LA FRANCOPHONIE-TOUT-COURT
Samedi soir, la Cibici française consacrait l’émission En direct de l’univers à la francophonie canadienne. Juste des tounes en français, d’un océan à l’autre, ce qui doit en avoir étonné plus d’un! À croire que le français n’est plus en déclin au pays! À croire que j’ai tort de déplorer le tsunami de tounes anglaises dans les émissions en français au réseau national!
Suffit que je le déplore pour que la Cibici française me fasse mentir la semaine suivante! Yéé.
Cela dit, samedi on a eu droit à une toune de 1755, au Lac Bijou de Zachary et quelques autres incontournables. Mais pas d’Évangéline, dont toutes les versions me font pleurer à gros bouillons. Ce qui prouve bien que la fiction peut nous faire pleurer autant que la réalité.
Parlant de fiction, la francophonie canadienne est presque toujours présentée comme une sorte d’entité ethnolinguistique qui vit exclusivement en dehors du Québec. Ça m’interpelle.
Le plus bizarre, c’est le fait que ce concept est également propagé par les francophones hors-Québec eux-mêmes; et que ces francophones sont en grande majorité des fédéralistes; et qu’à cet égard, ils ne devraient pas être naturellement enclins à «diviser» les francophones en deux clans distincts.
Autrement, c’est comme si les hors-Québec accréditaient inconsciemment l’idée que le Québec est d’ores est déjà un État différent du Canada, ou un pays souverain, si vous préférez. Un pays dans le pays, quoi!
Pourtant, je ne sais plus combien de premiers ministres du Québec se sont fait fort de déclarer au fil des ans que le Québec était le foyer central de la francophonie d’Amérique du nord. Même les premiers ministres souverainistes l’ont soutenu. Alors, où est la vérité? Est-ce du côté de la francophonie canadienne horsQuébec qui défend le fédéralisme, tout en excluant le Québec de la donne «francophonie canadienne», ou estce du côté du Québec qui, même avec des velléités souverainistes, prétend avoir des prérogatives pancanadiennes en matière de francophonie?
Dans ce contexte, où se situent – où vivent, devrais-je dire –, les deux solitudes décryptées par Hugh MacLennan dans son célèbre roman Two Solitudes, paru en 1945? Roman qui trace un portrait sans complaisance des relations dissonantes qu’entretenaient alors au Canada les anglophones et les francophones.
Beaucoup d’eau polluée a coulé sous les ponts depuis. Mais les ponts sont si mal entretenus, hélas! Suffit d’un porte-conteneurs, et tout s’écroule.
Certes, il y a eu des progrès en francophonie, ce serait injuste de le nier. Qu’on pense aux lois canadienne et niou-brunswickoise sur les langues officielles, ou à l’enchâssement dans la constitution de l’égalité des droits, statuts et privilèges de la communauté francophone de la province.
Ces prérogatives, c’est du lourd, comme disent nos cousins ancestraux, les François.
Tellement lourd, même, que je me demande si ce n’est pas la raison qui nous fait tant hésiter à s’en servir avec plus de détermination. Trop lourd pour oser les soulever? Donc, on a deux solitudes. Et même deux types de solitude. Premier type: les solitudes anglaise et française d’un océan à l’autre. Deuxième type: les solitudes canadienne et québécoise.
Quel type de solitude est le plus vrai? Lequel est le plus humain? Lequel est le plus réaliste? Lequel est le plus nuisible? À vous de trancher.
Pendant que vous tranchez, je m’interroge, du côté de la Cibici française, sur le bien-fondé de «séparer» au scalpel la francophonie canadienne de la francophonie québécoise.
Bien sûr, il y a le réseau national français et les réseaux régionaux. Chacun ses nouvelles locales. Sauf que les nouvelles locales du Québec sont trompetées de l’Atlantique au Pacifique plusieurs fois par jour, tandis qu’on laisse à celles émanant des régions hors-Québec la portion congrue.
D’accord, ça s’est amélioré. Deux, trois minutes au RDI le matin. Parfois répété au téléjournal sur la Cibici française. Yéé.
À ce rythme-là, on en a pour un demi-siècle encore avant que la réalité francophone hors-Québec ne «mérite» une heure d’antenne par jour au réseau national. Et ce, même si cette francophonie hors-les-murs-québécois est censée être incluse dans le mot «national» de l’expression «réseau national». Trouvez l’erreur.
Évidemment, cette chronique ne solutionnera pas ce contentieux des deux solitudes, que ce soit la solitude linguistique ou la solitude culturelle. Je ne fais qu’étaler des fragments d’images de ce que cette réalité représente pour les francophones du pays. Surtout quand le gouvernement central se contente d’éloges usés à la corde et de quelques subventions sonnantes pour contenter la francophonie «canadienne» tandis qu’elle décline inexorablement.
Les organismes voués à la défense et à la promotion du fait français au Canada, de même que les festivals de tout acabit en région francophone, sont souvent financés par ces oboles fédérales. C’est pourquoi il ne faut pas attendre d’eux une quelconque «révolution» linguistique ou sociale au Canada, selon le principe antique qu’on ne mord pas la main qui nous nourrit.
En attendant, on va se contenter de fredonner chacun dans son coin: les hors-Québec d’un côté et les horsCanada de l’autre. En soutenant, la main sur le coeur, qu’on forme une grande famille, que tout le monde est beau, et que tout va bien, Madame la marquise.
Ce ne sont pas les producteurs ou l’animatrice de En direct de l’univers, qui me laisse en larmes tous les samedis soir, que je vise ici. Au contraire: cette émission, qui nous rassemble autour de ce qui est un trait fort de la culture francophone d’un bout à l’autre du pays, la chanson, est un bijou télévisuel.
En revanche, je me demande s’il n’y aurait pas lieu, l’an prochain, de chanter la francophonie-tout-court, où la Cibici française mélangerait des artistes francophones de tout le pays, y compris du Québec, d’Acadie, du Yukon, alouette, car c’est tout ce beau monde ENSEMBLE qui incarne cette francophonie «canadienne» qu’on prétend vouloir célébrer.
Et pourquoi la Cibici anglaise ne diffuserait-elle pas, ce soir-là, cette fête chantée de la francophonie canadienne, avant que les nouveaux arrivants au Canada anglais ne soient tous irrémédiablement happés par l’autre solitude?
Han, Madame?
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