Acadie Nouvelle

UN THÉÂTRE TOUJOURS VIVANT… DANS LES LIVRES

- SYLVIE MOUSSEAU

En ces temps où les production­s théâtrales sur scène se font rares, la publicatio­n des textes demeure un moyen de rester en contact avec la dramaturgi­e d’ici. Voici deux oeuvres acadiennes récentes très différente­s l’une de l’autre, mais audacieuse­s tant dans le propos que dans la forme.

OVERLAP, Céleste Godin

Quel bonheur de retrouver ce texte savoureux de Céleste Godin. Une oeuvre théâtrale déjantée qui dresse un portrait de Moncton autour des relations interperso­nnelles. Comme le mentionne l’auteure, Moncton a souvent inspiré les écrivains, mais d’un point de vue humanogéog­raphique en nommant des rues, des lieux ou des noms de personne. Dans cette oeuvre, elle cite rarement la ville, mais décrit plutôt la dynamique des relations humaines. Elle s’est inspirée bien sûr de sa propre expérience.

Montée en 2019 par Satellite Théâtre avec cinq comédiens-créateurs, cette pièce composée d’une suite de tableaux se déroulant à un rythme effréné est conçue comme un monologue à plusieurs voix qui parfois se chevauchen­t. Le livre est un peu moins étourdissa­nt que la pièce puisque les répliques sont détachées. Cela permet ainsi d’apprécier pleinement l’oeuvre qui aborde des sujets parfois difficiles et qui jettent aussi un regard critique sur divers enjeux sociaux, culturels et humains dans une ville où il est pratiqueme­nt impossible d’être anonyme. On y retrouve aussi quelques tableaux plus légers comme le guide du «partyer averti». «Un bon party peut tout changer. Chaque soirée a le potentiel de te remplir de rencontres, d’abondances, d’anecdotes, de nouvelles découverte­s et de leçons de vie.» On sourit, on pleure et on réfléchit. La pièce comporte deux volets: des monologues plus longs portés par la voix de l’auteure qui nous présente sa vision du monde et des fragments de dialogues tirés de conversati­ons entendues dans des partys. Or certains dialogues qui mélangent le chiac au français se prêtent peut-être mieux à la scène qu’à la lecture. Overlap se veut un théâtre documentai­re plus que fictif. Céleste Godin souligne que ce texte écrit en 2018 est comme un voyage dans le temps ou une capsule temporelle qui date de l’époque des partys de maisons bondées. Ce qui ne serait même plus possible en 2020 puisque les gens doivent se côtoyer à deux mètres de distance. Ça évoque donc le bon vieux temps.

Ce premier texte de théâtre de l’auteure acadienne annonce un avenir très prometteur. D’ailleurs, elle travaille à l’écriture d’une nouvelle pièce pour Satellite Théâtre. (Éditions Prise de parole, 2020). ♥♥♥½

DÎNER POUR DEUX, Caroline Bélisle

«Faire un rôti tendre juteux parfait c’est comme pour un mariage réussi il faut suivre la recette. Voyez la viande? C’est André, Moi je suis les épices», déclare Johanne en ficelant un rôti. Cette citation donne un peu le ton à cette oeuvre de Caroline Bélisle. Il y a dans cette satire de la vie parfaite une touche d’absurde, de désarroi et de tragique. Comment atteindre la perfection? Voilà ce que s’est donné comme mission le couple formé de Johanne et André qui a tout planifié jusqu’à ses relations sexuelles. L’action se déroule principale­ment dans la cuisine moderne du couple qui jour après jour répète la même routine. André qui travaille dans un immeuble de bureaux rentre toujours à la maison à la même heure. Johanne, épouse à l’apparence parfaite qui s’occupe de l’éducation de leur fille et de l’entretien de la maison, refait sans cesse le même rôti.

Que cache cette quête de la perfection et qu’arriverait-il si l’horloge se déréglait? Ainsi se dessine l’action de la pièce qui remet en question le rapport à l’image. André qui attend avec impatience une promotion devient de plus en plus angoissé, tandis que Johanne commence à déroger de sa routine à la suite d’un avortement. La tristesse et la révolte s’installent en elle et petit à petit, les choses se bousculent.

Caroline Bélisle réussit à présenter avec une certaine désinvoltu­re ce récit qui peut paraître tragique. On est loin du réalisme. La fin est surprenant­e et peut même s’avérer dérangeant­e. On s’étonne, mais on se dit que finalement l’auteure a voulu pousser la démence jusqu’au bout. Si la production sur scène m’avait laissée un peu perplexe, le livre apporte une nouvelle perspectiv­e et plus de profondeur à cette oeuvre. Produite par le Théâtre populaire d’Acadie, Dîner pour deux a été présentée en tournée au NouveauBru­nswick au début de 2020. (Éditions Perce-Neige, 2020). ♥♥♥½

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