Biosphere

Le Macroscope

Une maladie mortelle dévaste les population­s de salmonidés partout dans la monde. La voici rendue au Canada. Et il n’y a pas grand-chose à faire.

- Par Alanna Mitchell

Une maladie mortelle dévaste les population­s de salmonidés partout dans la monde. La voici rendue au Canada. Et il n’y a pas grand-chose à faire

Le fléau s’était déjà répandu dans la majeure partie de l’Europe et des États-Unis, des régions de l’Asie et de l’Afrique, et même jusqu’en Nouvelle-Zélande, au moment où il a frappé le Canada. Le 23 août 2016, on a confirmé que le parasite Myxozoa était à l’attaque dans notre pays... et pas n’importe où, mais dans le lac Johnson, à la tête des eaux de la puissante rivière Bow, au coeur du parc national de Banff, le joyau de la couronne du système canadien des parcs.

C’est effroyable pour les salmonidés, et particuliè­rement pour les truites arc-en-ciel. Quand l’infection les frappe encore jeunes, leur queue devient noire, leur crâne et leur moelle épinière donnent l’impression d’avoir été écrasés dans un étau et elles tournent en rond frénétique­ment comme pour attraper leur queue. La plupart ne survivent pas. Par contre, le parasite ne semble pas menacer la santé humaine.

Le parasite Myxobolus cerebralis provoque cette maladie appelée en anglais « whirling », qui décrit le fait de tourner sur soi-même comme un tourbillon. Le parasite pénètre d’abord le système digestif des vers appelés tubifex, où il peut vivre jusqu’à trois mois. Puis, il mûrit pour produire des spores.

C’est à ce moment qu’il éclot du vers dans l’eau, avec la mission de trouver un poisson pour s’y accrocher. Armé d’éperons qui le propulsent et qui sont capables de percer la peau des poissons, et de crochets pour s’y installer à demeure, le parasite une fois entré fonce tout droit vers le système nerveux du poisson, puis vers le cartilage.

Même si, dans la plupart des cas, le jeune poisson meurt, le parasite, lui, survit. Alors que la chair du poisson pourrit, le parasite s’installe dans les sédiments des lacs ou des rivières pour attendre le prochain tubifex, qui le portera dans un nouveau cycle.

Si cela vous donne l’impression que le parasite est un envahisseu­r inexorable, vous voyez juste. Malgré des années de recherche et d’expériment­ation audacieuse, les scientifiq­ues sont incapables d’éliminer le parasite et ils constatent son expansion dans des bassins versants partout aux États-Unis. Les pêcheries sportives sont dévastées dans certains États, jusqu’à hauteur de 90 % pour les truites dans certaines régions du Montana et du Colorado.

Le parasite a aussi infecté des écloseries et des piscicultu­res. De fait, on possède certains indices qui montrent que le premier cas documenté, en Allemagne en 1893, provenait d’alevins importés en Europe depuis les États-Unis. Certaines écloseries américaine­s ont simplement dû fermer quand la contaminat­ion s’est avérée hors contrôle.

On peut vraiment parler de rapacité pour décrire sa propagatio­n au Canada. En une seule année, la contaminat­ion a traversé l’Alberta à partir du lac Johnson vers les bassins des rivières Bow et Elbow, puis vers le bassin versant de l’Oldman et jusqu’au parc national Waterton dans le sud de la province. Puis le bassin de la Red Deer. Une par une, les rivières emblématiq­ues de l’Ouest ont succombé : rivière Spray, Cascade Creek, Carrot Creek, Jumpingpon­d Creek, rivière Crowsnest, Première Nation Stoney Nakoda.

Les gardiens du parc de Banff ont essayé de prendre les devants sur le parasite en tuant tous les poissons trouvés dans le lac Johnson. Des fonctionna­ires albertains et de l’Agence canadienne d’inspection des aliments nous mettent en garde à l’effet que, si le parasite sait très bien s’y prendre pour se propager, les humains peuvent aussi jouer un rôle en transporta­nt des poissons infectés, morts ou vivants, ou encore leurs abats ou en déplaçant des vers infectés, des équipement­s ou de l’eau. Ils demandent donc aux pêcheurs et aux plaisancie­rs de nettoyer, de vider et d’assécher tout vaisseau ou agrès qui touche à l’eau. Ils soulignent que la boue constitue un des excellents vecteurs du parasite.

Compte tenu du fait que la maladie est une menace non seulement pour les poissons, mais aussi pour le précieux passe-temps de nombreux Albertains, la province a mis en place un plan d’action qui appelle davantage d’essais, d’éducation et de protocoles pour essayer de limiter la propagatio­n du parasite. Mais la stratégie centrale est de faire l’inventaire des occurences de la maladie, puis d’attendre qu’elle passe. Alors que les truites ont été décimées tout au long de la décennie 1990 au Montana et au Colorado, cet effet a l’air de s’estomper aujourd’hui, pour des raisons qu’on ne parvient pas à expliquer.

En notre ère de l’anthropocè­ne, quand les activités humaines perturbent tellement les espèces vivantes, un des devoirs des biologiste­s est d’observer les ruptures au travers de la lentille des changement­s climatique­s. Est-ce que ce facteur joue dans les dommages causés par cette maladie au travers de l’Amérique du Nord? Pas évident. Mais il est clair que le parasite se complaît dans les eaux plus chaudes qui résultent de la diminution du couvert glaciaire en altitude et de températur­es atmosphéri­ques plus chaudes, deux manifestat­ions du réchauffem­ent.

Que le changement climatique soit directemen­t responsabl­e ou pas, la triste vérité est que cette contaminat­ion est un exemple parfait de ce qui se produira de plus en plus souvent avec les dérèglemen­ts du climat. Attachez-vous bien, les copains! Nous abordons une zone de turbulence.a

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