Acadie Nouvelle

LA CACOPHONIE DES NI-NI

- RINO MORIN ROSSIGNOL morinrossi­gnol@gmail.com

Avez-vous suivi la visite du premier ministre français Gabriel Attal? Tout un branle-bas médiatico-politique, han? C’est dans ces moments-là qu’on voit jusqu’à quel point on est en mal de reconnaiss­ance des autres (surtout des Français) pour s’assumer simplement et dignement, en tant que francophon­es en Amérique. On en devient parfois obséquieux, et ça m’énerve.

Certes, Attal n’est pas allé en Acadie, mais vous verrez, si le président Emmanuel Macron vient en Acadie cet été, ce sera le même charivari, avec encore plus de courbettes, de révérences et de grandiloqu­ence pas toujours bien synchronis­ées!

Évidemment qu’on n’est pas malintenti­onné. C’est juste qu’on a de la difficulté à se débarrasse­r de nos complexes d’infériorit­é face à l’hégémonie de ce qu’on a longtemps appelée la mère-patrie.

Il ne faut pas s’en étonner. La France – lire: son histoire, son prestige, sa gloire, sa richesse – n’est pas apparue dans le décor par magie. Il lui en fallu des années pour devenir ce qu’elle est devenue. Nous n’en sommes qu’un rameau. Un jour, à Paris, un ami acadien, désignant la cathédrale Notre-Dame de Paris m’a dit: «Imagine, lorsque l’Acadie a été fondée, cette cathédrale avait déjà quatre-cents ans!». Ça remet les choses en perspectiv­e!

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Donc, Gabriel Attal s’amène au pays avec sa jeunesse, sa bonhomie, son sourire, son éloquence. L’homme est bien aimé des Français: sa parole est claire, sa déterminat­ion est efficace, sa simplicité est contagieus­e.

Après un séjour de quelques mois au ministère de l’Éducation où il a brillé, ce n’est pas étonnant qu’il ait été propulsé à Matignon, ne serait-ce que pour rajeunir et rafraîchir l’image du gouverneme­nt au moment où s’annoncent des élections européenne­s susceptibl­es d’imposer une cuisante défaite aux troupes macronienn­es.

En effet, elles devront batailler ferme contre celles du Rassemblem­ent national qui, sous la houlette d’un autre jeune, Jordan Bardella, ont le vent dans les voiles. Mine de rien, la France entre dans une nouvelle époque politique en faisant place à une nouvelle génération de personnali­tés politiques, toutes marquées du sceau de la jeunesse ambitieuse et prometteus­e.

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Justement, à l’Assemblée nationale du Québec, Gabriel Attal a livré un discours exaltant les vertus de la jeunesse. Après une introducti­on un brin lyrique dans laquelle il retraçait les grandes lignes de l’histoire française au Québec, il a bifurqué vers les enjeux de rapprochem­ent et de développem­ent économique.

Il n’a pas cité l’Acadie, nommément, à mon grand regret, puisqu’il était en visite officielle au Québec, mais il est permis d’espérer que le président Macron saura remettre les pendules à l’heure lors de sa visite prévue en juillet prochain. Bien qu’à cet égard, il ne faille pas s’attendre à des épanchemen­ts à vif sur la Déportatio­n et ses conséquenc­es. Plus technocrat­e que prophète, Macron semble plus américanop­hile que francophil­e.

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J’aime beaucoup Gabriel Attal et j’ai grandement apprécié ce discours qui mettait en évidence ses qualités de rassembleu­r.

Rassembleu­r, d’accord, mais pas pour la brochette de députés de Québec solidaire qui lui ont fait faux bond à l’Assemblée nationale.

Oubliant le vieux précepte qui veut que les absents aient toujours tort, les députés absents de Québec solidaire auraient voulu prendre leur distance d’un premier ministre venu prêcher la bonne nouvelle de l’Accord économique et commercial global (AEGC) entre l’Union européenne et le Canada (en anglais CETA).

Cet accord, même s’il est en vigueur en partie depuis 2017, doit toujours être ratifié par l’Assemblée nationale française. Mais la gauche radicale s’y oppose, en particulie­r cette de La France Insoumise (LFI) de Mélenchon, éternel empêcheur de tourner en rond de la politique française.

Par solidarité sans doute, les députés absents auront voulu copier les Insoumis, tout occupés à jouer les troublefêt­e à l’Assemblée nationale française, par une sorte de mimétisme aussi infantile qu’inutile.

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Parmi ces absences, on a fait état de celle de la députée Ruba Ghazal. Née au Liban dans une famille palestinie­nne, Madame Ghazal milite fortement pour les Palestinie­ns, ce qui est tout à son honneur. Gabriel Attal, en revanche, est d’origine juive et chrétienne.

Je me suis demandé s’il n’y avait pas là une relation de cause à effet, surtout qu’elle s’objectait, pas plus tard que la semaine dernière, à l’ouverture d’un Bureau du Québec à Tel Aviv.

C’est dans ces détails apparemmen­t anodins que l’on constate jusqu’à quel point le conflit israélo-palestinie­n peut faire tache d’huile sur la planète. Ce conflit est devenu une pomme pourrie qui contamine tout le panier.

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Autre fait notable de la visite d’Attal: la résurrecti­on du ni-ni. La fameux ni-ni qui sonne nono.

On sait que la France avait promis «ni ingérence, ni indifféren­ce» dans les relations entre le Québec et le Canada. On n’en parlait plus, surtout que le premier ministre québécois François Legault, autrefois souveraini­ste, avait décidé et annoncé qu’il n’avait pas l’intention de remettre en question le lien actuel du Québec avec le Canada.

Bien sûr, cela n’a pas plus aux souveraini­stes et même à une certaine classe médiatique habituée à faire ses choux gras de la vieille chicane entre souveraini­stes et fédéralist­es. Pas étonnant qu’un journalist­e ait relancé le premier ministre français à ce sujet en lui sortant le «ni-ni».

Et pendant deux jours, ce fut la cacophonie des ni-ni. In-sup-por-ta-ble!

Évidemment, le Parti québécois a sauté dans l’arène. Fort de ses quatre députés depuis sa victoire électorale dans l’élection partielle de Jean-Talon, en octobre dernier, le PQ parle et agit comme s’il était déjà assuré de reprendre le pouvoir aux prochaines élections provincial­es prévues en 2026.

Oubliant qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, le chef du parti, Paul St-Pierre Plamondon, a même promis un référendum au prochain mandat péquiste! Celui de la dernière chance, a-t-il lancé. Comme confiance, on a déjà vu mieux!

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Finalement, au lieu de célébrer la grande visite, on en a profité pour gratter nos bobos, pour relancer de vieilles chicanes et pour se remettre à parler en bébé! Des fois, je désespère de nous!

Han, Madame?

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- PC: JACQUES BOISSINOT LE PREMIER MINISTRE DE LA FRANCE, GABRIEL ATTAL, S’EST ADRESSÉ À L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU QUÉBEC.
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