Acadie Nouvelle

Parmi les saints

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À la fin de son encyclique sur la fraternité, François évoque Charles de Foucauld, «frère universel» assassiné au début du 20e siècle alors qu’il vivait au milieu des Touaregs musulmans en Afrique du Nord. Il a donné sa vie par amour. À la fin de ce même siècle, le glas a sonné à nouveau pour des moines assassinés à Thibirine. Parmi eux, il y a le frère Luc.

Luc était un moine cistercien. Comme ceux qui vivent à Rogersvill­e. Ces jours-ci, les pommiers de leur verger laissent tomber leurs derniers fruits. Les travaux de reconstruc­tion de la grange achèvent. Les moines mettent une autre épaisseur pour sortir dehors. Et ils gardent les souvenirs d’une saison pas comme les autres à l’hôtellerie qui a vu le nombre de retraitant­s diminuer à cause des restrictio­ns sanitaires. Moi-même, j’ai eu besoin d’y retourner. J’ai en souvenir une image qui m’a fait réfléchir.

Dans la chapelle, une fenêtre est légèrement ouverte. Un moine a probableme­nt voulu rafraîchir l’air du monastère. Il y a peut-être aussi un souci sanitaire pour faire sortir le virus; il pourrait entrer, sans avoir réservé sa place. L’air qui passe du dehors au dedans faisait danser les lames verticales du store. Je me suis demandé: qui profite le plus de l’ouverture? L’intérieur, purifié par l’air pur du dehors? Ou l’extérieur, parfumé du chant des moines?

La fenêtre ouverte d’un monastère, c’est un lien entre la vie contemplat­ive et le monde qu’elle porte dans sa prière. Au monastère de l’Atlas, à Thibirine, frère Luc a été cette fenêtre ouverte. Il faisait le pont entre la vie de prière de sa communauté et le monde musulman qui l’entourait.

Frère Luc fait partie du groupe des sept. Ce groupe ajoutait leur couleur au jardin algérien. Luc est unique par rapport à ses confrères. Il a une place à part.

D’abord, il est resté frère convers (au service) jusqu’à la fin; cela le dispensait d’avoir à assister aux nombreuses prières de la communauté.

Puisqu’il était parmi les plus anciens, il pouvait prendre un certain recul face à la violence qui a secoué l’Algérie au cours des années 1990. Lui-même avait été victime d’une première prise d’otage en 1959, 15 ans après son arrivée à Thibirine.

Il était médecin. Un moine-médecin. Cette double vocation faisait en sorte que lorsque ses mains n’étaient pas unies pour la prière, elles étaient ouvertes pour guérir.

Un dispensair­e (près de la porte d’entrée du monastère) lui permettait d’accueillir et de soigner la population locale, majoritair­ement musulmane. Il était là, à la frontière entre la vie monastique et la vie séculière.

Pour beaucoup de gens de Thibirine et des alentours, le monastère, c’était le frère Luc et son dispensair­e. À travers lui, les gens de la région pouvaient s’approcher du Christ qui apaise, guérit et réconforte. Bien des musulmans ne pouvaient participer à la prière des moines; la solidarité se vivait au dispensair­e.

La présence du dispensair­e apportait à sa communauté monastique le poids d’un réalisme évangéliqu­e. Cette profondeur se dévoile notamment à travers les témoignage­s de la population bénéfician­t des soins et de l’écoute précieuse du frère Luc. Celui-ci dira que sa tâche principale comme médecin était de rassurer les gens.

Ses écrits sont peu nombreux. Il a pourtant beaucoup médité sur la vieillesse et la mort. De la première, il disait qu’un homme âgé «n’est qu’une chose misérable, à moins que son âme chante». De la seconde, il disait qu’elle était une rencontre faite d’attentes pleines d’espérance. Pensant à sa mort, ce qui lui importait, ce n’était pas de chercher à être assuré de sa vertu, mais de savoir seulement que Dieu seul est bon.

Alors que novembre ramène à notre mémoire le souvenir d’êtres chers; alors que la nature nous convie à une méditation sur la mort; alors que l’invitation se fait pressante pour un confinemen­t personnel choisi, les mots de frère Luc portent à réfléchir. ■

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scomo@nbnet.nb.ca
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Frère Luc a été interprété d’une manière admirable dans le film de Xavier Beauvais Des hommes et des dieux par l’acteur franco-britanniqu­e Michael Lonsdale (décédé en septembre). – Archives

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