Acadie Nouvelle

CHRONIQUE DE STÉPHANIE CHOUINARD: LE ROI ET LES PIONS

- STÉPHANIE CHOUINARD

On parle beaucoup de langues officielle­s à Ottawa ces derniers temps. Depuis le discours du Trône de septembre, où le gouverneme­nt avait annoncé son intention de «renforcer [la Loi sur les langues officielle­s (LLO)] en tenant compte de la réalité particuliè­re du français», les spéculatio­ns ne cessent sur ses intentions de faire de cette promesse une réalité – et surtout, sur le moment où il décidera enfin de le faire.

Parce que la modernisat­ion de la LLO, dont la dernière révision remonte à 1988, est attendue de pied ferme. Rappelons que les libéraux en avaient fait une promesse de campagne en 2019. Le Comité des langues officielle­s du Sénat, puis celui de la Chambre des communes, ont tour à tour publié des rapports sur la modernisat­ion de la LLO cette même année, sans parler des recommanda­tions du Commissari­at aux langues officielle­s, de la Fédération des communauté­s francophon­es et acadienne, d’une pléthore d’autres organismes communauta­ires, et des consultati­ons menées par la ministre des Langues officielle­s, Mélanie Joly, sur le sujet. Tous semblent d’accord: la loi doit avoir plus de mordant pour mieux protéger les minorités de langue officielle. Pourquoi, donc, ces tergiversa­tions sans fin? C’est que les droits linguistiq­ues ont beau être conçus pour protéger les plus faibles, au Parlement, c’est toujours la loi du plus fort qui règne. Le jeu politique sur la question semble présenteme­nt plus orienté sur le Québec (et son nombre alléchant de sièges aux communes) que sur les francophon­es hors Québec, dont les votes sont peu payants. Cela transparai­t dans le comporteme­nt des partis. Le Bloc québécois presse le fédéral de protéger le français au Québec en assujettis­sant les entreprise­s de juridictio­n fédérale qui s’y trouvent à la loi 101. Que cette stratégie puisse rejaillir sur les provinces où le français est minoritair­e, on s’en préoccupe peu. Les néodémocra­tes, qui avaient presque rayé les bloquistes de la carte dix ans passés,

brillent par leur absence sur ce dossier. Les conservate­urs, pour leur part, courtisent les votes nationalis­tes de droite québécois. Ils ont récemment entamé un curieux virage idéologiqu­e sur les langues officielle­s, les renommant au passage «langues nationales». Ce néologisme serait en hommage, selon les dires du chef conservate­ur, aux «deux peuples fondateurs» du Canada, mais québécoise interpella­nt – laissant surtout planer la nation le doute sur le sort tant des francophon­es hors Québec que des peuples autochtone­s dans leur vision du pays. La ministre Joly ne se dit pas encore prête à déposer un projet de loi en chambre malgré les demandes insistante­s de l’opposition et de la société civile, annonçant plutôt à la onzième heure un «livre blanc» surprise sur les langues officielle­s, à venir au Nouvel An. On y attend des protection­s supplément­aires pour le français au Québec… juste à temps pour une prochaine élection. Encore une fois, le dossier des langues officielle­s semble être devenu le prétexte à un jeu d’échecs politique où le Québec est roi, et les francophon­es du reste du pays, les pions.

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- La Presse canadienne La ministre Mélanie Joly et le premier ministre Justin Trudeau.
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