RINO MORIN ROSSIGNOL: RENDEZ-VOUS AVEC L’HISTOIRE
Dans une semaine, un événement historique aura lieu. Historique, parce qu’il pourrait changer la face du monde pour des décennies. On n’en vit pas tous les jours des événements qui ont le potentiel de préfigurer le devenir de l’humanité! C’est un événement dont on parlera longtemps: l’élection présidentielle américaine de 2020.
Aux lendemains de cette élection aux allures de référendum sur Trump, une cassure rien de moins que catastrophique pourrait survenir, ou bien le monde pourrait retomber sur ses pattes et retourner à son ronron civilisationnel en soupirant d’aise.
En effet, côté catastrophe, Donald Trump pourrait bien remporter la victoire, avec ou sans magouillages. Sa détermination et sa vigueur manifestes ont probablement autant d’impact sur de potentiels électeurs que ses harangues échevelées devant des foules vociférant à visage découvert.
En revanche, son adversaire masqué Joe Biden, enfirouapé dans les euphémismes caractéristiques d’une «gauche» américaine éblouie par une rectitude politique scrupuleuse, avatar contemporain de la bonne vieille tartufferie, fait dans la «distanciation sépulcrale» pour employer le mot piquant d’un journaliste américain chroniqueur sur la chaîne française CNews.
Laquelle de ces deux approches portera fruit? Réponse dans une semaine.
Une victoire de Biden signalerait un retour à la normale. Pas dès la semaine prochaine, évidemment, car il faudra du temps, des mois sans doute, et peut-être des années pour se remettre d’une présidence Trump qui a tenu la planète, haletante, sur le qui-vive depuis quatre ans.
Mais j’imagine que le soupir de soulagement planétaire qui s’ensuivrait redonnerait du coeur au ventre à une planète (lire: l’humanité) qui en a vraiment besoin. Surtout dans le contexte d’un impitoyable virus venu jouer les trouble-fête diaboliques!
L’autre perspective, une victoire de Trump, pourrait parapher l’arrêt de mort d’une forme de démocratie qui, malgré ses lacunes, est quand même le meilleur système que l’on connaisse, pour paraphraser Churchill.
Car, malgré tout ce qu’on a pu voir, appréhender, ridiculiser ou regretter durant le mandat initial de Trump, un second mandat qui viendrait valider ce premier passage à la Maison-Blanche et cautionner ses inepties lui donnerait un élan inouï pour déployer encore plus sa tendance à l’autoritarisme, à l’isolationnisme, au népotisme et autres «quid pro quo» dont il abuse avec une constance maniaque depuis son arrivée au pouvoir.
À moins qu’une grâce d’État tombée du ciel ne vienne, par miracle, insuffler un peu (plutôt: beaucoup!) de bon sens dans ses neurones populistes et l’amène à reconsidérer sous une lumière nouvelle ses positions réactionnaires.
Ça c’est déjà vu. Il n’est pas interdit de rêver.
L’Histoire s’est aussi pointée le bout du nez récemment en passant non pas par la grande porte, cette fois, mais en se faufilant par l’entrée des artistes, si l’on peut dire.
On a appris, en effet, que lors d’une entrevue que le pape François avait accordée à une date indéterminée, et dont des extraits retrouvés dans les archives du Vatican ont été utilisés dans un documentaire qui lui est consacré, il s’était prononcé en faveur des unions civiles entre personnes homosexuelles.
Pour le bon pape François, «les personnes homosexuelles ont droit à être dans une famille, ce sont des enfants de Dieu». Il ajoute alors: «ce que nous devons faire, c’est une loi d’union civile, elles ont le droit d’être légalement protégées».
Décidément, voilà un pape qui répand la «Bonne Nouvelle», bien qu’il lui faille procéder minutieusement, une phrase à la fois, pour ne pas effaroucher une Curie engoncée dans ses anathèmes surannés, et qui est loin de lui être acquise.
On se souvient encore de la fameuse liste des maladies de la Curie que ce même pape avait méticuleusement détaillée en décembre 2014, lors des voeux de fin d’année qu’il lui adressait.
La pilule fut dure à avaler, comme on dit, et bien qu’il ait depuis placé des alliés aux postes névralgiques du Vatican, il est toujours obligé de se livrer à une épreuve de souque à la corde avec d’irrédentistes membres du haut clergé qui ne tolèrent pas qu’un humble réformateur «venu de l’autre bout du monde» vienne lézarder l’antique magnificence qui leur servait de paravent pour échapper à la modernité.
Quoi qu’il en soit, François fait face aux défis avec courage et simplicité, ce qui le distingue déjà de ses récents prédécesseurs.
Évidemment, son commentaire personnel sur les unions civiles homosexuelles ne déclenchera pas de révolution gay au Vatican. Ils n’ont pas une valeur dogmatique.
Les dogmes de l’Église vont rester bien en place, aussi pétrifiés et surréalistes qu’auparavant, et c’est bien correct comme ça, pour la simple raison que la plupart de ces dogmes (ex: transsubstantiation, immaculée conception, assomption, infaillibilité pontificale) n’ont pas grand-chose à voir avec la réalité homosexuelle!
Cette affirmation du pape n’en est pas moins spectaculaire en ce sens qu’elle grignote, une petite bouchée à la fois, la position traditionnelle de l’Église catholique sur le mariage, considéré comme un sacrement scellant exclusivement l’union d’un homme et d’une femme.
Et surtout, qu’elle met en lumière le fait que nombre d’autres églises se réclamant du christianisme ont déjà franchi le pas entre des préceptes venus d’un autre âge et la réalité contemporaine, en bénissant tout bonnement l’union sacramentelle entre deux personnes du même sexe, reflétant ainsi avec plus d’éclat la splendeur du message de Jésus de Nazareth.
Il est toujours intéressant et même fascinant de suivre l’évolution d’une institution comme l’Église catholique, même si l’on n’est plus pratiquant.
Entre le prie-Dieu, la sacristie, le confessionnal, les évêchés et le Vatican, un débat perpétuel a lieu que l’on ne soupçonne guère, un débat centré sur l’être humain et son rapport à un Créateur, un débat qui en lui-même annonce et signe l’évolution du genre humain. Et je présume qu’il en est ainsi dans toutes les grandes religions du monde.
C’est là que l’Histoire nous attend. À nous d’être au rendez-vous. Ne serait-ce que pour capter au vol quelques bouffées d’air frais revivifiant en cette époque morose.
Comme on souhaite que les Américains le fassent dans une semaine.
Han, Madame? ■