La mystérieuse disparition des orignaux
Dans plusieurs régions du Canada, les populations de ces animaux étranges et bien-aimés s’effondrent rapidement—tandis qu’ailleurs, la surabondance est malsaine. Maladies et parasites? Chasse excessive? Changements climatiques? Les experts sont incapables de s’entendre.
Dans plusieurs régions du Canada, les populations de ces animaux étranges et bien-aimés s’effondrent rapidement — tandis que, dans d’autres régions, la surabondance est malsaine. Problèmes de maladies et de parasites? Chasse excessive? Changements climatiques? Toutes ces réponses. Les experts sont incapables de s’entendre sur les causes de ce qui arrive et sur les façons d’y remédier.
QUAND ON ENTEND « ORIGNAL FANTÔME », les images qui viennent à l’esprit sont celles de zombies et d’animaux tout droit sortis des Pirates des Caraïbes. Mais dans les forêts du Canada et du nord des États-Unis se joue un drame autrement plus terrifiant que tout ce que les films d’horreur pourraient nous montrer.
Imaginez-vous un enjeu de vie et de mort où un petit parasite, appelé tique d’hiver, se laisse tomber dans le pelage des orignaux à l’automne et s’y accroche solidement. Puis, à diverses reprises pendant l’hiver, ces tiques sont en position pour se gorger du sang du cervidé. Imaginez maintenant que ces tiques peuvent se compter par dizaines de milliers sur un même animal.
Les hôtes tourmentés se frottent sur les arbres pour soulager leurs démangeaisons, et ce faisant, arrachent leur pelage brun foncé, ce qui laisse apparaître un sous-pelage beaucoup plus pâle au-dessous. Arrive le printemps et surgissent des bois ces fantômes sur quatre pattes à l’aspect blanchâtre — si les orignaux grands et petits ont simplement réussi à survivre.
Ce triste scénario se répète de plus en plus souvent depuis une vingtaine d’années. Pire, ce n’est qu’un élément d’une tendance plus large qui a vu les populations du grand cervidé iconique diminuer dans une proportion croissante de son extension nord-américaine — avec un déclin de 20, 40 ou même 50 % et plus. « Dans certains territoires, il faut parler d’effondrement », dit Dave Pearce, directeur de la conservation des forêts à la Wildlands League de Toronto de la Société canadienne pour la nature et les parcs.
À part des tiques, la liste des facteurs connus et soupçonnés s’étend aux autres parasites et nuisibles, à la chasse excessive, aux prédateurs, aux changements climatiques, à la destruction des habitats, au braconnage, aux collisions avec des véhicules et encore d’autres. Mais voilà le hic : si l’on connaît les causes potentielles, les experts ne s’entendent toujours pas sur les facteurs en jeu dans le déclin des orignaux dans diverses régions. Et pour compliquer encore un peu les choses, dans certaines régions du pays, les orignaux sont en augmentation. « Nous ne comprenons pas vraiment les facteurs en jeu », dit Dan Bulloch, directeur des services de programmes fauniques du ministère manitobain du Développement durable. « Et nous ne savons pas non plus comment les choses varient d’une région à l’autre. »
Thomas Millette, géographe et spécialiste de la cartographie de la faune à partir de relevés aériens au Collège Mount Holyoke du Massachusetts, qui étudie actuellement les orignaux avec le gouvernement de la Nouvelle-Écosse, décrit la situation comme « un peloton d’exécution de menaces. Quand vous additionnez les facteurs, vous êtes certain de constater la régression des populations ».
Les sirènes d’alarme retentissent. D’un océan à l’autre, les gestionnaires de la faune, les biologistes, les groupes de conservation, les communautés autochtones et les pourvoyeurs et chasseurs non autochtones ont entrepris, à des degrés divers, de mieux comprendre la situation pour y chercher des solutions. Au Manitoba, par exemple, la province a imposé depuis 2011 des fermetures de la chasse à des fins de conservation dans certaines régions
L’Ontario a créé son Projet Orignal en 2014 pour encadrer des initiatives de gestion destinées à alléger la pression sur les bêtes. L’an dernier, la Colombie-Britannique a accepté 21 recommandations contenues dans un rapport sur le rétablissement de l’orignal et a investi 1,2 M$ dans de nouvelles mesures de gestion de l’espèce. En ce moment même, en Nouvelle-Écosse continentale, où la chasse est interdite depuis des décennies et où l’orignal de l’Est, indigène, est classé comme une espèce en voie d’extinction depuis 2003, le ministère des Ressources naturelles collige des données sur les populations pour mettre à jour une stratégie provinciale de rétablissement de l’orignal vieille d’une dizaine d’années.
Tout le monde n’admet pas que la situation générale en est une de crise. Gerry Redmond, biologiste à la retraite du gouvernement du Nouveau-Brunswick, observe que « les populations animales sont dynamiques; les hauts et les bas sont naturels ».
Et de fait, les populations d’orignaux sont stables dans certaines régions, tandis qu’elles semblent croître par endroits, comme au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan. Finalement, il faut s’arrêter aussi à la situation de Terre-Neuve et du Cap-Breton, où les orignaux sont si abondants qu’il faut parler d’un problème de surpopulation plutôt que de déclin — un contexte que les biologistes et les gestionnaires qualifient d’hyperabondance.
Ce qu’il y a de différent à propos de ces situations, toutefois, c’est que les conditions sont spécifiques au lieu et que les facteurs sous-jacents sont plus simples et mieux compris, en comparaison avec les circonstances controversées des milieux où les orignaux sont en déclin.
POUR APPRÉCIER LA COMPLEXITÉ des enjeux des orignaux au Canada, il est utile de rappeler quelques faits de base. L’orignal ou élan (Alces alces), le plus grand membre de la famille des cervidés, est présent dans toutes les provinces et territoires, sauf l’Île-du-Prince-Édouard. Le mot « orignal » dérive de la langue basque et est déjà mentionné dans les récits de Champlain. En anglais, « moose » proviendrait d’un mot algonquien qui désigne un « mangeur de brindilles » — et effectivement, l’alimentation de l’animal se compose de tiges, de bourgeons, d’écorces et de feuilles, de même que de nénuphars et d’autres plantes aquatiques.
Des décomptes récents évaluent à 500 000 leur population totale au Canada. On reconnaît deux sous-espèces principales, l’orignal du Nord-Ouest et l’orignal de l’Est, dont les extensions traditionnelles se rencontrent au lac Supérieur; une troisième sous-espèce montagnarde se trouve dans le sud de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, tandis que les territoires (T. N.-O, Yukon et Nunavut) partagent une quatrième sous-espèce avec l’Alaska.
Les orignaux de l’île du Cap-Breton constituent une exception singulière : ils sont de la sous-espèce du NORDOUEST, descendants des 18 élans importés dans la province par Parcs Canada dans les années 1940, après l’extinction de la population originale à cause de la chasse au 19e siècle. Les orignaux terre-neuviens descendent aussi d’une poignée d’immigrés — quatre orignaux de l’Est importés du Nouveaubrunswick en 1904 et dont les descendants constituent aujourd’hui une population estimée à 115 000 animaux.
Dans ces deux situations, le « statut d’immigrant » explique bien l’hyperabondance actuelle. Terre-Neuve n’avait pas d’orignaux indigènes et pas non plus de loups ou de prédateurs autres qu’humains. L’île offrait aussi une abondance de bons habitats. Les conditions sont similaires au Cap-Breton : les immigrants de l’ouest, plus grands, ont, dans une large mesure, été protégés des chasseurs dans le parc national des Hautes Terres du Cap-Breton.
Historiquement, la même surexploitation par les colons européens qui a fait disparaître l’orignal du Cap-Breton a aussi fait des ravages dans la majeure partie de l’est du pays. En fait, l’histoire de l’orignal de l’Est pour la majeure partie du siècle dernier en est d’abord une de rétablissement.
La remontée a toutefois été de courte durée en NOUVELLEÉCOSSE continentale, à cause de la taille relativement petite de la péninsule et des pressions de l’exploitation des ressources et de l’urbanisation. Au moment où la province a décrété l’espèce en voie d’extinction en 2003, la population ne comptait plus qu’entre 1 000 et 1 200 animaux. « Nous envahissons leur habitat, nous le modifions, nous le fragmentons, et ils n’ont plus nulle part où aller », dit Karen Beazley, professeure à l’École des études sur les ressources et l’environnement de l’Université Dalhousie à Halifax et co-auteure d’un rapport sur les orignaux en Nouvelle-Écosse qui servit de base à la première stratégie de rétablissement de l’espèce pour la province en 2007.
Malheureusement, dix ans plus tard, on ne constate aucun changement lié à cette stratégie ou dans la tendance de l’espèce vers l’extinction. Selon Randy Milton, gestionnaire de la faune au ministère néo-écossais des Ressources naturelles, les résultats préliminaires d’un échantillonnage de la population par relevés aériens l’hiver passé par le spécialiste Millette montrent que le déclin se poursuit. D’autres relevés seront nécessaires l’hiver prochain avant que Milton puisse s’avancer sur des estimations fermes, mais il reconnaît être inquiet du fait que les populations déjà faibles puissent se trouver « dramatiquement réduites ».
Tout près, au Québec, on s’inquiète surtout des populations du sud et de l’ouest. Au cours de la dernière décennie, la tique d’hiver (Dermacentor albipictus) est devenue quasi omniprésente. Une étude menée en 2014 a trouvé que 93 % des orignaux observés au sud du Saint-Laurent étaient infestés par les tiques. Le sud est aussi la région qui a connu le plus fort déclin, tandis que la population globale de la province (évaluée à 110 000 en 2010) est encore considérée comme robuste.
Plus à l’ouest, en Ontario, la population d’orignaux a connu son dernier sommet vers 2004, selon Patrick Hubert, biologiste de la faune et conseiller en politiques au ministère ontarien des Ressources naturelles et de la Foresterie. Depuis, la population estimée a décliné de 20 à 25 %, jusqu’à un total d’environ 92 000 têtes. « Nous sommes préoccupés, dit Hubert. Nous avons besoin d’intervenir pour maintenir une population en bonne santé. »
On s’inquiète particulièrement des régions où les populations de cervidés sont en diminution. La chute est
POUR BEAUCOUP D’HABITANTS DU NORD, OÙ LA NOURRITURE COÛTE DEUX FOIS PLUS CHER QUE DANS LE SUD DU CANADA, LA SANTÉ DE LA POPULATION D’ORIGNAUX EST, AU FINAL, UN ENJEU DE SÉCURITÉ ALIMENTAIRE.
« SI LE PUBLIC VEUT AVOIR DES ORIGNAUX DANS LE PAYSAGE EN PLUS GRAND NOMBRE, DIT UN EXPERT, ALORS IL FAUT INSCRIRE CET OBJECTIF PARMI LES FONDEMENTS DE NOTRE GESTION DU TERRITOIRE. »
plus sensible au nord et à l’ouest — « le territoire traditionnel des orignaux », dit Hubert — tandis qu’elles se maintiennent au centre et au sud de la province.
À ce jour, le Projet Orignal de la province n’a apporté que de modestes changements dans la durée et les dates de la saison de chasse, tant pour les adultes que pour les jeunes. Une proposition associée visant à élargir la chasse et le trappage des loups pour diminuer leur impact sur les orignaux a été abandonnée à cause des protestations du public.
Plutôt que de réclamer le contrôle des prédateurs, Dave Pearce de la Wildlands League déclare que l’Ontario devrait éliminer la chasse des jeunes. « Nous ne sommes pas contre la chasse ou pour la chasse. Mais dans une situation comme celle-ci, avec la population en déclin et très peu de restrictions sur la chasse aux jeunes orignaux, ça m’apparaît pour le moins contradictoire », dit Pearce. Selon Mark Ryckman, biologiste en chef de la Fédération ontarienne de la chasse et de la pêche, dans une entrevue à la radio de la CBC, « la vaste majorité des chasseurs ne désire pas tuer un jeune. » La position de la Fédération est qu’avant d’interdire complètement la chasse des jeunes, la province devrait attendre de constater les résultats de la réduction de 50 % de la récolte des jeunes décrétée en 2015.
Pearce et Hubert sont d’accord sur les indices qui signalent que d’autres menaces en émergence font leurs ravages chez les orignaux. Alors que la tique d’hiver est plus répandue au sud comme au Minnesota, au Michigan et dans des secteurs de la Nouvelle-Angleterre, on a des preuves qu’elle remonte vers le nord, profitant des changements climatiques. Les hivers froids et la couverture neigeuse tardive imposaient une limite au nombre des tiques.
Une autre forme de maladie, appelée ver des méninges (Parelaphostrongylus tenuis) — un parasite véhiculé par le cerf de Virginie et qui est beaucoup plus mortel pour les orignaux que pour les autres cerfs, attaquant leur système nerveux central — constitue un problème partout où les territoires de deux espèces se chevauchent. Et alors que la population des chevreuils grandit et progresse vers le nord, le parasite progresse aussi. Pour alourdir la menace, on trouve d’autres facteurs d’origine humaine, en particulier la multiplication des chemins forestiers. « Nous savons que ces chemins facilitent l’accès des chasseurs, mais améliorent aussi l’efficacité des déplacements de certains prédateurs », dit Hubert. Mais chaque fois qu’on soulève la possibilité de fermer ou de restreindre l’accès à ces chemins forestiers, « cela fait l’objet de vives controverses ».
Au Manitoba, où les enjeux se déplacent entièrement vers les orignaux du Nord-Ouest, les défis ne sont pas très différents. La population des orignaux y est plus petite qu’en Ontario — moins de 30 000 selon le gestionnaire de la faune Bulloch —, mais la variété des défis et des réponses est considérable. « Les populations sont en déclin au sud de
Le Pas, dit Bulloch. Nous l’observons maintenant depuis 10 ans. » Comme noté plus haut, la province a commencé à fermer à la chasse des aires de gestion de la faune en 2011 — et deux de ses régions les plus productives d’orignaux — et y a ajouté plusieurs autres depuis. Une petite région fermée, celle du mont Turtle, sur la frontière du Dakota Nord, est passée de région sans orignaux avant les années 1970 à une vague de peuplement puis à un déclin rapide ensuite.
En conjonction avec les fermetures, la province a aussi autorisé une expansion limitée de la chasse au loup et des abattages de cerfs. « Nous avons lancé ces actions comme un essai à court terme, en même temps que les premières fermetures, dit Bulloch. Notre idée est de fournir aux orignaux la chance de donner un élan à leur rétablissement. Ce n’est pas quelque chose que nous souhaitons soutenir pour une longue période. »
Du point de vue de la gestion, le Manitoba a réussi à bien aborder l’enjeu d’associer ses populations autochtones et métisses à ses interdictions de chasse — même si les droits issus de traités de ces groupes à l’égard de la chasse à l’orignal ne tombent sous la juridiction provinciale que de façon limitée. « Nous avons posé la question à nos conseillers constitutionnels et l’on nous a dit que fondamentalement nous pouvons agir si nous sommes capables de le justifier, mais nous devons passer par une démarche de consultation, ce que nous avons fait, et il semble que nous nous en sommes bien tirés », dit Bulloch.
Gérer cette dynamique constituera une course à obstacles significative dans chaque province si des gestes plus radicaux sont nécessaires pour freiner le déclin des orignaux. Actuellement, dans la majeure partie du pays, on constate des tensions entre les groupes autochtones et non autochtones et entre chasseurs du nord et du sud quand se pose la question de savoir qui est davantage responsable du déclin des orignaux.
Bulloch dit qu’avant que l’une des régions actuellement fermées à la chasse puisse être rouverte, il faudra tenir « des discussions avec tous les groupes intéressés : Autochtones, Métis et les détenteurs de permis de chasse ».
Il remarque aussi que, si la chasse excessive a constitué un facteur dans la diminution du nombre des orignaux, ce n’est pas le seul. « Si vous observez la région sud-est de la province, c’est-à-dire au nord du Minnesota et à côté de l’Ontario, ces régions ont aussi connu des déclins importants. Pourtant, au Minnesota, il n’y a pas eu de chasse depuis plusieurs années. »
Vince Chrichton, vice-président canadien de la Fondation nord-américaine pour les orignaux, est un expert reconnu de la biologie et de la gestion des orignaux, au point qu’on le surnomme Dr Moose. Il a récemment pris sa retraite après 40 ans au service de ce qui s’appelle aujourd’hui la Direction de la protection de la faune et des écosystèmes du Manitoba. Il a été élevé dans le centre-nord de l’Ontario, où son père travaillait en gestion de la faune, et il se souvient de quand il allait dans la Réserve de chasse de la Couronne de Chapleau, qui avec ses 7 000 km2 est la plus grande du monde. « Nous pouvions voir 10 ou 12 orignaux dans un avant-midi.
Aujourd’hui, je perdrais mon temps. » Dans les régions où la population est en déclin, il revendique avec insistance des restrictions sévères sur de multiples facteurs comme les chemins forestiers et la chasse (par toutes les parties). « Quand les populations diminuent ainsi, les impacts des maladies, de la prédation, de la mortalité par accident pèsent davantage. »
Il y a beaucoup de ressemblance entre la situation du sud-ouest du Manitoba et la Saskatchewan voisine, c’est-àdire que la population y est en croissance. Pour expliquer cette tendance, les scientifiques et les gestionnaires citent l’absence des prédateurs traditionnels, en particulier les ours et les loups. Certains pointent le regroupement des fermes en vastes propriétés qui entraîne la dépopulation rurale. Il y a de moins en moins de gens dans ces régions et donc de moins en moins de chasseurs. Cela pourrait toutefois changer, du moins en Saskatchewan, où le gouvernement a introduit une saison de chasse formelle dans les districts où le cervidé est le plus abondant.
IL Y A 15 OU 20 ANS, quand il devint évident combien l’infestation du dendroctone du pin causerait de dommages aux forêts de Colombie-Britannique, les gens ont évidemment pensé d’abord aux arbres... Mais la dévastation s’est avérée quasiment aussi grave pour les orignaux.
Dans l’ouest comme ailleurs, les populations d’orignaux varient de région en région et les facteurs qui en déterminent les tendances sont aussi diverses que celles énumérées jusqu’à maintenant. Toutefois, selon Al Gorley, consultant
en foresterie et auteur de la stratégie de rétablissement de l’orignal pour le gouvernement de la C.-B., « une des régions où les déclins les plus importants se sont produits sont les mêmes qui ont connu d’immenses éclosions de dendroctones suivies d’importants efforts de récolte pour récupérer les arbres morts. »
Les résultats de la récolte consécutive au dendroctone? Un manuel sur comment ne pas gérer les populations fauniques. La récolte intense, explique Gorley, a entraîné l’ouverture de multiples chemins, qui à leur tour ont ouvert le milieu aux chasseurs et aux prédateurs. S’ensuivit un effondrement des populations d’orignaux. Ailleurs dans la province, l’expansion intensive des infrastructures gazières et pétrolières et des lignes de transmission électriques a eu des impacts similaires. Mais plutôt que de fermer des chemins et de freiner l’expansion, la réaction initiale de la province a été de commencer à abattre des loups. C’est seulement l’an dernier que la province a aussi annoncé des mesures visant à réduire la chasse et entrepris de restaurer des habitats.
Le rapport de Gorley, accepté intégralement par le précédent gouvernement de la C.-B., adopte un angle complètement différent. Publié un an après que la province eut adopté un nouveau cadre de gestion pour l’orignal, il appelle des mesures fondées sur une intention explicite de faire du rétablissement des orignaux un objectif des politiques publiques. « Il y a toutes sortes d’interventions tactiques que les gens aimeraient faire pour aider les orignaux, mais, à mon avis, si le public veut avoir des orignaux dans le paysage en plus grand nombre, alors il faut
inscrire cet objectif parmi les fondements de notre gestion du territoire », dit Gorley.
Du côté de l’exploitation forestière, par exemple, cela impliquerait d’exiger des compagnies forestières des plans d’intendance de la forêt — qui doivent être approuvés avant qu’elles soient autorisées à récolter — qui intègrent l’objectif d’accroître les populations d’orignaux en protégeant ou en créant une certaine quantité d’habitat. « Puis, on pourrait demander à ces compagnies de décrire dans leur plan comment elles vont aménager cela ou l’incorporer proactivement dans leur exploitation. »
Comme au Manitoba, les relations entre les Premières Nations et les chasseurs non indigènes constituent une portion importante du casse-tête de la gestion de l’orignal en C.-B. Il y a plus de 100 Premières Nations dans la province et nombre d’entre elles ont des orignaux sur leur territoire. Certaines ont « des approches très structurées à la gestion des orignaux », dit Gorley, tandis que d’autres n’en ont pas. Pour sa part, la province « n’a virtuellement aucun outil pour gérer la chasse autochtone ». Essentiellement, « il y a deux juridictions pour gérer un orignal ».
Pour l’avenir, il croit beaucoup au domaine émergent d’accords « de collaboration et de cogestion » entre le gouvernement et les Premières Nations individuelles. Récemment, on a conclu un certain nombre d’ententes, dans des secteurs couverts par des traités et des secteurs non couverts, pour gérer différentes ressources. Gorley cite dans son rapport un exemple qui porte sur le wapiti dans l’île de Vancouver. « La province et la Première Nation coordonnent leurs activités, explique-t-il. La Première Nation établit un quota, émet des étiquettes et impose des limites à ses propres membres dans un effort parallèle à celui du gouvernement. On voit de la lumière dans ça. »
De manière similaire, une collaboration enrichie pourrait prendre place partout au pays. On trouve déjà beaucoup de partage d’informations formel et informel entre les planificateurs et les gestionnaires des différentes provinces, même si leurs actions sont circonscrites à leurs propres territoires. Pourtant, les orignaux et les menaces qui pèsent sur eux — les menaces qui émanent de nous — ne connaissent pas de telles frontières. « Nous allons plus loin vers le nord et plus loin vers l’intérieur des terres, dit Beazley de l’Université Dalhousie. Avec les changements climatiques, ces impacts se déplacent aussi vers le nord. »
Cette perspective, qui met l’accent sur les facteurs humains minant la population d’orignaux, a dominé les échanges de la 50e Conférence nord-américaine sur les orignaux, qui réunissait des chercheurs et gestionnaires de la faune du Canada, d’Europe et des États-Unis, à Brandon, au Manitoba, en septembre 2016. Et l’on peut prévoir que ce sera encore le cas cette année, au parc national des Hautes Terres du Cap-Breton, même si l’hyperabondance locale nourrira certainement aussi les débats.
Vince Crichton, le coprésident de la Conférence de 2016, déclare que jusqu’à récemment, trop de gouvernements ont été réticents à s’attaquer à tout le spectre des enjeux politiques controversés soulevés par la gestion des orignaux. À mesure que cela évolue, Al Gorley se demande si « des projets pilotes coordonnés » entre des gouvernements pourraient faciliter les échanges d’informations et contribuer à améliorer la réponse collective.
« Compte tenu des circonstances qui varient passablement entre les provinces et du fait que les relations avec les Premières Nations diffèrent d’un milieu à l’autre, j’hésiterais à proposer une solution unique », déclare Gorley. Mais tout le monde doit viser à acquérir une compréhension globale. « J’invite tout le monde à considérer le problème des orignaux comme un enjeu de gestion du territoire et des ressources, et à éviter d’isoler une dimension unique des problèmes.