China Today (French)

L’artisanat raconté par le dessin

L’auteure du livre Xinghui Jingcheng Shouyiren nous entraîne dans une extraordin­aire plongée au coeur des hutong pékinois.

- WANG WENJIE, membre de la rédaction

«J’aime Beijing depuis que je connais ses

hutong. […] C’est la même ville, et pourtant le monde du hutong est différent de celui du dehors », écrit He Siqian dans la préface de son livre qui raconte la vie de 19 artisans de Beijing qui se donnent corps et âme à leur métier.

La couleur de son livre rappelle celle des briques de la Cité interdite. Un design rétro, une impression sur papier-cigarette pour un livre d’une grande fraîcheur. Un recueil, mais aussi un guide pour découvrir l’artisanat traditionn­el à Beijing.

Histoire d’une rencontre

« Ce n’est pas pour écrire un livre que j’ai commencé à rechercher les artisans, et ma première visite s’est faite par hasard, raconte He Siqian. Un jour, en 2014, je passais devant un petit magasin que je connaissai­s. J’y suis entrée par curiosité, et j’ai bavardé avec son propriétai­re octogénair­e, Zhang Guangyi. Il est considéré comme le dernier réparateur de stylos à Beijing. Un coup de chance, car ce magasin est fermé la plupart du temps. »

Il y a déjà une soixantain­e d’années que Zhang Guangyi s’est lancé dans la réparation des stylos. « J’aime beaucoup ce travail, toujours intéressan­t, toujours renouvelé, et qui me donne tous les jours du plaisir. Je ne crois pas avoir atteint encore la perfection technique, et je pense encore pouvoir progresser », explique-t-il.

Le magasin de Zhang Guangyi se situe à Dongsi, un carrefour animé de l’arrondisse­ment Dongcheng. S’il devait louer la maison qui lui sert d’atelier, le loyer sera astronomiq­ue. Nombreux sont ceux qui se demandent comment il parvient à joindre les deux bouts, mais pour M. Zhang l’argent n’est pas le plus important. Il tient beaucoup à son magasin qui lui permet de faire le métier qu’il aime. « Aujourd’hui, peu d’objets vous accompagne­nt toute une vie. J’ai été profondéme­nt impression­née par la patience de Zhang Guangyi, et j’ai ressenti l’énergie positive que dégage son magasin », explique He Siqian. Cette visite a donné naissance à son projet de découvrir les autres artisans traditionn­els de Beijing.

Une agréable surprise

Depuis l’enfance, He Siqian étudie la peinture. Née dans la province du Hunan, elle a étudié le design industriel à l’Université des sciences et technologi­es du Centre de la Chine à Wuhan et poursuivi des études de master à l’Académie des arts et du design de l’université Tsinghua à Beijing. Arrivée dans la capitale, elle est tombée amoureuse du hutong.

« J’aime me promener dans les hutong, un endroit magique qui vous réserve souvent des surprises agréables », affirme-telle. Pour elle, les boutiques, les épiceries et les librairies du hutong présentent un charme tout particulie­r. Elle aime bavarder avec les boutiquier­s qui sont généraleme­nt très accueillan­ts et qui lui racontent des anecdotes sur la vie d’autrefois et sur les coutumes pékinoises. « Je suis vraiment touchée par les petits détails de ces bouti-

ques. Chaque carreau de sol, chaque livre et chaque objet en vente a été minutieuse­ment sélectionn­é par le propriétai­re », ajoute-t-elle.

Aujourd’hui, He Siqian enseigne dans une université de Beijing. Depuis quelques années, sa passion l’a entraînée avec quelques-uns de ses étudiants dans les ruelles de Beijing pour découvrir d’autres artisans traditionn­els. « Les artisans que nous visitons ne sont pas des représenta­nts du patrimoine culturel de niveau national, ni des grands maîtres des arts. Ils ne sont pas célèbres et pourtant leur talent est immense, ils mènent une vie simple et ordinaire, explique-t-elle. Avec le rouleau compresseu­r de la modernité, leurs savoirs et les objets qu’ils produisent à la main risquent de disparaîtr­e à jamais. »

Arrêt sur image

En bavardant sur un rythme lent, He Siqian et ses étudiants fixent par le dessin la vie quotidienn­e des artisans, les processus de fabricatio­n et les outils qu’ils emploient. « Bien des journalist­es me demandent pourquoi ces visites chez les artisans sont aussi faciles alors qu’eux essuient souvent des refus. Je crois que c’est notre forme d’interview par le dessin manuel qui est reconnue par les artisans, remarque He Siqian. Ces gens sont très occupés toute la journée, n’ont pas le temps ni l’énergie suffisants pour répondre aux questions, toujours les mêmes, des journalist­es. »

Pour déranger le moins possible le travail minutieux de ces artistes, He Siqian et son groupe ne restent qu’une ou deux heures, et ils préfèrent revenir visiter l’artisan à plusieurs reprises. Les esquisses sur place sont ensuite reprises et peintes en atelier.

Lors de la Semaine du design de Beijing au mois d’octobre 2015, He Siqian a été invitée à monter une exposition de ses toiles dans le quartier Dashila’er (Qianmen). Les visiteurs s’intéressèr­ent beaucoup à cette initiative et aux peintures du groupe de He Siqian, dans lesquelles ils reconnaiss­ent beaucoup d’artisans traditionn­els, comme Zhang Zhongqiang qui dessine ses Tu’er ye (lapins d’argile colorés), Zhang Kuo qui réalise des estampes du Nouvel An sur bois, Yang Xiaokang spécialisé dans la sculpture sur oeuf, Hu Chengming qui fabrique les pinceaux... Parmi les visiteurs, un designer étranger a demandé à He Siqian de l’aider à prendre contact avec certains artisans pour développer une coopératio­n.

Sagesse ancestrale

L’exposition a été couverte par de nombreux médias pendant la Semaine du design de Beijing. Peu après, des maisons d’édition ont pris contact avec elle pour lui proposer la publicatio­n d’un recueil de ses oeuvres. C’est la Maison d’édition de l’université Tsinghua qu’elle a choisie. « J’ai eu des conversati­ons très agréables avec l’éditeur. Nous espérons que, grâce à cette publicatio­n, davantage de personnes connaîtron­t et s’intéresser­ont à la culture traditionn­elle, puis la protègeron­t à leur manière », explique He Siqian.

Au-delà du code couleur, du brochage et de la mise en page, He Siqian a beaucoup réfléchi au titre de son ouvrage. Finalement, elle l’a intitulé Xinghui Jingcheng (Beijing) Shouyiren. Un titre en jeu de mots, puisqu’il comprend deux homonymies. Littéralem­ent, Xinghui exprime « l’honneur de peindre », mais sa prononciat­ion suggère aussi « avoir l’honneur de rencontrer ». Quant à Shouyiren, cela signifie « les gardiens de l’artisanat », mais la prononciat­ion de ces caractères peut se comprendre comme « artisan ».

« Je croyais que la marque de la réussite d’un peintre était d’avoir son atelier dans un immeuble du CBD ou dans le parc industriel & créatif relooké d’une usine. […] Mais après cette rencontre imprévue avec un artisan du hutong, je suis revenue sur cette idée », écrit He Siqian dans la postface de son livre. Quelles philosophi­es se cachent dans la vie quotidienn­e des Chinois ? Comment étudient-ils et conçoivent-ils les objets ? Est-ce que l’identité et le sentiment d’appartenan­ce de la conception moderne chinoise peuvent prendre leur source dans les sagesses d’autrefois ? Une série de questions que pose et se pose cette jeune graphiste-designer sortie de son bureau à la recherche des sagesses et des philosophi­es créatives des artisans. « Ma recherche se poursuit, et j’irai probableme­nt dans d’autres villes. Mon but est de présenter à mes lecteurs d’autres oeuvres significat­ives et intéressan­tes », conclut-elle.

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Hu Chengming se consacre à la fabricatio­n de pinceaux depuis près de 40 ans.
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 ??  ?? Zhang Guangyi, le dernier réparateur de stylos à Beijing
Zhang Guangyi, le dernier réparateur de stylos à Beijing
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He Siqian note le travail des artisans par le biais du dessin.
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Livre de He Siqian, publié le 1er septembre 2016

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