«Ménager la chèvre et le chou»
Comme dans les autres universités, le corps professoral ne s’exprime pas d’une seule voix sur ce sujet très sensible. Professeur en sociologie à l’U de M, Leyla Sall constate que les deux signataires de la déclaration «marchent sur des oeufs». «On dit qu’il faut respecter la liberté académique mais en même temps ménager les sensibilités, qu’il faut en quelque sorte ménager la chèvre et le chou», observe-t-il.
Selon lui, il conviendrait de «balayer certains mots qui toucheraient certains», car la nécessité de «préserver la relation pédagogique», soutient-il, prime sur la libre de parole.
«En tant que Noir, universitaire, sociologue, je me demande si en privilégiant la liberté d’expression au sein de l’université, on ne menace pas la relation pédagogique. (...) Le professeur est censé transmettre des connaissances dans une relation d’écoute et de confiance. Il doit essayer de faire en sorte que cette interaction se déroule de la manière la plus normale possible», exprime le professeur.
«Les étudiants qui contestent vivent des discriminations ou des situations d’inégalités assez douloureuses. Ils ne veulent plus entendre ce mot-là au XXIe siècle, parce que, pour eux, ça évoque un passé douloureux et des expériences quotidiennes
douloureuses. Si ça fait en sorte que la relation pédagogique devient explosive, est-ce que ça vaut la peine de l’utiliser?» Leyla Sall suggère plutôt d’employer des moyens détournés pour éviter de nommer le mot qui fâche.
«Dans ma classe, je ne dirais pas le mot en N et ça ne m’empêche pas de contextualiser. En général, les gens comprennent de quoi il s’agit. On peut aussi prendre des précautions et dire ‘’le mot est tellement dégoûtant que je ne le dirai pas, parce que c’est un mot qui blesse’’, puis l’écrire au tableau et expliquer par exemple que j’utiliserai plutôt le mot ‘’noir’’ pour le désigner.»
Pour autant, le sociologue juge que la direction de l’Université d’Ottawa a réagi trop rapidement en suspendant la chargée de cours.
«Je trouve que la professeure était de bonne foi. Elle a expliqué le contexte dans lequel le mot a été utilisé, elle s’est excusée», admet-il. M. Sall affirme lui aussi la nécessité de dialoguer sur de tels sujets pour établir des relations de confiance dans le milieu universitaire.
«La vie sociale repose sur des évitements et des non-dits pour préserver la paix sociale», croit-il.
«Les sensibilités sont de plus en plus exacerbées, à fleur de peau et les réseaux sociaux n’arrangent rien. Les gens sont de plus en plus sensibles au symbolique.» - SD