BUCAREST DE L’INTÉRIEUR
Cinq créateurs locaux voient la beauté derrière le brutalisme.
POUR LES VOYAGEURS AVENTUREUX DÉSIRANT EXPLORER les trésors cachés de la ville, la capitale roumaine pose plusieurs défis. Les rues pavées sinueuses se séparent et s’égarent, et tous ces trésors cachés...restent très bien cachés. La meilleure façon de visiter Bucarest est au bras d’un résident au fait des cafés les plus agréables, des plus chics boutiques et des parcs les plus charmants. Pas d’amis à Bucarest ? Pas de soucis : nous avons demandé à cinq initiés créatifs de nous montrer la beauté derrière le brutalisme.
BUCAREST N’EST PAS GRANDIOSE, COMME BUDAPEST ou Prague : nos dirigeants communistes n’ont pas été tendres avec le patrimoine architectural urbain. Mais derrière tout ce béton, il y a des signes encourageants de renaissance, en particulier le Bucharest Creative Cluster. Il y a cinq ans, un groupe d’entrepreneurs ambitieux a sauvé de la démolition une filature de coton délabrée de l’ère soviétique. Nod Makerspace, un atelier collaboratif de travail et de menuiserie, et Mater, plus importante bibliothèque d’outils d’Europe du Sud-Est, y forment un pôle qui attire un nombre croissant de designers indépendants et d’artisans, et ceux-ci vendent leurs produits dans des marchés qui se tiennent régulièrement dans l’édifice. Sur le toit, qui domine la Dâmbov ia, le Deschis Gastrobar (photo du haut) propose des cabanas et un grand carré de sable qui plaisent aux jeunes familles. Et le menu est excellent : j’adore la salade de crevettes et d’avocat. À quelques stations de métro du centre-ville animé, l’ambiance y est sereine et détendue. »
DURANT LES ANNÉES DE PAIX AVANT LA PREMIÈRE GUERRE mondiale, l’élite bucarestoise s’est tournée vers Paris en quête de nouveauté. Nos architectes sont allés y étudier, en ont ramené des influences art nouveau et de style Beaux-Arts et ont construit tant d’édifices d’inspiration française que les visiteurs ont surnommé Bucarest le Paris de l’Est. Le parc Ion Voicu est un ravissant témoin de cette époque : il s’inspire du parc Monceau de Paris, avec ses étangs, ses sentiers sinueux et son ponceau à parapet de bois. C’est un des rares endroits en ville à être doté de bancs (photo ci-contre) et de pelouses où pique-niquer… mais contrairement aux Français, nous buvons plutôt de la bière que du vin. On passe aisément à côté sans le voir, car il est presque entièrement cerné de grandes villas à la française où les nantis et les notables locaux vivent depuis plus d’un siècle. Il n’y a que trois portes, ménagées entre les maisons, ce qui ajoute à la tranquillité. J’aime toujours ce moment où, ayant passé entre les maisons, je vois soudain la verdure s’étaler sous mes yeux. C’est fou qu’il ait survécu au communisme, quand tant d’espaces ont été démolis et remplacés par des horreurs en béton. On y ressent une impression romantique d’un autre temps. »
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BUCAREST FAIT LA PART BELLE AU DESIGN, À LA mode et aux objets domestiques contemporains. MBQ, qui a ouvert il y a trois ans au centre-ville, est une boutique dirigée par Andrei M. Georgescu (photo, page de droite), un militant social qui oeuvre à la préservation et à la promotion des traditions roms. Tout ce qu’on y vend est fabriqué par des artisans de groupes marginalisés, particulièrement des Roms, qui sont ostracisés en Europe et dans d’autres parties du monde. Ces derniers vivent souvent dans des communautés migrantes et peinent à trouver des emplois stables ; la vente de leur artisanat traditionnel (style boucles d’oreilles penniformes et bracelets en argent inspirés par le mythique oiseau Charana) contribue donc à générer des revenus. J’ai acheté plusieurs objets ici, dont une cuillère de cuisine rom en bois de peuplier. Les Roumains aiment les cuillères en bois parce qu’ils estiment que le bois ajoute merveilleusement à la saveur. »
JE NE SUIS PAS CROYANT, MAIS, LORSQUE J’ÉTAIS enfant, j’ai accompagné ma mère dans de nombreuses églises orthodoxes. Ce sont des reliques byzantines de notre passé précommuniste (tous ces bulbes et ces riches fresques) qui ont eu un grand effet sur moi. Les monastères sont de vieux édifices de grès, souvent coupés du reste du monde, avec des cours isolées. J’étais attiré par leur simplicité austère, de même que par le rituel de l’eucharistie. Ils ont inspiré ma déco du restaurant Pâine i Vin, ce qui signifie “pain et vin” (photo en haut à droite). On y trouve de grandes tables (photo ci-contre) et aucun miroir ; c’est ainsi que les moines roumains ont vécu pendant des siècles. Les vins roumains qu’on y sert sont excellents, et il sort du four à bois de la cuisine à aire ouverte plusieurs mets à base de farine tels que pizzas, flammekueches et pain croquant suédois.
C’est un menu délicieusement riche en glucides. »