Acadie Nouvelle

LA FRANCOPHON­IE-TOUT-COURT

- RINO MORIN ROSSIGNOL morinrossi­gnol@gmail.com

Samedi soir, la Cibici française consacrait l’émission En direct de l’univers à la francophon­ie canadienne. Juste des tounes en français, d’un océan à l’autre, ce qui doit en avoir étonné plus d’un! À croire que le français n’est plus en déclin au pays! À croire que j’ai tort de déplorer le tsunami de tounes anglaises dans les émissions en français au réseau national!

Suffit que je le déplore pour que la Cibici française me fasse mentir la semaine suivante! Yéé.

Cela dit, samedi on a eu droit à une toune de 1755, au Lac Bijou de Zachary et quelques autres incontourn­ables. Mais pas d’Évangéline, dont toutes les versions me font pleurer à gros bouillons. Ce qui prouve bien que la fiction peut nous faire pleurer autant que la réalité.

Parlant de fiction, la francophon­ie canadienne est presque toujours présentée comme une sorte d’entité ethnolingu­istique qui vit exclusivem­ent en dehors du Québec. Ça m’interpelle.

Le plus bizarre, c’est le fait que ce concept est également propagé par les francophon­es hors-Québec eux-mêmes; et que ces francophon­es sont en grande majorité des fédéralist­es; et qu’à cet égard, ils ne devraient pas être naturellem­ent enclins à «diviser» les francophon­es en deux clans distincts.

Autrement, c’est comme si les hors-Québec accréditai­ent inconsciem­ment l’idée que le Québec est d’ores est déjà un État différent du Canada, ou un pays souverain, si vous préférez. Un pays dans le pays, quoi!

Pourtant, je ne sais plus combien de premiers ministres du Québec se sont fait fort de déclarer au fil des ans que le Québec était le foyer central de la francophon­ie d’Amérique du nord. Même les premiers ministres souveraini­stes l’ont soutenu. Alors, où est la vérité? Est-ce du côté de la francophon­ie canadienne horsQuébec qui défend le fédéralism­e, tout en excluant le Québec de la donne «francophon­ie canadienne», ou estce du côté du Québec qui, même avec des velléités souveraini­stes, prétend avoir des prérogativ­es pancanadie­nnes en matière de francophon­ie?

Dans ce contexte, où se situent – où vivent, devrais-je dire –, les deux solitudes décryptées par Hugh MacLennan dans son célèbre roman Two Solitudes, paru en 1945? Roman qui trace un portrait sans complaisan­ce des relations dissonante­s qu’entretenai­ent alors au Canada les anglophone­s et les francophon­es.

Beaucoup d’eau polluée a coulé sous les ponts depuis. Mais les ponts sont si mal entretenus, hélas! Suffit d’un porte-conteneurs, et tout s’écroule.

Certes, il y a eu des progrès en francophon­ie, ce serait injuste de le nier. Qu’on pense aux lois canadienne et niou-brunswicko­ise sur les langues officielle­s, ou à l’enchâsseme­nt dans la constituti­on de l’égalité des droits, statuts et privilèges de la communauté francophon­e de la province.

Ces prérogativ­es, c’est du lourd, comme disent nos cousins ancestraux, les François.

Tellement lourd, même, que je me demande si ce n’est pas la raison qui nous fait tant hésiter à s’en servir avec plus de déterminat­ion. Trop lourd pour oser les soulever? Donc, on a deux solitudes. Et même deux types de solitude. Premier type: les solitudes anglaise et française d’un océan à l’autre. Deuxième type: les solitudes canadienne et québécoise.

Quel type de solitude est le plus vrai? Lequel est le plus humain? Lequel est le plus réaliste? Lequel est le plus nuisible? À vous de trancher.

Pendant que vous tranchez, je m’interroge, du côté de la Cibici française, sur le bien-fondé de «séparer» au scalpel la francophon­ie canadienne de la francophon­ie québécoise.

Bien sûr, il y a le réseau national français et les réseaux régionaux. Chacun ses nouvelles locales. Sauf que les nouvelles locales du Québec sont trompetées de l’Atlantique au Pacifique plusieurs fois par jour, tandis qu’on laisse à celles émanant des régions hors-Québec la portion congrue.

D’accord, ça s’est amélioré. Deux, trois minutes au RDI le matin. Parfois répété au téléjourna­l sur la Cibici française. Yéé.

À ce rythme-là, on en a pour un demi-siècle encore avant que la réalité francophon­e hors-Québec ne «mérite» une heure d’antenne par jour au réseau national. Et ce, même si cette francophon­ie hors-les-murs-québécois est censée être incluse dans le mot «national» de l’expression «réseau national». Trouvez l’erreur.

Évidemment, cette chronique ne solutionne­ra pas ce contentieu­x des deux solitudes, que ce soit la solitude linguistiq­ue ou la solitude culturelle. Je ne fais qu’étaler des fragments d’images de ce que cette réalité représente pour les francophon­es du pays. Surtout quand le gouverneme­nt central se contente d’éloges usés à la corde et de quelques subvention­s sonnantes pour contenter la francophon­ie «canadienne» tandis qu’elle décline inexorable­ment.

Les organismes voués à la défense et à la promotion du fait français au Canada, de même que les festivals de tout acabit en région francophon­e, sont souvent financés par ces oboles fédérales. C’est pourquoi il ne faut pas attendre d’eux une quelconque «révolution» linguistiq­ue ou sociale au Canada, selon le principe antique qu’on ne mord pas la main qui nous nourrit.

En attendant, on va se contenter de fredonner chacun dans son coin: les hors-Québec d’un côté et les horsCanada de l’autre. En soutenant, la main sur le coeur, qu’on forme une grande famille, que tout le monde est beau, et que tout va bien, Madame la marquise.

Ce ne sont pas les producteur­s ou l’animatrice de En direct de l’univers, qui me laisse en larmes tous les samedis soir, que je vise ici. Au contraire: cette émission, qui nous rassemble autour de ce qui est un trait fort de la culture francophon­e d’un bout à l’autre du pays, la chanson, est un bijou télévisuel.

En revanche, je me demande s’il n’y aurait pas lieu, l’an prochain, de chanter la francophon­ie-tout-court, où la Cibici française mélangerai­t des artistes francophon­es de tout le pays, y compris du Québec, d’Acadie, du Yukon, alouette, car c’est tout ce beau monde ENSEMBLE qui incarne cette francophon­ie «canadienne» qu’on prétend vouloir célébrer.

Et pourquoi la Cibici anglaise ne diffuserai­t-elle pas, ce soir-là, cette fête chantée de la francophon­ie canadienne, avant que les nouveaux arrivants au Canada anglais ne soient tous irrémédiab­lement happés par l’autre solitude?

Han, Madame?

 ?? - ARCHIVES ?? JE M’INTERROGE, DU CÔTÉ DE LA CIBICI FRANÇAISE, SUR LE BIEN-FONDÉ DE «SÉPARER» AU SCALPEL LA FRANCOPHON­IE CANADIENNE DE LA FRANCOPHON­IE QUÉBÉCOISE.
- ARCHIVES JE M’INTERROGE, DU CÔTÉ DE LA CIBICI FRANÇAISE, SUR LE BIEN-FONDÉ DE «SÉPARER» AU SCALPEL LA FRANCOPHON­IE CANADIENNE DE LA FRANCOPHON­IE QUÉBÉCOISE.
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada