China Today (French)

À la découverte du bouddhisme tibétain dans le Palais impérial

Vous pensiez avoir fait le tour de la Cité interdite ? Détrompezv­ous : ce palais impérial renferme des espaces dérobés à la vue. Notamment, la section conservant des trésors du bouddhisme tibétain, que nos journalist­es vont vous présenter…

- ZHANG XUE et LI YUAN, membres de la rédaction

Vous pensiez avoir fait le tour de la Cité interdite ? Détrompez- vous : ce palais impérial renferme des espaces dérobés à la vue.

La Cité interdite, palais où résidait l’empereur sous les dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911), incarne l’excellence de l’architectu­re impériale chinoise. Elle figure aussi parmi les complexes d’anciens bâtiments avec une structure en bois les plus vastes et les mieux conservés du monde. Chaque jour, les touristes, chinois comme étrangers, affluent en ce lieu. Pourtant, aujourd’hui, certaines sections ne sont pas encore ouvertes au public et conservent ainsi leur part de mystère.

Le mystérieux pavillon Yuhua

Dans le coin nord-ouest de la Cité interdite, se trouve une section unique entièremen­t composée de temples bouddhiste­s. Une dizaine de salles destinées à la pratique religieuse, avec la salle Zhongzheng au milieu, se succèdent du nord au sud et restent fermées aux visiteurs, dont le pavillon Yuhua et la salle Baohua.

Au cours de sa 14e année de règne (1749), l’empereur Qianlong (1736-1795) de la dynastie des Qing suivit la suggestion du bouddha vivant 3e Changkya Hutuktu et fit construire le pavillon Yuhua sur la base d’un édifice des Ming, à l’image de la salle Mandala dans le monastère de Tholing situé dans la préfecture tibétaine de Ngari. Dès lors, ce pavillon devint un temple du bouddhisme tantrique.

Vu de l’extérieur, le pavillon Yuhua semble être un bâtiment construit sur trois niveaux, mais en réalité, quatre niveaux se superposen­t à l’intérieur. Cette constructi­on est la seule parmi les monuments de la cour des Qing à combiner les styles architectu­raux han et tibétain. Les niches des statues de Bouddha sur quatre étages

représente­nt les quatre classes de tantras, à savoir le « tantra de l’action », le « tantra de la morale », le « tantra yoga » et le « tantra yoga supérieur ».

« Les reliques culturelle­s dans le pavillon Yuhua sont restées à la place qu’elles occupaient sous la période allant du règne de l’empereur Qianlong à celui de l’empereur Jiaqing (1796-1820) des Qing. La date des objets et leur emplacemen­t ont été enregistré­s avec précision dans les archives du Palais impérial », déclare Luo Wenhua, directeur de l’Institut sur le patrimoine culturel du bouddhisme tibétain au Palais impérial.

Une fois ouverte, la porte vermillonn­ée laisse entrevoir d’abord une pagode en bois de santal rouge à l’entrée, avec en haut un panneau suspendu où sont inscrits quatre caractères calligraph­iés par l’empereur Qianlong en personne. D’après les explicatio­ns de M. Luo, le pavillon est décoré de trois mandalas en émail relevant du bouddhisme tantrique, ainsi que de nombreux objets précieux : statues de Bouddha en cuivre et en or, instrument­s rituels, pagodes en porcelaine, thangkas, etc. Certains d’entre eux, qui trouvent leurs origines au Tibet, en Inde ou au Népal à diverses époques, furent offerts aux empereurs des Qing par le Tibet et la Mongolie ; d’autres furent fabriqués par le Bureau de la maison impériale des Qing.

Les thangkas suspendus dans le pavillon Yuhua furent pour la plupart peints vers 1750. D’ordinaire, les rideaux du pavillon restent fermés pour protéger les thangkas des rayons du soleil menaçants. En soulevant le voile recouvrant un thangka, il est possible d’observer nettement, à la faible clarté d’une lampe de poche, les couleurs vives émanant des pigments minéraux. « Ces thangkas centenaire­s ont toujours été suspendus ici, et pourtant, leurs couleurs ne sont presque pas délavées », se félicite M. Luo. Et d’ajouter que le Palais impérial conserve 1 970 thangkas, dont la plupart furent réalisés par des artistes vivant sous le règne de l’empereur Qianlong.

Des piédestaux résistant aux secousses sismiques ont été bâtis pour présenter les grandes pagodes en bois et en porcelaine. Et de nombreux autres vestiges culturels sont présents dans le pavillon Yuhua, à la même place que jadis. Cette multitude d’objets anciens est à vrai dire l’une des raisons pour lesquelles le pavillon n’est pas ouvert au public : les visiteurs risqueraie­nt de toucher çà et là les reliques et de les abîmer. Néanmoins, le pavillon Yuhua a été intégré au projet de galerie numérique de la Cité interdite. Prochainem­ent, il sera donc possible d’admirer la collection au moyen d’un casque de réalité virtuelle.

M. Luo conseille aux visiteurs qui veulent apprécier les richesses artistique­s du bouddhisme tibétain préservées au Palais impérial de visiter la salle Xianruo, dans le jardin du palais Cining. Cette salle d’exposition, qui vient de rouvrir ses portes après des travaux l’année dernière, a été rénovée à l’image de son allure d’antan. Autrefois, c’est en ce lieu que venaient les impératric­es et les concubines douairière­s pour s’adonner à la pratique du bouddhisme.

La prédominan­ce du bouddhisme tibétain

Peut-être vous demandez-vous pourquoi les reliques culturelle­s du bouddhisme tibétain abondent ainsi dans le Palais impérial ? Il faut savoir que ce monument a été le témoin de l’apogée de cette religion en Chine.

La 10e année de son règne (1653), l’empereur Shunzhi (1644-1661) reçut le 5e Dalaï, chef spirituel du lamaïsme au Tibet, et lui accorda officielle­ment le titre de « Dalaï Lama ». En 1713, l’em- pereur Kangxi (1662-1722) conféra au 5e Panchen le titre de « Panchen Erdeni », de même qu’il reconnut officielle­ment les statuts politiques et religieux du Dalaï et du Panchen au Tibet. Dès lors, le bouddhisme tibétain se développa et les salles réservées à la pratique bouddhique se multiplièr­ent dans la Cité interdite.

La 45e année du règne de Qianlong, dans le cadre de la célébratio­n du 70e anniversai­re de l’empereur, le 6e Panchen fut convié au Palais impérial. Le bouddhisme tibétain vivait alors ses dernières heures de gloire à la cour, car par la suite, avec la décadence de la dynastie des Qing, il perdit progressiv­ement son influence auprès du pouvoir impérial.

« Quand l’empereur demeurait au Palais impérial, tôt le matin, il allait de temple en temple faire brûler de l’encens, avant même de prendre son petit déjeuner dans le palais Qianqing, autrement dit, son bureau. C’est dire l’importance qu’avait cette section dédiée à la pratique bouddhique », raconte M. Luo.

En marchant en direction du nord à partir du pavillon Yuhua et en traversant la porte Zhaofu, on arrive sur la petite place devant la salle Baohua, où de grandes activités bouddhique­s étaient organisées annuelleme­nt par la cour impériale. Des bannières sacrées datant de l’époque des Qing y sont toujours accrochées. À la fin de chaque année, l’empereur venait participer à la « chasse aux démons », qui

était le rite bouddhique le plus important à la cour impériale des Qing, dans le but de se débarrasse­r de la malchance. Ce jour-là, l’empereur était assis aux côtés du grand Lama de la Mongolie du Nord de Gobi, du maître Changkya Hutuktu de la Mongolie du Sud de Gobi, ainsi que du Dalaï ou du Panchen venu du Tibet, signe de la place privilégié­e dont jouissait le bouddhisme tibétain sous la dynastie des Qing.

De nos jours, les vastes collection­s de trésors du bouddhisme tibétain hébergées dans la Cité interdite laissent encore paraître toute la prospérité de cette religion à l’époque. Parmi les 42 000 objets religieux conservés au Palais impérial, 80 % sont associés au bouddhisme tibétain.

Entre protection et échanges

Diplômé de l’université de Beijing en archéologi­e depuis 1989, Luo Wenhua a poursuivi toute sa carrière au Musée du Palais impérial. Devenu un célèbre chercheur spécialist­e du bouddhisme tibétain, il parle aujourd’hui parfaiteme­nt l’anglais, mais connaît aussi le tibétain, le sanskrit et l’allemand.

Abordant le thème de la protection du patrimoine, M. Luo exprime son inquiétude : « À l’heure actuelle, les nombreuses reliques culturelle­s tibétaines sont éparpillée­s dans les différents temples. Mais faute de profession­nels dans ce domaine, la plupart attendent encore d’être recensées et classées. La protection du patrimoine n’en est qu’à ses balbutieme­nts. »

Pour mieux préserver l’héritage tibétain, le Musée du Palais impérial et le gouverneme­nt de la région autonome du Tibet ont signé l’année dernière un accord-cadre de coopératio­n en ce sens. Désormais, les deux parties collaboren­t dans la constructi­on de musées, la recherche et la publicatio­n liées aux collection­s, l’exposition des trésors culturels, la protection et la restaurati­on. Par ailleurs, elles réalisent, étape par étape, des études archéologi­ques au Tibet. À titre d’exemple, des experts du musée s’impliquent déjà dans un projet de classement et de conservati­on des reliques culturelle­s que renferme le monastère de Jokhang.

Une exposition intitulée « À travers la Route de la Soie : sculptures Gupta et leurs homologues chinois de 400 à 700 après notre ère » a eu lieu de fin septembre 2016 à début janvier 2017, dans la galerie de la porte du Méridien du Palais impérial. Luo Wenhua, commissair­e indépendan­t de cette exposition, s’est rendu à plusieurs reprises en Inde en vue d’organiser l’événement, et a rapporté dans ses bagages une pile de livres sur le bouddhisme. Évoquant la coopératio­n avec l’Inde, il déclare avec émotion : « L’Inde est un pays doté d’une longue histoire, riche en vestiges culturels et en monuments historique­s. Par le passé, la Chine et l’Inde menaient des échanges fréquents et s’influençai­ent l’une l’autre sur le plan culturel. Mais depuis les temps modernes, les deux nations se connaissen­t très peu mutuelleme­nt. » Il estime que la Chine et l’Inde d’aujourd’hui devraient se rapprocher, être reconnaiss­antes l’une envers l’autre pour ces apports culturels et renforcer leurs échanges.

Le patrimoine du bouddhisme tibétain est hautement apprécié à l’étranger également, poursuit M. Luo. Voilà plus de cent ans que l’Occident s’intéresse à la tibétologi­e et aujourd’hui, les études sur la culture du bouddhisme tibétain, surtout celles centrées sur la région de l’Himalaya, donnent des résultats fructueux aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. La Chine devrait donc affermir les échanges internatio­naux en la matière, conclut M. Luo.

Selon le conservate­ur du Musée du Palais impérial, Shan Jixiang, ceci est précisémen­t l’une des missions qu’entend relever le musée. Ce lieu d’exposition compte en effet devenir un centre d’études sur la tibétologi­e en Chine, en mettant en valeur le patrimoine du bouddhisme tibétain et en approfondi­ssant la coopératio­n et les échanges avec ses homologues chinois et étrangers.

 ??  ?? Le pavillon Yuhua
Le pavillon Yuhua
 ??  ?? Statue du bodhisattv­a Maitreya en position assise
Statue du bodhisattv­a Maitreya en position assise
 ??  ?? Une statue de Yamantaka
Une statue de Yamantaka
 ??  ?? Une statue du bouddha vivant 3e Changkya Hutuktu
Une statue du bouddha vivant 3e Changkya Hutuktu

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