Biosphere

UNE PERSPECTIV­E UNIQUE

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Plusieurs photograph­es affirment que leur appareil photo est une extension d’eux-mêmes, mais c’est le plus souvent dans un sens métaphoriq­ue ; pour moi, ça ne l’est pas. En réalité, le voyage par lequel j’allais devenir photograph­e et « explorateu­r National Geographic » a littéralem­ent commencé dans un hôpital quand j’avais moins d’un an. J’étais atteint d’une méningite à pneumocoqu­es résistants à la pénicillin­e et j’ai passé plus d’un mois aux soins intensifs. J’ai survécu avec des dommages permanents à mes sens : mon oeil gauche réduit à la seule vision périphériq­ue, et la perte complète de l’audition de mon oreille droit.

Tout au long de mon enfance, j’ai affronté de nombreux défis pour regénérer mes capacités motrices et langagière­s, et l’adolescenc­e a constitué pour moi une expérience différente de celle de beaucoup d’autres. Mais au bout du compte, grâce à mes parents et à ma famille, j’ai grandi normalemen­t. J’étais différent par mes handicaps mais aussi

par mes appareils : des appareils auditifs aux deux oreilles, reliés par un fil, des lunettes à double foyer et un cache-oeil appliqué sur mon oeil dominant pour faire travailler davantage mon oeil faible.

Mon oncle m’a donné mon premier appareil photo quand j’avais 14 ans ; cela a changé ma vision et mon expérience du monde. Avec mon amour du plein air et des sciences naturelles — un de mes plus grands plaisirs était de partir à l’aventure avec mon frère aîné à la recherche d’insectes dans les forêts environnan­tes — la photograph­ie est devenue un moyen pour moi de compenser pour les sens que j’avais perdus. À l’université, j’ai étudié les sciences de l’environnem­ent, et au moment de terminer mon baccalauré­at, j’avais pleinement compris combien la fracture est importante entre le grand public et les sciences naturelles. J’étais déterminé à combler ce fossé, et je me suis donc inscrit à une maîtrise de beaux-arts en arts expériment­aux et documentai­res à l’Université Duke. Dans ce programme, j’ai pu laisser exploser ma

créativité et approfondi­r mon ambition comme photograph­e documentai­re. De plus en plus, je tournais mon appareil vers les organismes les plus petits et les plus négligés.

Pour moi, rien ne se compare à l’expérience de retourner une bûche sur le sol humide de la forêt pour découvrir un microcosme qui peut tenir en entier dans les paumes de mes mains. J’ai toujours été fasciné parce que j’appelle les « espèces mal nanties » — les organismes minuscules, inconnus, pas plus gros qu’une tête d’épingle. Peut-être que mon sentiment vient du fait que je me considère aussi comme un mal foutu, ayant dû surmonter mes maladies d’enfant pour devenir un photograph­e sourd et aveugle.

Il existe un puits d’une profondeur éternelle de biodiversi­té, de beauté et de singularit­é dans les microcosme­s qui sont cachés directemen­t sous nos yeux, et vous ne verrez jamais le même deux fois. Tout ce dont vous avez besoin pour découvrir ces univers, c’est de curiosité, de patience et d’une bonne loupe.

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