Acadie Nouvelle

Justin Trudeau a-t-il le pouvoir d’imposer un confinemen­t national?

- Bruno Cournoyer Paquin Francopres­se

L’augmentati­on du nombre de cas de COVID-19 dans plusieurs provinces augmente la pression sur le premier ministre Justin Trudeau pour qu’il impose des mesures fédérales d’urgence. Mais les pouvoirs d’Ottawa pour répondre à la crise s’avèrent plutôt limités, selon certains experts.

Jusqu’à présent, Justin Trudeau s’est montré plutôt réfractair­e à une interventi­on fédérale, précisant en conférence de presse le 17 novembre que les mesures de confinemen­t étaient «une question pour les experts médicaux et les autorités provincial­es […] Le rôle du gouverneme­nt du Canada est de supporter les provinces dans leurs décisions».

«Je pense que cette idée d’invoquer la Loi sur les [mesures] d’urgence, ou des directives agressives du fédéral, on n’est pas rendus là, j’espère qu’on ne se rendra pas là et je ne pense pas qu’on va se rendre là», a ajouté le premier ministre.

CE QUE DIT LA LOI

Pour Daniel Béland, professeur au Départemen­t de sciences politiques de l’Université McGill, à Montréal, il s’agit d’un «débat qui dure depuis le début de la pandémie.

Justin Trudeau, au début de la pandémie, avait demandé aux premiers ministres des provinces s’ils étaient d’accord de mettre en oeuvre la Loi sur les mesures d’urgence, et à l’époque ils avaient dit non». Le débat est rouvert parce que la deuxième vague a entraîné une grave détériorat­ion de la situation sanitaire dans plusieurs provinces, ajoute-t-il.

Le professeur David Robitaille, de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa, rappelle cependant que la Loi sur les mesures d’urgence ne confère pas des pouvoirs illimités au gouverneme­nt fédéral.

«Les pouvoirs du gouverneme­nt fédéral sont quand même bien balisés dans la Loi sur les mesures d’urgence. Le gouverneme­nt fédéral ne peut pas faire n’importe quoi. En temps de sinistre, par exemple une pandémie, ce que le gouverneme­nt peut faire c’est d’interdire les déplacemen­ts à l’intérieur du Canada ou de l’extérieur du pays vers le pays», explique-t-il.

La Loi confère quelques autres pouvoirs au gouverneme­nt fédéral, selon David Robitaille. «Mais, à mon avis, quand les journalist­es évoquent un confinemen­t national, dans le sens d’obliger les gens à rester chez eux, fermer des commerces et prendre des mesures très similaires et détaillées comme le font les provinces, la Loi actuelle ne le permet pas.»

En fait, explique le professeur, certains soulignent qu’une des raisons pour lesquelles le gouverneme­nt fédéral n’a toujours pas invoqué la Loi sur les mesures d’urgence est qu’elle ne lui donne pas suffisamme­nt de pouvoirs.

UNE APPLICATIO­N RISQUÉE DE LA LOI

«Le parlement pourrait adopter une loi ou modifier la Loi sur les mesures d’urgence pour permettre au gouverneme­nt d’imposer un confinemen­t national, selon David Robitaille. Il pourrait le faire avec le pouvoir d’urgence, un pouvoir constituti­onnel que les tribunaux ont reconnu au parlement et au gouverneme­nt fédéral.» Les commerces et les écoles sont de compétence provincial­e, mais en vertu du pouvoir d’urgence, le gouverneme­nt fédéral pourrait modifier la Loi pour empiéter sur la juridictio­n des provinces.

La Cour suprême a déjà reconnu que le parlement fédéral pouvait, en quelque sorte, suspendre le partage des compétence­s en temps de crise, rappelle-t-il. Mais, souligne Daniel Béland de l’Université McGill, le gouverneme­nt de Justin Trudeau est minoritair­e et il aurait besoin de l’appui d’au moins un des partis d’opposition pour modifier la Loi.

«On peut être certains que le Bloc québécois va s’opposer à ça, probableme­nt que les conservate­urs s’y opposeraie­nt aussi. Je ne sais pas pour le NPD, qui a une position différente et tend à supporter le gouverneme­nt fédéral, la centralisa­tion des pouvoirs. Mais ce serait très risqué sur le plan politique pour les libéraux de faire ça. Ce serait risqué au Québec, ce serait risqué dans d’autres régions du pays», évalue le professeur Béland. L’opposition la plus forte à l’adoption d’une telle mesure viendrait sans doute des provinces, s’entendent David Robitaille et Daniel Béland.

«Le message que plusieurs provinces ont envoyé, le Québec et l’Ontario entre autres, est qu’elles avaient besoin de plus d’argent du fédéral, de plus d’appui; mais pas de plus de contrôle», précise David Robitaille. L’invocation de la Loi serait vue par certains gouverneme­nts provinciau­x comme une autre ingérence du fédéral dans leurs champs de compétence, et plusieurs gouverneme­nts provinciau­x autonomist­es, comme le Québec et l’Alberta, y opposeraie­nt une fin de non-recevoir, ajoute Daniel Béland. Cela procurerai­t aussi une autre occasion aux premiers ministres des provinces de «faire bloc» contre Ottawa – une dynamique plutôt inusitée au Canada, mais qu’on a pu observer depuis le début de la crise, soutient David Robitaille. Si la situation continue à se détériorer dramatique­ment, cependant, le soutien populaire à une interventi­on fédérale pourrait augmenter, et les provinces pourraient céder à la demande populaire; mais Justin Trudeau n’a aucune intention d’avoir recours à des mesures d’urgence sans le soutien d’une majorité des provinces, poursuit Daniel Béland.

Il ajoute cependant qu’une interventi­on fédérale serait politiquem­ent embarrassa­nte pour certains premiers ministres provinciau­x. «Ce serait dire “on n’est pas capable de régler nos propres problèmes, donc on va appeler Ottawa”. Imaginez François Legault, Doug Ford ou Jason Kenney, ce serait difficile politiquem­ent pour eux de le faire parce que ce serait un constat d’échec», explique le politologu­e.

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- Archives Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, pourrait être tenté d’imposer des mesures fédérales d’urgence.

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