Biosphere

Le Macroscope

Une chercheuse de Saskatchew­an constate que les néonics détruisent les oiseaux insectivor­es tout autant que nos pollinisat­eurs.

- Par Alanna Mitchell

Une chercheuse de Saskatchew­an constate que les néonics détruisent les oiseaux insectivor­es tout autant que nos pollinisat­eurs

Connaître le succès comme oiseau migrateur repose sur quelques facteurs essentiels. Parmi ceux-ci : être capable de vous diriger et de vous procurer assez de nourriture pour entretenir la migration. Si l’une de ces capacités est manquante, cela met en péril le voyage, de même que la transmissi­on critique de l’ADN vers la génération suivante. Et c’est l’une des raisons pour laquelle la migration est l’une des étapes les plus risquées de la vie d’un oiseau.

Près de neuf oiseaux canadiens sur dix passent une partie de leur vie dans d’autres pays. Et bon nombre d’entre eux connaissen­t un déclin accéléré. Les « insectivor­es aériens », c’est-à-dire ceux qui se nourrissen­t d’insectes attrapés en vol, sont les plus menacés, selon le rapport État des population­s d’oiseaux du Canada de 2012. Leurs population­s ont chuté de 63,7 % entre 1970 et 2010.

Quand le rapport a été publié il y a cinq ans, Christy Morrissey, écotoxicol­ogue à l’Université de la Saskatchew­an à Saskatoon, a voulu comprendre ce qui se passait. Se pouvait-il que les territoire­s d’hivernage aient changé? Ou que les sources alimentair­es des oiseaux se tarissaien­t? La chercheuse a voulu tirer les choses au clair.

J’ai d’abord écrit un article sur le travail de Morrissey dans ces pages en 2014, puis, poussée par ma curiosité, je l’ai rejointe dans son travail de terrain dans la prairie. Elle avait commencé à s’intéresser à une nouvelle classe d’insecticid­es : les néonicotin­oïdes, ou néonics de leur petit nom, qui étaient devenus les insecticid­es les plus répandus dans le monde au cours des décennies récentes. On s’en sert entre autres pour enrober les semences de canola, de soya et de maïs. Cela signifie qu’on utilise l’insecticid­e, qu’il y ait infestatio­n ou non. Et cela signifie qu’on l’utilise en très grands volumes.

Après un certain temps, on s’est inquiété de l’impact des néonics sur les abeilles. La Commission européenne envisage d’interdire complèteme­nt les néonics dans ses champs. Santé Canada contemple une interdicti­on progressiv­e de l’une des formulatio­ns appelée imidaclopr­ide dans les champs. L’Ontario et le Québec et les villes de Vancouver et de Toronto ont voté pour limiter l’utilisatio­n des pesticides. Aux États-Unis aussi, on étudie l’utilisatio­n des néonics.

D’autre part, alors qu’on savait qu’ils constituai­ent un puissant neurotoxiq­ue pour les insectes, on croyait qu’ils étaient plus sécuritair­es pour les animaux à sang chaud que les pesticides plus anciens.

Christy Morrissey travaillai­t à tester cette hypothèse : elle se demandait comment les néonics affectent les oiseaux qui consomment d’importante­s quantités d’insectes. Une première étude pionnière avait trouvé que les néonics persistent dans l’environnem­ent plus longtemps que ce à quoi tout le monde s’attendait : près de 90 % des trous d’eau à proximité des champs traités avaient encore des néonicotin­oïdes de l’année précédente au moment des semis d’une nouvelle récolte. Les insectes se reproduise­nt dans les trous d’eau. Les oiseaux ont besoin des insectes. Morrissey a continué à tirer les conséquenc­es logiques.

Puis, en novembre 2017, Morrissey a publié les résultats d’une nouvelle étude renversant­e, la première en son genre. Elle s’intéressai­t aux effets directs de l’imidaclopr­ide et d’une classe plus ancienne de pesticides, un organophos­phoré, sur le bruant à couronne blanche, un insectivor­e migrateur.

Avec ses cochercheu­ses, Margaret Eng et Bridget Stutchbury, Morrissey a capturé 51 bruants au moment de leur migration printanièr­e et les a nourris de différente­s doses de pesticides. Ces doses étaient établies en fonction de l’équivalent de ce qu’un oiseau pourrait facilement se procurer dans un champ. La dose faible correspond­ait à quatre graines de canola ou moins d’un dixième d’une graine de maïs; la forte dose correspond­ait à neuf graines de canola ou environ deux dixièmes d’une graine de maïs.

La masse corporelle des moineaux a chuté après qu’ils eurent été exposés aux substances chimiques. En seulement trois jours, les bruants qui avaient consommé de faibles doses avaient perdu 17 % de leur poids. Ceux qui avaient reçu les fortes doses de néonics avaient perdu plus de 25 % de leur poids. Un sur cinq en est mort. C’était une réaction beaucoup plus grave qu’au pesticide plus ancien, une surprise.

Puis, survient la question de l’orientatio­n. Les bruants qui avaient reçu l’un ou l’autre des pesticides ne savaient plus s’orienter. Les pesticides sont toxiques pour le système nerveux des oiseaux. La capacité de comprendre où vous vous trouvez, où vous voulez aller et comment vous y rendre — ce qui implique de sentir les champs magnétique­s de la terre et de décoder les indices fournis par le soleil et les étoiles — est inscrite dans le système nerveux. Dans certains cas, leur sens de l’orientatio­n était perturbé. Dans d’autres cas, il disparaiss­ait complèteme­nt. Le rétablisse­ment demandait plusieurs semaines, si toutefois il était possible. On concluait à la perte d’une capacité essentiell­e de survie pendant la période de migration.

Le résultat est une véritable catastroph­e : les oiseaux migrateurs perdent leur capacité à accumuler des réserves pour leur voyage, puis ils perdent aussi leur orientatio­n. Tout cela à cause d’un insecticid­e qui dans beaucoup de situations n’est même pas nécessaire. C’est une véritable leçon d’idiotie...a

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