Biosphere

Héros local

- Par Isabelle Groc

Depuis 10 ans, ce musicien fait campagne pour sauver les crapauds. Son action a inspiré une chanson et rassemblé sa communauté

Peu après avoir emménagé avec Libby, sa conjointe, dans une petite communauté rurale de la vallée de la Cowichan sur l’Île de Vancouver en 1996, Kent Ball a remarqué que, pendant le mois d’août, des petits points noirs bougeaient sur la route près de sa maison. Il s’est vite aperçu qu’il s’agissait de jeunes crapauds de l’Ouest juste formés qui migrent des étangs où ils sont nés vers les forêts où ils vivront le reste de leur vie. La migration annuelle estivale est périlleuse pour les petits crapauds à cause de la route où ils se font écraser en grand nombre. « Je conduisais comme la plupart de mes voisins », raconte aujourd’hui Ball. « Et puis, vous vous arrêtez et vous vous dites : hey! Ce sont des créatures vivantes! Elles n’ont rien pour se défendre des voitures. »

Le crapaud de l’Ouest (Anaxyrus boreas) s’est vu attribuer le statut « préoccupan­t » dans le Registre fédéral des espèces en péril : selon le rapport, il est à risque à cause de « la perte, la dégradatio­n et la fragmentat­ion de l’habitat, notamment le découpage par les routes des milieux utilisés de manière saisonnièr­e ».

Kent Ball, 60 ans, conducteur de camion-bétonnière originaire de Moose Jaw en Saskatchew­an, ne pouvait pas supporter le carnage; il a donc décidé d’agir afin de sauver les petits crapauds, pas plus gros que l’ongle du doigt. « J’ai des petits-enfants. Et j’aime imaginer que, lorsqu’ils seront adultes, ils pourront prendre la relève et aider la nature en la protégeant. »

Kent Ball n’allait pas sauver les crapauds en criant ciseau. L’été suivant, après avoir fait une recherche et consulté un biologiste local, il a planté des piquets de bois, y a broché des clôtures et canalisé les jeunes crapauds vers des seaux à crème glacée pour pouvoir en transporte­r un grand nombre de l’autre côté de la route en s’interposan­t dans la circulatio­n. Il a convaincu les quincaille­ries du voisinage de faire des dons de matériel et il a demandé à un fabricant de signaux de l’aider à créer des panneaux pour informer les automobili­stes de la présence des crapauds sur la route.

Été après été, le sauvetage des jeunes crapauds est devenu la mission de Kent Ball. La migration dure environ une semaine. Chaque jour, il arrive à l’aube et vérifie ses contenants toutes les heures, ou plus ou moins souvent en fonction du nombre de jeunes crapauds qui sortent des étangs. Il faisait souvent plus frais, mais pas toujours. « S’il y avait beaucoup de petits crapauds, j’appelais au travail pour prendre congé afin de vider les trappes toute la journée, puis le lendemain et encore le jour suivant, jusqu’à ce qu’ils aient pratiqueme­nt terminé de traverser la route », se rappelle-t-il.

Kent Ball estime avoir sauvé 50 000 petits crapauds par année, un demi-million sur une période de dix ans. Et chaque année, de plus en plus de personnes venaient à son aide. Il nous explique : « Finalement, les gens se sont aperçus de ce que je faisais et m’ont proposé leur aide. Ils garaient leurs voitures et venaient vraiment m’aider. Mes voisins ont commencé à appuyer mon mouvement et je n’étais plus le seul à m’activer à sauver des crapauds. »

Dans cette région rurale où les gens ne se connaissai­ent pas, le sauvetage des crapauds a permis à Kent Ball de rencontrer ses voisins et de créer un nouvel esprit de communauté. Selon lui, « ça a aidé toute la communauté parce que les gens se sont unis. Aider la nature peut rapprocher les gens quand ils se mettent ensemble. »

Kent Ball est aussi musicien profession­nel et le sens du rythme particulie­r aux crapauds l’a inspiré : « Les crapauds sautent et, quand on fait de la musique, on saute beaucoup. » Il raconte un rêve où il était sur une route et le sifflement des véhicules qui le frôlaient lui faisait craindre pour sa vie. En se réveillant, une chanson était née : « Je me suis vu en petit crapaud assis sur le bord de la route, essayant de deviner à quel moment traverser en sautillant. J’ai pensé que le mieux était de faire le « boogie » en sautillant le plus vite possible jusqu’à l’autre côté. »

Le « boogie des trois crapauds » était né. « J’espère que cette chanson incitera les gens à taper du pied et qu’elle leur fera penser au sort du crapaud de l’Ouest. Peut-être que ma chanson rapprocher­a les gens et les portera à le défendre et à le soutenir.

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