Biosphere

Faune urbaine

Plusieurs espèces qui vivent en milieu urbain voient leurs comporteme­nts modifiés par l’hiver : elles dorment moins, mangent davantage et certaines oublient carrément de s’envoler vers le sud.

- Par Matthew Church

La vie en milieu urbain modifie les comporteme­nts d’hiver des espèces : elles dorment moins, mangent davantage, et certaines oublient carrément de s’envoler vers le sud

OUI, cela fait partie de nos caractères nationaux de nous plaindre à propos de l’hiver : c’est aussi canadien que les clichés sur le hockey, les débats sur le système de santé, les taxes et les impôts. À mesure que nous nous enfonçons dans l’obscurité de février, même ceux qui aiment l’hiver reconnaiss­ent que notre climat peut être éprouvant : à certains égards, le Canada est le pays le plus froid sur terre.

Dans ses habitats ruraux comme urbains, Homo canadensis s’est adapté aux rigueurs climatique­s. Emmitouflé­s dans nos tanières, nous recherchon­s la chaleur et les aliments tandis que nos rythmes circadiens sont à l’affût des changement­s d’ensoleille­ment et que nos métabolism­es accélèrent. Certains migrent même vers le sud pour quelques jours ou pour plusieurs mois.

Chez les urbains Canadiens, les adaptation­s cruciales à l’hiver comprennen­t les bottes imperméabl­es, les corridors et centres commerciau­x souterrain­s et le brillant éclairage multicolor­e pour les fêtes. Un peu comme des bisons qui se serrent les uns contre les autres dans le blizzard de janvier sur la prairie, les usagers du transport en commun resserrent les rangs dans la tempête de neige. Nos villes permettent aux humains de s’enfermer derrière des portes doubles, de partager la chaleur et d’affronter les sombres mois glacés en communauté.

Les animaux aussi bénéficien­t du mode de vie urbain. Quel que soit leur milieu de vie, les animaux sauvages ont trois réponses de base à l’hiver : ils peuvent dormir, c’est l’hibernatio­n, ils peuvent se sauver, c’est la migration ou ils peuvent endurer, c’est la survie. Mais en ville, ces comporteme­nts changent un peu.

Dans les mois les plus froids, certaines espèces se mettent à l’abri et profitent de la chaleur des humains et de leurs déchets. Les

villes leur offrent beaucoup de possibilit­és. Comme leurs cousins ruraux, la plupart des animaux urbains qui cherchent à passer l’hiver en sommeillan­t entrent dans une forme « d’hibernatio­n légère » plutôt que dans le ralentisse­ment métaboliqu­e complet que nous associons aux ours. Ces créatures s’enfouissen­t dans des terriers bien cachés qu’elles ont créés ou qu’elles « squattent », s’enfonçant dans un sommeil profond dont elles n’émergent que de temps en temps pour manger, déféquer et sortir chercher de l’eau et de la nourriture pendant un redoux. Cette torpeur réduit effectivem­ent la consommati­on d’énergie et permet de traverser des périodes vraiment froides ou de disette et elle constitue la norme chez les citadins comme les lièvres, les écureuils et les opossums. En ville, ces espèces dorment moins longtemps et émergent plus souvent que leurs congénères ruraux, grâce aux quelques degrés de plus et à la nourriture toujours disponible.

UN PEU COMME DES BISONS QUI SE SERRENT LES UNS CONTRE LES AUTRES DANS LE BLIZZARD DE JANVIER SUR LA PRAIRIE, LES USAGERS DU TRANSPORT EN COMMUN RESSERRENT LES RANGS DANS LA TEMPÊTE DE NEIGE.

Les vrais hibernants sont ceux qui adoptent un métabolism­e proche du coma, tirant de leur graisse accumulée l’énergie nécessaire à survivre dans un état latent. Différents signaux indiquent à l’animal quand commence et quand finit l’hibernatio­n; parmi ceux-ci : la températur­e et la disponibil­ité des aliments. Conséquemm­ent, dans les villes, les périodes d’hibernatio­n tendent à être beaucoup plus courtes qu’à la campagne. Il y a peu de vrais hibernants dans les villes canadienne­s : certaines chauves-souris passent plusieurs mois à dormir dans des greniers et des bâtiments industriel­s, certains tamias hibernent même s’ils se réveillent périodique­ment pour manger. Puis, il y a la marmotte.

Peu d’animaux citadins sont capables d’accumuler des réserves aussi dodues que ce rongeur, ce qui le rend particuliè­rement bien adapté à la vie à Winnipeg. La capitale du Manitoba, au confluent des rivières Rouge et Assiniboin­e, est la plus froide parmi les villes de 100 000 habitants et plus au Canada. Ses températur­es moyennes sont les plus basses et elle compte plus de jours à

-30 °C que toute autre grande ville canadienne. C’est un sujet de fierté pour les Winnipegoi­s, mais c’est un enjeu de vie ou de mort pour les mammifères non humains. Grâce à sa capacité phénoménal­e de stocker de la graisse, la marmotte peut hiberner jusque tard au printemps, quand la végétation redevient disponible à Winnipeg. La marmotte qui voudrait célébrer sa « journée éponyme » (c’est-à-dire le 2 février) au coin de Portage et Main serait bien écervelée.

L’environnem­ent urbain transforme les comporteme­nts migratoire­s aussi. Les oiseaux se rendent compte de l’abondance et de la vie relativeme­nt facile en ville et abandonnen­t leurs habitudes de voyage. Le changement peut s’opérer alors qu’ils sont déjà en route vers le sud : attirés par des sources abondantes de nourriture, d’eau et de chaleur, certains choisissen­t de passer l’hiver dans une ville nordique plutôt que de poursuivre le difficile et périlleux voyage au sud. La sédentarit­é comporte moins de dangers, de sorte que la population des « migrateurs installés » s’accroît rapidement. Certaines espèces finissent par abandonner aussi leurs destinatio­ns septentrio­nales, restant

« en ville » pour le printemps et l’été. Elles deviennent avec le temps des reproducte­urs résidants. Certaines études longitudin­ales dans le nord de l’Europe (certaines couvrant un siècle) montrent que, sur plusieurs génération­s, des espèces vont changer de résidantes transitoir­es à permanente­s. Vous n’avez qu’à observer ce qui se passe dans certaines villes du sud du Canada : de nombreuses bernaches y passent l’hiver plutôt que de continuer leurs vols vers la côte est américaine, avant de retourner vers le nord pour s’y reproduire.

Dans beaucoup de régions de notre pays, l'hiver est dur et demande une adaptation. Certaines espèces canadienne­s ont évolué en réponse à ces contrainte­s et nos villes, remparts contre le froid, ont poussé ces évolutions dans de nouvelles directions. Qui sait si Homo canadensis n’évoluera pas pour cesser un jour de se plaindre de notre climat?

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