Héros local
Pour le vétérinaire à la retraite Dick Clegg, protéger les effraies des clochers est une entreprise d’amour qui s’étend sur trois décennies.
Pour le vétérinaire à la retraite Dick Clegg, protéger les effraies des clochers est une entreprise d’amour qui s’étend sur trois décennies
Texte et photos par Isabelle Groc
La nuit est tombée sur la vallée du Fraser, près de Chilliwack, en Colombie-Britannique. Dick Clegg prépare sa tournée nocturne. Depuis près de 30 ans, c’est sa routine de visiter diverses fermes éparpillées dans la vallée, parfois plusieurs soirs par semaine. Vétérinaire du bétail aujourd’hui à la retraite, il ne visite pas des animaux, non plus que des amis. Il visite des effraies des clochers.
Dans la grange obscure et silencieuse, il grimpe à une échelle de presque 9 mètres, jusque dans les chevrons, pour inspecter une cabane de nidification qu’il a construite et installée. Alors qu’il l’ouvre prudemment, un puissant sifflement guttural, similaire à celui d’un serpent, perce le silence de la nuit. « Ce sont des prédateurs tellement farouches, tu dois vraiment être prudent quand tu les manipules », dit-il. Il soulève doucement les oisillons et leur pose une bague avant de les remettre dans la boîte. Puis il se déplace vers le prochain site, jusqu’à ce qu’il ait complété son programme de la soirée, et enfin il rentre à la maison, souvent après minuit.
Dick a installé des cabanes pour les effraies au cours des 27 dernières années pour leur procurer un endroit sûr où élever leurs petits. Il a construit et installé
150 cabanes dans la région. « Parfois il peut s’écouler des années avant qu’elles adoptent un nid et qu’un couple s’y installe, dit-il. Je continue à en faire la tournée et... oh! Il y a des petits ici! C’est excitant. » Plus des trois quarts des cabanes installées au fil des ans ont connu des nidifications réussies.
Les effraies des clochers ont toujours fait partie de sa vie. Né et élevé dans une ferme laitière de la région, Dick se souvient du moment où il a vu les chouettes pour la première fois dans une grange. Quelques années plus tard, un ami l’a initié au baguage des rapaces en Saskatchewan et Dick s’est dit que lui aussi pourrait faire quelque chose pour les effraies vivant sur ses terres.
Avec l’urbanisation rapide, l’abandon des terres agricoles et l’intensification de l’agriculture dans la vallée et le delta du Fraser, où vivent la majorité des effraies des clochers de l’ouest du Canada, les chouettes perdent rapidement leurs terrains de chasse. Et à mesure que l’on jette à terre les vieilles granges pour les remplacer par des structures modernes, elles ont aussi moins de choix pour nicher. De même, chasser dans un paysage urbain très fragmenté comporte beaucoup de risques. Les chouettes volent bas d’un bosquet d’arbres à un autre et sont souvent frappées par des voitures lorsqu’elles traversent des routes pour chasser dans les secteurs herbés au bord des routes. « La vie des chouettes est très dure », constate le vétérinaire.
S’il est convaincu que l’installation de cabanes-nichoirs a aidé la population locale, sa vraie priorité est de sensibiliser la population à la valeur des chouettes et aux façons de les protéger. Quand il rend visite à des fermiers, il leur explique comment les rapaces contrôlent naturellement les populations de rongeurs et comment ils peuvent les aider à éliminer un problème posé par les rats. En règle générale, on utilise des rodenticides anticoagulants pour combattre diverses espèces de rongeurs; les effraies des clochers sont de plus en plus exposées à ces toxines quand elles mangent des rats empoisonnés. « Certains fermiers ont décidé que, maintenant qu’ils ont des chouettes, ils vont cesser d’utiliser des poisons, puisque cela peut nuire aux rapaces. Puis ils entreprennent de nettoyer leur territoire de ce qui pourrait nourrir les rats et d’éliminer des structures où ils pourraient faire leur nid, dit Clegg. Ils ont compris qu’ils doivent protéger les chouettes, ils les perçoivent différemment. »
Clegg rappelle une occasion où il a bagué de jeunes chouettes dans une ferme en présence de quatre générations d’une famille. « De l’arrièregrand-père jusqu’aux petits-enfants, ils étaient tous très émus d’approcher des chouettes, raconte-t-il. C’est une expérience que j’adore partager avec les gens.
DICK CLEGG A CONSTRUIT, INSTALLÉ ET ENTRETENU 150 CABANES-NICHOIRS À HIBOUX DANS TOUTE LA RÉGION DE CHILLIWACK.