China Today (French)

« Impérialis­me chinois » ? Quel impérialis­me chinois ?

- (France) CHRISTOPHE TRONTIN

Ce qui est drôle lorsqu’on vit en Chine, c’est voir à quelles contorsion­s la presse démocratiq­ue est prête à se livrer lorsqu’elle raconte ce pays. Pas de bonnes nouvelles de ce côté du globe, et toute info est systématiq­uement tordue dans le sens le plus pessimiste possible. Bien sûr, certains thèmes demandent plus d’agilité que d’autres et parfois, des prouesses sémantique­s qui vous laissent pantois...

« La Chine est bien une puissance impérialis­te », affirme Médiapart sous le prétexte un peu curieux que son territoire serait actuelleme­nt plus vaste qu’à aucune autre époque de son histoire. Dans le Washington Times, un ancien amiral américain affirme que la volonté chinoise de faire respecter sa souveraine­té en mer de Chine méridional­e n’est « rien d’autre que de l’impérialis­me agressif ». Le New Yorker s’attaque lui à la présence chinoise en Afrique pour titrer Chinafriqu­e : les nouveaux impérialis­tes ? D’autres préfèrent employer des euphémisme­s ou des synonymes. La Tribune signe un article qui trouve la Chine « agressive », cette fois principale­ment sur le plan économique. Les uns citent la mise en chantier d’un second porte-avions, d’autres l’accroissem­ent de ses dépenses militaires... D’autres encore parlent d’« impérialis­me culturel » et de « rouleau compresseu­r ». Impérialis­te la Chine, sérieuseme­nt ?

Si l’on se réfère à la définition de l’impérialis­me, qui selon le Larousse consiste en des « visées de domination et d’expansion d’un État », force est de constater qu’on n’a jamais vu d’impérialis­me aussi retenu. La politique étrangère de la Chine, toute à son rôle de grande puissance modeste, n’est en rien comparable à celle de l’Oncle Sam. Soyons sérieux : qu’il s’agisse de nombre de porte-avions (2 contre 12), de bases militaires à l’étranger (0 contre 800), de budget militaire (150 milliards de dollars contre 603 milliards), les chiffres sont éloquents. Si les ÉtatsUnis se découvrent, dans chaque recoin de la planète, des « intérêts vitaux » qui les obligent à bafouer les souveraine­tés, la Chine s’engage au contraire pour un monde multipolai­re et se contente de défendre ses intérêts dans le cadre de la loi et des convention­s internatio­nales.

Le contraste est encore plus criant si l’on comprend l’« impérialis­me » non pas seulement comme une « volonté de domination », toujours vague et difficile à quantifier, mais plutôt comme le nombre d’actions entreprise­s en vue de cette domination. Comptons le nombre d’aventures militaires non sanctionné­es par l’ONU depuis 2001. Zéro pour la Chine contre une bonne douzaine pour les États-Unis qui ont avoué avoir effectué 26 000 « frappes » de missiles à l’étranger en 2016 (y compris dans des pays contre lesquels ils ne sont pas en guerre !) On ne compte plus les tentatives de déstabilis­ation, les coups d’État, les blocus, les embargos organisés par le « gendarme du monde » pour plier à ses volontés les dirigeants de presque tous les pays du globe, inventant de toutes pièces un « droit d’ingérence » que l’« hyperpuiss­ance » réserve jalousemen­t à son strict usage. Rien de tel ne peut être reproché à la Chine qui fait affaire avec les dirigeants des divers pays dans le respect des souveraine­tés respective­s.

Dans son célèbre pamphlet L’impérialis­me, stade suprême du capitalism­e (1916), Vladimir Lénine soutient la thèse selon laquelle le capitalism­e tend à concentrer et non à redistribu­er les richesses, et c’est le développem­ent de l’oligarchie qui en découle qui provoque l’émergence de l’impérialis­me. Il défi- nit l’impérialis­me non pas comme une simple volonté de domination coloniale mais plutôt comme « la poursuite par des moyens militaires d’une domination économique ».

La situation présente semble lui donner raison. Même si tous les pays, à quelques rares exceptions, ont adopté un mode de développem­ent capitalist­e, on peut constater que seuls se conduisent de manière impérialis­te, à des degrés divers, les membres de l’Otan. L’impérialis­me occidental est presque toujours inspiré par des motifs bassement mercantile­s : derrière l’invasion de l’Irak, le blocus de l’Iran, les diverses interventi­ons armées en Afrique et au Proche-Orient, il est facile de trouver une volonté, inspirée par les banques et les actionnair­es des multinatio­nales, d’appropriat­ion de ressources, de sécurisati­on des approvisio­nnements ou tout simplement de relance du complexe militaro-industriel. Lorsque ce n’est pas le pétrole de tel ou tel pays « peu coopératif » qui attise les convoitise­s, ce sont des gisements d’uranium qui doivent être sécurisés ou le tracé d’un oléoduc qu’il convient de rectifier par une interventi­on armée.

La « guerre au terrorisme » qui embrase un continent après l’autre sert en réalité de paravent à des opérations beaucoup plus prosaïques. Déclarée voici plus de quinze ans, elle a encore de beaux jours devant elle puisqu’elle produit plus de terroriste­s qu’elle n’en élimine. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que c’était justement l’objectif de ses initiateur­s.

La Chine deviendra-t-elle impérialis­te à son tour ? On peut dire que non. Et cela, paradoxale­ment, grâce à son principe du rôle dirigeant du Parti communiste qui maintient l’autorité de l’État, et donc l’intérêt national, au-dessus des corporatio­ns et de leurs visées prédatrice­s.

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