top-3.

Et question de garder un petit suspens, je vais y aller en ordre décroissan­t.

EDDIE CREATCHMAN

Commençons donc par le numéro 3, j’ai nommé Eddie «The Brain» Creatchman, un ancien gérant de lutteurs qui, un certain soir d’été de 1987, s’est présenté à l’aréna du Complexe S.-A.-Dionne de Tracadie avec la promotion Lutte Internatio­nale. J’avais déjà vu le bonhomme à la télévision et je ne voulais surtout pas rater l’occasion d’aller lui parler. Il me faisait tellement rire au petit écran que j’ai même déjà créé, il y a près de 20 ans, un personnage dans un jeu virtuel appelé Orval Ménard qui était totalement inspiré d’Eddie Creatchman.

J’ai d’abord découvert avec plaisir qu’il était toujours en mode «gimmick». Il avait à la bouche son cigare puant qui rivalisait avec son parfum qui, j’ose croire, est aujourd’hui discontinu­é. Il portait ses énormes bagues aux doigts et une chaîne autour du cou sur laquelle reposait une grosse étoile de David. Pour compléter le portrait, il faut ajouter ses grosses lunettes de soleil, sa canne et l’attitude d’un méchant chihuahua surexcité sur le point de te mordre. Ce soir-là, M. Creatchman m’avait bien sûr vanté ses lutteurs à qui il avait permis de devenir millionnai­res, mais il s’était aussi assuré de m’expliquer pourquoi il était le cerveau de la lutte. Il m’avait également dit dans son franglais truculent que les principale­s vedettes québécoise de l’époque, Rick Martel, Dino Bravo et les frères Rougeau (Raymond, Jacques et Armand), n’étaient que des pourris que ses champions pouvaient battre une main dans le dos. Je buvais ses paroles. J’ai d’ailleurs une photo quelque part dans mes boîtes où on me voit en train d’interroger «The Brain».

À la toute fin de cette courte entrevue, M. Creatchman est sorti de son personnage pour me demander gentiment si j’avais suffisamme­nt de matériel pour pondre un texte. Le bonhomme m’avait bien eu. J’ai naïvement cru que le méchant chihuahua ne décolérait jamais. Je peux aujourd’hui vous révéler que c’est à cause de cette bizarre expérience que j’ai voulu revivre ce sentiment en demandant l’an dernier à Marc Roussel (Marko Estrada) de m’accorder une entrevue au cours de laquelle il devait rester dans son personnage de vilain dont raffolent depuis quelques années les Québécois. D’autre part, la mémorable soirée avec M. Creatchman ne s’est pas terminée là puisqu’une trentaine de minutes plus tard, un spectateur un brin éméché a eu la drôle d’idée d’attaquer dans le dos son protégé Kendo Nagasaki, alors qu’ils se dirigeaien­t tous les deux vers le ring. À la vitesse de l’éclair, Nagasaki avait réglé le cas du malotru en l’étranglant d’une seule main. Dans mes souvenirs, Nagasaki l’a même soulevé de terre, mais je crois que c’est mon subconscie­nt qui cherche à embellir tout ça. C’est finalement Eddie Creatchman et quelques membres de la sécurité qui sont parvenus à convaincre Nagasaki de lâcher prise. Pour tout vous dire, je n’ai jamais su si tout ça était arrangé avec le gars des vues. Je sais toutefois que le visage du pauvre bougre était de couleur mauve quand la sécurité l’a escorté vers la sortie.

EDMOND MORAIS

En deuxième position, j’y vais avec le coureur Edmond Morais, celui-là même à qui l’on doit en compagnie de Rhéal Sivret la naissance du Demi-marathon de l’Acadie. Edmond est un original qui a toujours des histoires extraordin­aires à raconter. Avec les années, j’ai probableme­nt accumulé plus de 15 heures d’enregistre­ment avec lui. Je me rappelle particuliè­rement d’une entrevue au cours de laquelle il m’avait révélé que pour garder la forme, le temps d’un hiver, il avait déneigé tout seul le chemin qui partait du derrière de sa maison jusqu’au bout de sa terre à bois.

– À la souffleuse?, que je lui avait demandé.

Julien Collette et Doug Craswell - Archives: Marc Grandmaiso­n «Non, à la pelle.»

– À la pelle-traineau tu veux dire?

«Non, non, juste à la pelle.»

– Ç’a dû te prendre du temps?

«J’ai fait ça pendant tout l’hiver. Chaque fois qu’il neigeait, je pelletais le chemin d’un bout à l’autre.»

– Tout l’hiver? Mais tu es fou!, que j’ai rétorqué estomaqué.

«Non, ça me tenait occupé.»

Juste pour ce court extrait, vous conviendre­z qu’Edmond mérite de figurer dans ce top-3.

JULIEN COLLETTE

Mais pour être juste, je me dois de donner la première place à l’ancien boxeur Julien Collette.

Contrairem­ent à plusieurs personnes qui n’étaient juste pas capables de l’endurer parce qu’ils prenaient tout ce qu’il disait au premier degré, j’ai toujours admiré le sens du spectacle de Julien. Il ne donnait pas sa place, particuliè­rement pendant la période où il se faisait appeler Julio Caesar. Quand ça sortait de sa bouche, ça donnait quelque chose comme «Ouille-Lio Si-Zar».

Maudit que j’ai eu du fun à faire des entrevues avec ce gars-là.

Mes citations préférées de lui remontent toutefois à 2016. J’ai recueilli la première à quelques jours de son affronteme­nt contre Doug Craswell, un colosse du Restigouch­e que je trouvais fort sympathiqu­e. Étrangemen­t, Julien avait été plutôt tranquille jusque-là pendant l’entretien. À un point tel que je lui en avais fait la remarque. Il n’en fallait pas plus pour réveiller le monstre.

«C’est vrai que j’ai été gentil jusqu’ici. Avoir voulu être méchant, j’aurais dit que j’allais lui arracher la tête, y planter un bout de bois et défiler dans les rues de Moncton comme si c’était une fête provincial­e. Mais non, je ne suis pas méchant. Moi, plus le combat approche, plus je suis en mode zen. Je suis comme un moine bouddhiste. Ou plutôt un samourai. Rien ne m’affecte».

Pour votre informatio­n, Julien a finalement perdu son combat par K.O. dès la 96e seconde de la première ronde. La deuxième citation est arrivée trois mois plus tard, en vue d’un combat revanche contre ce même Craswell qui n’a finalement jamais eu lieu. Cette fois, Julien s’était moqué de Craswell et de son entraîneur Bruno Lurette avec beaucoup d’humour. Bruno qui, en passant, est un bon ami et qui peut lui aussi à l’occasion en sortir des très bonnes en entrevue.

Mais à tout seigneur, tout honneur, voici ce que Julien m’avait lancé ce jour-là. «Doug Craswell et Bruno Lurette, je les vois plus comme des playboys. Ils sont bons pour se faire prendre en photo avec leurs ceintures et leurs cheveux bien coiffés. Ce sont de beaux hommes, je suis prêt à l’admettre. Mais ils n’ont rien à voir avec la boxe. Moi, je ne me suis pas coupé les cheveux, ni la barbe, depuis notre dernier combat. J’ai l’air d’un sasquatch qui vient de descendre de sa montagne. Je suis prêt mentalemen­t et physiqueme­nt. Cette fois-ci, Craswell n’aura pas un gros baloney immobile devant lui.»

Juste pour ces deux citations, et il y en a eu pourtant plusieurs autres bonnes, Julien Collette mérite d’être mon champion du monde parmi tous les personnage­s les plus colorés qu’il m’a été donné d’interroger.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada