Le macroscope
Comment un processus complexe de planification de l’utilisation responsable des territoires dans le Nord pourrait devenir un exemple pour le monde.
Le processus complexe de planifier des usages responsables des territoires du Nunavut pourrait constituer un exemple pour le monde entier.
C’EST LE TITRE DU COMMUNIQUÉ DE PRESSE annonçant le rapport qui m’a sauté en pleine face : « Le bien-être des humains est à risque », écrivaiton. L’argumentaire se développait sur deux points. Le premier : la biodiversité — l’étourdissante variété des formes de vie sur la planète — continue à régresser dans toutes les régions du monde. Le second : ce déclin menace la capacité de la nature à répondre à nos besoins.
Ce rapport, émanant de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (PIBSÉ), publié en mars, présente la crème de l’expertise scientifique sur la santé de la nature, si l’on exclut ce qui se passe dans les océans et aux pôles. Plus de 500 scientifiques de plus de 100 pays y ont contribué.
Le président de l’organisation, Robert Watson, un éminent chercheur en environnement du Centre Tyndall de recherche sur les changements climatiques de l’Université d’East Anglia au Royaume-Uni, consacre de gros efforts, dans le communiqué, à nous convaincre que la biodiversité est essentielle aux humains dans un sens littéral plutôt que poétique. Homo sapiens a besoin de la danse des autres créatures de la planète pour se procurer de la nourriture, de l’eau propre et de l’énergie. La nature contribue à répondre à ses besoins. Quand la nature souffre, les humains souffrent aussi.
C’est un pari de nous amener à nous inquiéter de la perte de la biodiversité, un des concepts écologiques les plus difficiles à vendre au public. Je suppose que, pour certains, il est plus facile d’imaginer que la nature « contribue » à notre existence, plutôt que d’accepter que les autres créatures ont leur valeur intrinsèque et « le droit d’être là ». Je me souviens d’avoir interrogé des gens à propos du nombre croissant d’espèces au bord de l’extinction, et qu’une personne m’avait répondu, sans rire, que, quand une espèce disparaît, ça signifie que les humains ont gagné.
Mais, si vous êtes préoccupé par la biodiversité, un rapport comme celui-là peut vous en apprendre beaucoup. Par exemple, pour les Amériques seulement — selon une analyse régionale coprésidée par Jake Rice, qui était scientifique en chef de Pêches et Océans Canada jusqu’à sa retraite il y a quelques années —, les populations de la moyenne des espèces sont 31 % moins nombreuses qu’elles l’étaient lors de l’arrivée des Européens il y a quelques siècles.
C’est le résultat de stress comme la dégradation des paysages; la pollution de l’air, de l’eau et des sols; l’implantation d’espèces envahissantes. Vers 2050, quand les effets du réchauffement se seront accentués, cette valeur atteindra 40 %, aggravant la crise de la biodiversité.
À moins que quelque chose ne change, et c’est ici que le rapport apporte une lueur d’espoir. Il est possible de ralentir le rythme de la perte de diversité, et dans certains cas de renverser la tendance. Des exemples en provenance des quatre coins du monde montrent que, quand des politiques bien réfléchies sont mises en vigueur avec l’autorité nécessaire, les choses peuvent s’améliorer. Et cela est particulièrement vrai quand on fait une place aux savoirs locaux et autochtones.
Au Canada, la superstar potentielle en matière de politique est le plan d’aménagement du territoire du Nunavut. C’est la cartographie des régions du territoire qui seront ouvertes au développement et de celles qui seront protégées, avec leurs habitants.
L’exercice de planification s’est échelonné sur presque dix ans, et ne sera probablement pas finalisé avant 2022. Après cette échéance, le plan d’aménagement s’imposera pour tous les paliers de gouvernement, un caractère plutôt rare dans le champ des politiques. Il s’agira d’un décret de protection de l’environnement et de la biodiversité dans toutes ses dimensions. Mais cela signifie aussi que la clé de son succès tient dans une conception correcte dès le départ.
Le processus pour parvenir jusqu’à aujourd’hui a été méthodique... avec sa part nécessaire de désordre. Il exige des consultations systématiques auprès des 25 communautés inuites du Nunavut, des Dénés du nord du Manitoba et de la Saskatchewan, des Inuits du Nunavik et d’autres gouvernements avec leurs équipes scientifiques, et finalement de l’industrie. Tout cela dans le contexte où l’Arctique réchauffé par le CO2 continue à dégeler et où la pression en faveur du développement industriel s’accentue.
Davantage que la plupart des populations de la planète, les Inuits du Nunavut savent précisément comment la nature « contribue » à leur mode de vie. Plusieurs d’entre eux vivent du territoire. Ils sont attachés à la manière dont la chasse et la pêche leur permettent de nourrir leurs familles. Est-ce que le nouveau plan d’utilisation des terres réussira à protéger les routes traditionnelles de déplacement sur la glace, les territoires de mise bas des caribous et les habitats aviaires critiques?
Les écologistes et les scientifiques du monde entier retiennent leur souffle. Cette région du Canada, le territoire du Nunavut, né avec le nouveau millénaire, a une bonne chance de parvenir à créer un cadre globalement sain pour les espèces qui comptent, sur la base de la meilleure science dont nous disposons.
Si cela arrive, il y aura de quoi célébrer entre les trois océans du Canada, et ailleurs aussi. Et pas seulement pour la biodiversité, mais pour les communautés héroïques qui auront montré au reste du monde comment la protéger.1