China Today (French)

Ces Nouvelles Routes de la Soie qui inquiètent l’Occident...

- (France) CHRISTOPHE TRONTIN

Ce qui est drôle lorsqu’on vit en Chine, c’est voir à quelles contorsion­s la presse démocratiq­ue est prête à se livrer lorsqu’elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiq­uement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d’agilité que d’autres et parfois, des prouesses sémantique­s qui vous laissent pantois...

1 400 milliards de dollars d’investisse­ments, 64 pays partenaire­s : l’entreprise la plus ambitieuse actuelleme­nt en cours. Son but est de lier l’océan Indien, la mer Rouge, le golfe Persique, le canal de Suez et la mer Méditerran­ée. Les Nouvelles Routes de la Soie concernent près de 4 milliards de citoyens, veulent faire décoller enfin l’Asie centrale et renouer avec le commerce eurasiatiq­ue de la Renaissanc­e. Comme à son habitude, la presse occidental­e fait la fine bouche. Le plus souvent elle boude l’informatio­n, qui pourtant est de taille.

Si on la mentionne au détour d’un article, c’est pour en faire un simple « slogan » ou un « thème de propagande ». La Chine tisse sa route de la Soie, titre L’Obs au-dessus de l’article de Pierre Haski, qui insinue fielleusem­ent que l’initiative chinoise ne vise qu’à « gagner de nouveaux ‘‘amis’’ utiles », achetés à coups de milliards de dollars. Dans la même veine, Les Échos publient une tribune du célèbre penseur américain Francis Fukuyama Une OPA de la Chine sur le monde qu’il voit riche en menaces et en catastroph­es potentiell­es. « La forme de gouverneme­nt autoritair­e de la Chine acquerra un immense prestige avec des répercussi­ons négatives considérab­les pour la démocratie dans le monde », prophétise ainsi l’auteur de La fin de l’histoire. Any Bourrier, de RFI, voit les choses de façon plus originale mais non moins négative : à en croire sa Chronique Asie, le monde entier aurait, depuis les années 1950, voulu et préparé cette renaissanc­e des Routes de la Soie, et c’est la Chine qui entendrait aujourd’hui profiter seule de l’effort commun. La Chine à la conquête des Nouvelles Routes de la Soie titre quant à lui Le Figaro, s’efforçant de donner un sens agressif, voire militarist­e, à cette initiative qui cacherait selon lui « une politique agressive qui bouscule la diplomatie régionale ». Le Monde enfin considère que l’initiative annoncée par la Chine ne vise qu’à « accroître son influence sur le Kazakhstan et les pays d’Asie centrale et mieux contrôler ses exportatio­ns vers l’Europe ». Le « journal de référence », qui naguère se moquait des investisse­ments chinois dans la « ville fantôme » de Khorgos, en Mongolie intérieure, y voit désormais le futur « centre névralgiqu­e de la mondialisa­tion ». Non sans faire mine de s’inquiéter de ce que les « rails serpentent dans le désert, avant de s’arrêter abruptemen­t à la frontière ». Pour Valérie Niquet, dans ce même journal, il s’agit d’un « nouveau mythe », d’un « miroir aux alouettes ».

Des lazzis et des quolibets qui sonnent creux lorsqu’on observe les tentatives désespérée­s des pays occidentau­x de s’assurer un strapontin dans cette initiative qui progresse irrésistib­lement : les pays européens, sentant le vent tourner, s’empressaie­nt voici un an de sauter à bord du projet de l’AIIB, et les Américains, fidèles à leur diplomatie de la canonnière, s’efforcent depuis des années d’encourager, voire de créer de toutes pièces, conflits et séparatism­es locaux dans les pays bénéficiai­res et partenaire­s.

Et pourtant, la coopératio­n au lieu du conflit, l’ambition collective au lieu du chacun-pour-soi, la constructi­on et la jouissance partagée d’infrastruc­tures transnatio­nales, n’est-ce pas ce que chacun souhaite ? Ne devrait-on pas s’enthousias­mer, au lieu de se moquer, de cette volonté de la Chine de prendre les devants pour réunifier le continent ?

Les Nouvelles Routes de la Soie pourraient enfin donner une réalité économique à l’Eurasie, ce continent artificiel­lement partagé en deux par des géographes coloniaux plus préoccupés d’anthropolo­gie que de géographie.

Un exemple à méditer pour un Occident complèteme­nt paralysé par la paranoïa, focalisé sur des « menaces à éradiquer » qui se renouvelle­nt sans cesse comme les têtes de l’hydre. 1 400 milliards de dollars : c’est le budget du projet « une Ceinture et une Route ». C’est aussi à peu près ce qu’a coûté l’opération américaine de destructio­n de l’Afghanista­n et de l’Irak en représaill­es du 11 septembre 2001.

Vaut-il mieux construire ou détruire ? La Chine a tracé la route, il s’agit maintenant de la construire.

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