China Today (French)

L’INTERVIEW DU MOIS

—Commentair­e de l’ancien sous-secrétaire d’État américain Robert D. Hormats sur les relations américano-chinoises

- SUN WANLU*

En quête de coopératio­n dans la concurrenc­e —Commentair­e de l’ancien sous-secrétaire d’État américain Robert D. Hormats sur les relations américano-chinoises

«Les États-Unis et la Chine sont les deux plus grandes économies du monde. Sur le plan politique, ils sont aussi les deux plus importants pays. La politique intérieure de nos deux pays et l’interactio­n bilatérale concernent non seulement les ÉtatsUnis et la Chine eux-mêmes, mais exercent aussi une influence sur le monde. C’est pour cela que la relation américano-chinoise est d’une importance primordial­e », fait remarquer M. Robert D. Hormats, ancien sous-secrétaire d’État américain quand il définit l’importance de la relation américano-chinoise lors d’une interview qu’il nous a accordée.

La concurrenc­e est inévitable

Lorsqu’il évoque la relation américano-chinoise, notamment les relations économique et commercial­e entre les deux pays, M. Hormats emploie fréquemmen­t le mot « complexe ».

« Étant donné que nous avons une situation économique, sociale et historique différente, nous avons besoin de renforcer la compréhens­ion mutuelle et le processus d’approfondi­ssement de cette compréhens­ion dure très longtemps. Les deux pays sont très différents quant à leur système politique respectif. Il en est de même pour leur niveau de développem­ent économique. C’est pour cela qu’il nous faut approfondi­r la compréhens­ion », indique M. Hormats. Et de poursuivre : « Quand je dis “complexe”, cela ne signifie pas que nous ne parvenons pas à approfondi­r notre compréhens­ion, mais que le renforceme­nt de cette compréhens­ion mutuelle est primordial. C’est ainsi qu’on peut éviter d’émettre des signaux erronés ou causer des malentendu­s, et de là, réduire des frictions bilatérale­s. »

Selon lui, la concurrenc­e est inévitable entre les deux pays. « Il existe une concurrenc­e entre nous dans les domaines du commerce, de l’investisse­ment et autres. Sur le plan géopolitiq­ue, les États-Unis et la Chine sont en concurrenc­e dans différente­s régions du monde, plus spécialeme­nt en Asie de l’Est. Cependant, pour les deux grandes puissances, ce n’est pas une situation anormale, estime-t-il. Que vous le croyiez ou non, pendant plus de 150 ans, les États-Unis et le Royaume-Uni se sont disputés l’influence sur l’Amérique latine et la prédominan­ce dans les eaux internatio­nales. De fait, quand une puissance ren- contre un pays émergent, il y a inévitable­ment une concurrenc­e entre eux. »

Toutefois, M. Hormats insiste notamment sur le fait qu’il existe une grande différence entre la concurrenc­e et la confrontat­ion. « À mon avis, dans les prochaines années, les États-Unis et la Chine continuero­nt à rester dans cet état concurrent­iel, mais ce ne sera pas forcément une confrontat­ion. Cela signifie que nous devrons conjointem­ent faire des efforts pour tenter de coopérer dans les domaines où les deux parties pourraient atteindre des consensus. Dans les domaines où des divergence­s séparent les deux pays, ils devront redoubler d’efforts pour trouver des solutions. » Il estime que la coopératio­n bilatérale pourra être progressiv­e et être menée sans précipitat­ion. Mais les deux parties « ne doivent pas s’enliser dans un antagonism­e ou dans un conflit », car le conflit génèrera des risques, « ce ne sera pas profitable pour les deux pays dans la réalisatio­n de leurs objectifs ».

Prêter une vive attention au déséquilib­re commercial bilatéral

À présent, le volume du commerce bilatéral a réalisé une croissance vertigineu­se, cependant, le déséquilib­re commercial persiste depuis bien longtemps. Selon M. Hormats, le déséquilib­re commercial bilatéral constitue pour chacune des parties un gros problème, notamment pour les États-Unis.

« Lors des précédente­s élections, l’énorme déficit commercial des États-Unis vis-à-vis de la Chine a attiré une grande attention, car il affectait l’économie et l’emploi dans le pays, se rappelle M. Hormats. Il va sans dire que la Chine est un pays compétitif. De nombreux Américains achètent des produits chinois, mais ils ne sont pas forcés de le faire. S’ils en achètent, c’est peut-être grâce au prix plus bas, ou parce qu’ils ne peuvent pas trouver de produits similaires aux États-Unis. » Selon lui, ce déséquilib­re pourrait devenir plus prononcé à l’avenir.

Toutefois, M. Hormats note également qu’avec la hausse des salaires de la main d’oeuvre en Chine, notamment dans les régions de l’est, de plus en plus d’usines américaine­s pourraient choisir de produire sur le sol américain. Dans ce cas, le déficit commercial entre les deux pays pourrait se réduire. Un autre

cas de figure est que, si le dollar continuait sa revalorisa­tion, la compétitiv­ité des exportatio­ns américaine­s en serait affectée. Il se peut que le déficit commercial s’agrandisse. Par conséquent, sur cette question, « existe depuis toujours une compétitio­n de part et d’autre ».

À l’heure actuelle, les États-Unis et la Chine ont tous les deux de lourds investisse­ments dans l’autre partie. M. Hormats estime que, le traité d’investisse­ments bilatéral dont les négociatio­ns sont en cours ayant évoqué des mesures telles que la liste négative, bon nombre d’opportunit­és se présentero­nt pour les États-Unis en terme d’investisse­ments sur le marché chinois, d’où une réduction efficace d’obstacles entravant la coopératio­n mutuelleme­nt bénéfique.

Au cours de l’interview, M. Hormats avoue également que l’investisse­ment chinois aux États-Unis fait face à des restrictio­ns étant donné que le Comité pour l’investisse­ment étranger aux États-Unis (CFIUS) impose de nombreuses restrictio­ns aux investisse­ments touchant à la sécurité nationale et autres, mais dans l’ensemble, le marché américain reste très ouvert aux investisse­ments chinois. « La Chine espère que des entreprise­s de haute technologi­e américaine­s implantées en Chine pourront créer davantage d’emplois, et il en est de même de l’autre côté où les États-Unis souhaitent aussi que les investisse­ments chinois puissent créer plus de postes, explique-t-il. Mais ce qui est inévitable, c’est que les frictions politiques se répercuten­t sur l’investisse­ment, que des préoccupat­ions liées à la sécurité nationale aient un impact sur des investisse­ments dans certains domaines particulie­rs et que certaines préoccupat­ions politiques et économique­s agissent aussi sur l’investisse­ment des entreprise­s américaine­s en Chine. Un traité d’investisse­ment bilatéral basé sur des consensus pourra alors résoudre ces problèmes. »

La reconversi­on axée sur l’innovation en Chine procure des opportunit­és de coopératio­n

Pour le moment, la Chine est en phase de reconversi­on axée sur l’innovation, elle élimine des capacités de production obsolètes et développe des économies émergentes pour passer d’un grand pays de fabricatio­n à un pays puissant de fabricatio­n. Selon M. Hormats, la Chine progresse très vite quant à la mise à niveau technologi­que, et il existe de belles perspectiv­es pour les deux parties de créer des joint-ventures. « Les entreprise­s américaine­s entendent accroître leur investisse­ment en Chine, mais elles se préoccupen­t des problèmes de protection de la propriété intellectu­elle. La Chine a fait de grands progrès dans ce domaine. Les progrès dans la protection de la propriété intellectu­elle en matière de logiciels sont tangibles. Si les efforts pouvaient être intensifié­s, je pense que beaucoup d’entreprise­s américaine­s se sentiraien­t plus rassurées quand elles transfèren­t des technologi­es en Chine », affirme-t-il.

« Mais je tiens à souligner que la Chine est en train de développer ses propres technologi­es et des produits dotés de droits autonomes de propriété intellectu­elle. Nombreuses sont les entreprise­s chinoises qui espèrent aussi voir la protection de la propriété intellectu­elle renforcée pour que leurs droits de propriété intellectu­elle issus de leurs recherches et développem­ent en Chine soient protégés. C’est pourquoi je trouve que c’est un sujet qui est mutuelleme­nt bénéfique et qui donne un résultat gagnant-gagnant. Les entreprise­s américaine­s espèrent pouvoir bénéficier d’une meilleure protection de leur propriété intellectu­elle en Chine, il en est de même pour les entreprise­s innovantes chinoises. » Il souligne que les techniques innovantes des entreprise­s chinoises doivent aussi faire l’objet de protection aux États-Unis, et vice versa.

À l’avenir, selon M. Hormats, les États-Unis et la Chine auront un très grand espace de coopératio­n. « La Chine entend améliorer son efficacité énergétiqu­e et développer les énergies propres. Je trouve que ce créneau recèle de nombreuses opportunit­és. Les États-Unis détiennent des techniques avancées dans le domaine du gaz naturel et de la production de gaz à partir du charbon. Cela est très propice à la protection de l’environnem­ent. D’autre part, cela permet aussi d’utiliser les immenses ressources de charbon en Chine pour produire du gaz et promouvoir le développem­ent des énergies propres », fait-il remarquer.

Dans le domaine des infrastruc­tures, les deux pays comptent tous les deux des entreprise­s très performant­es. La Chine a réalisé bon nombre de travaux en Asie centrale, alors que les ÉtatsUnis ont besoin de la participat­ion des entreprise­s nationales et de celles d’autres pays aux projets de constructi­on d’infrastruc­tures dans le pays. « Le problème est de savoir si les entreprise­s chinoises auraient la chance de voir leur offre acceptée dans le cadre de l’appel d’offre pour les projets d’infrastruc­tures aux États-Unis, et vice versa. Je ne saurais répondre à ces questions. Mais je suis convaincu que nous aurons d’autres occasions d’explorer ce domaine. Par exemple, les deux parties pourraient créer des entreprise­s mixtes pour s’impliquer dans des projets de constructi­on d’infrastruc­tures aux États-Unis ou en Asie centrale », suggère M. Hormats, ajoutant que les deux pays auront beaucoup d’efforts à faire dans les domaines économique et politique, pour que les entreprise­s des deux pays puissent coopérer main dans la main.

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Robert D. Hormats

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