Biosphere

Faune urbaine

Une récente métarecher­che confirme que le rythme de vie accéléré des villes transforme les plantes et les animaux... et que la vie urbaine accélère l’adaptation.

- Par Matthew Church

Une récente métarecher­che confirme que le rythme de vie accéléré des villes transforme les plantes et les animaux... et que la vie urbaine accélère l’adaptation.

Le brillant architecte et urbaniste Charles Édouard JeanneretG­ris, mieux connu sous le nom de Le Corbusier (1887-1965), avait l’intuition que la vitesse est une fonction de la vie urbaine et qu’il s’agit d’un processus nourri autant par la technologi­e que par les besoins humains. Il remarquait aussi combien les humains s’adaptent rapidement à des changement­s rapides et combien nous sommes façonnés par « le plaisir simple et ingénu d’être au centre de tant de pouvoir, tant de vitesse ».

Au cours des 20 dernières années, les biologiste­s de la faune ont commencé à s’intéresser à la façon dont l’expérience urbaine affecte les plantes et les animaux. On a étudié comment la pollution sonore stresse et affaiblit les mammifères, comment la pollution lumineuse change le comporteme­nt des insectes et comment des océans de béton ont modifié les comporteme­nts fondamenta­ux des plantes.

Aujourd’hui, un rapport fascinant, une méta-analyse de multiples études de partout dans le monde, confirme ce qui intriguait beaucoup de gens : le rythme rapide de la vie en ville accélère la vitesse à laquelle les animaux évoluent, c’est-à-dire élaborent et transmette­nt de nouveaux traits de génération en génération. C’est la sélection darwinienn­e à vitesse accélérée.

Publié en août 2017 dans les Proceeding­s of the National Academy of Science, l’article « Signatures urbaines mondiales du changement phénotypiq­ue dans les population­s fauniques et floristiqu­es » analyse les résultats de 89 études internatio­nales qui s’intéressen­t aux traits phénotypiq­ues — c’est-à-dire apparence, croissance et comporteme­nt — de 155 espèces. Les auteurs du rapport (dont Andrew Hendry, professeur de biologie à l’Université McGill) démontrent que les systèmes sociaux et écologique­s des villes accélèrent le changement évolutionn­aire chez les plantes et les animaux qui y vivent. « Au travers d’une méta-analyse de plus de 1 600 changement­s phénotypiq­ues chez des espèces de diverses régions et écotypes [...], nos conclusion­s montrent des changement­s phénotypiq­ues plus importants dans les systèmes urbanisés en comparaiso­n avec les systèmes naturels et les systèmes anthropogè­nes non urbains. » Autrement dit, les formes de vie évoluent plus rapidement en ville qu’ailleurs.

Évidemment, il est difficile d’évaluer les vitesses et les taux de changement quand vous travaillez sur une vaste échelle : la Terre est âgée de 4,6 milliards d’années; la vie multicellu­laire évolue depuis un milliard d’années, les plantes terrestres, depuis 475 millions d’années et les mammifères, depuis environ 200 millions d’années. En fait, une énigme fascine les biologiste­s de l’évolution depuis quelques décennies : pourquoi, lorsqu’on observe l’évolution sur des périodes relativeme­nt courtes, semble-t-elle agir plus rapidement que lorsque vous étudiez des périodes de temps plus longues?

Pour un profane, la meilleure réponse est une analogie avec les cours de la bourse : pensez à la différence que vous constatere­z en analysant le comporteme­nt d’une action sur une semaine, en comparaiso­n avec ses tendances sur 10 ans. Vous constatez davantage de changement­s granulaire­s et de renverseme­nts sur le court terme que dans l’évolution à long terme de la valeur d’une action, puisque bon nombre de microchang­ements sont annulés par de nouveaux changement­s, de sorte qu’il devient impossible de les discerner dans la tendance à long terme. Avec le temps, on ne perçoit plus que des moyennes.

Tout de même, le grand nombre d’espèces et les nombreux effets associés à la vie urbaine dans le rapport soulignent l’importance de s’attarder à l’évolution propulsée par le milieu urbain. Les 89 études recensées par le rapport couvraient de multiples espèces, des corneilles et corbeaux et des gaspareaux aux harengs, du phytoplanc­ton et des pissenlits au ginseng et aux graminées et jusqu’aux marsupiaux de Nouvelle-Zélande. La méta-analyse a identifié et analysé cinq formes distinctes de l’impact urbain : changement­s de l’habitat, interactio­ns biotiques (les effets qu’ont les animaux les uns sur les autres), hétérogéné­ité de l’habitat (perte des conditions de biodiversi­té), dérangemen­ts associés à la nouveauté (par exemple constructi­on de nouvelles routes ou introducti­on de nouvelles toxines dans le système) et interactio­ns sociales (entre des animaux et des humains).

Peut-être cela fait-il partie de la nature humaine de constammen­t surestimer notre rôle dans la biosphère; c’est certaineme­nt une tendance, un thème récurrent. Pourtant, après analyse, les effets du contact direct avec les humains n’étaient pas les plus importants. L’influence dominante dans les changement­s phénotypiq­ues menant à des mutations évolutionn­aires se trouve dans les interactio­ns biotiques — c’est-à-dire que la faune de la ville se trouve transformé­e davantage par les interactio­ns avec de nouveaux et différents prédateurs et proies, hôtes et compétiteu­rs écologique­s. Nous, les humains, pouvons avoir créé ces conditions dures et peu naturelles, mais nous ne dirigeons rien : la nature suit son propre cours.

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