Ornitho
Les territoires de reproduction et d’hivernage des oiseaux arctiques se réchauffent, et cela compromet leurs allées et venues.
Les territoires de reproduction et d’hivernage des oiseaux arctiques se réchauffent, et cela compromet leurs allées et venues.
Chaque fois qu’on me demande des commentaires sur l’impact des changements climatiques sur les oiseaux arctiques, deux mots me viennent immédiatement à l’esprit : gagnants et perdants. Et les premiers constituent une toute petite minorité parmi les 85 espèces aviaires qui se reproduisent dans les régions septentrionales. En tant que créatures très mobiles, les oiseaux seront touchés moins durement que les créatures qui habitent dans l’Arctique à temps plein, mais leurs territoires de reproduction et d’hivernage seront affectés.
Un des principaux problèmes touche à la synchronisation. Selon une étude à grande échelle, les oiseaux commencent à pondre en moyenne 6,6 jours plus tôt tous les 10 ans. Le guillemot de Troïl, un oiseau de mer qui se reproduit dans tout l’Arctique, se reproduit 24 jours plus tôt par décennie. Cela devient problématique parce que l’élevage des petits n’est plus synchronisé avec la période de meilleure disponibilité de la nourriture. Cela engendre deux impacts négatifs : les parents sont incapables de nourrir suffisamment leurs oisillons et, plus tard, les jeunes n’arriveront pas à trouver assez de nourriture pour engraisser en vue de la migration. La hausse des températures affecte aussi les migrations : les oiseaux migrent plus tôt à cause de températures plus élevées au printemps. Une étude sur 63 ans de 96 espèces migrant sur de grandes distances conclut que plus du quart d’entre elles arrivent plus tôt. Mais plusieurs de ces mêmes espèces ne retournent pas au nord plus tôt. Comme elles ne peuvent pas connaître les conditions climatiques et alimentaires de leurs territoires de reproduction arctiques, il se peut qu’à l’arrivée elles trouvent à peine de quoi survivre, encore moins de quoi engraisser pour produire des oeufs. Les espèces dont l’alimentation est « pointue » souffriront particulièrement. Par exemple, la mouette blanche, qui se nourrit spécialement au bord de la banquise en régression, a décliné de 90 % seulement au cours des 20 dernières années. Alors que des communautés écologiques entières sont perturbées par les changements climatiques, les oiseaux arctiques font aussi face à toute une armée de nouveaux parasites, prédateurs et compétiteurs, auxquels ils ne sont pas adaptés. Les guillemots de Brünnich qui nichent dans le nord de la baie d’Hudson connaissent une mortalité plus grande des adultes et davantage de pertes d’oeufs à cause de la combinaison de températures plus élevées et de moustiques plus nombreux. Les atteintes aux habitats peuvent aussi être indirectes, quand le réchauffement se traduit par une augmentation des infrastructures et de la fréquentation touristique.
Des scientifiques de l’Université du Queensland en Australie ont créé un modèle de recherche qui part des conditions climatiques de reproduction pour 24 espèces d’oiseaux arctiques et les projette en 2070. Leur sombre prédiction est à l’effet que plus de 80 % des espèces perdront virtuellement tous leurs habitats de reproduction.
Dans un rapport de la Wildlife Conservation Society des États-Unis, neuf espèces ont été identifiées comme modérément à extrêmement vulnérables à cause de changements spécifiques à l’Alaska (sans tenir compte des changements dans d’autres secteurs de leur aire de distribution). L’une des deux plus vulnérables est le faucon gerfaut, mon espèce préférée depuis des décennies. D’autres études à long terme sur le faucon gerfaut au Groenland démontrent des incursions d’autres faucons pèlerins plus agressifs dans ses territoires de chasse et dans ses nids. De leur côté, les faucons pèlerins connaissent aussi leur part de problème au Groenland : une augmentation massive de la pluviométrie (toute la pluie prévue pour une saison tombant en trois heures) a provoqué la mort des aiglons par noyade ou par hypothermie. Les experts de ces espèces croient que ce n’est plus qu’une question de temps avant qu’une des deux espèces connaisse l’extinction.
Ce ne sont là que quelques perdants dans la nouvelle réalité apportée par les changements climatiques.— DAVID BIRD