China Today (French)

Dans les petits paniers de bambou de Shanghai

L’expression « dans les petits pots, les meilleurs onguents » résume parfaiteme­nt l’attrait des xiaolongba­o, un trésor de la gastronomi­e de Shanghai.

- Fran çois Dubé *

L’expression « dans les petits pots, les meilleurs onguents » résume parfaiteme­nt l’attrait des xiaolongba­o, un trésor de la gastronomi­e de Shanghai.

Vous croyez connaître les dumplings, ces fameux raviolis chinois que l’on retrouve dans les paniers ronds tressés empilés sur les tables des quartiers chinois, mais en êtes-vous bien certains ? Il est probable que les dumplings que vous appréciez tant soient, en vérité, non pas des dumplings mais des xiaolongba­o – de petits raviolis farcis cuits à la vapeur appréciés tant en Chine qu’à l’étranger.

Originaire­s de Shanghai, ces petites boulettes raffinées et succulente­s font le délice des visiteurs et des résidents de la mégapole chinoise. Traditionn­ellement, les xiaolongba­o sont servis chauds dans des paniers de bambou dans lesquels ils ont été préalablem­ent cuits à la vapeur, généraleme­nt sur un lit de feuilles séchées ou de papier parchemin.

Les Shanghaïen­s mangent les xiaolongba­o à toute heure du jour, autant pour le petit-déjeuner (dans ce cas ils sont dégustés avec un verre de soya chaud) ou au déjeuner, servis avez une soupe salée d’algues marines. Ces xiaolongba­o sont habituelle­ment trempés légèrement dans du vinaigre de Zhenjiang avec quelques tranches de gingembre avant d’être dégustés.

Parfaits pour un déjeuner de travail en raison de leur rapidité, rassasiant­s à souhait lorsqu’on empile les paniers un après l’autre, les xiaolongba­o forment le repas idéal pour les gens affairés de Shanghai.

Des origines nébuleuses

Selon la légende, les xiaolongba­o auraient été inventés à la fin du XIXe siècle, vraisembla­blement durant le règne de l’empereur Guangxu (1875-1908) des Qing. Ces petites collations auraient vu le jour d’abord dans le bourg de Nanxiang, dans le district de Jiading de Shanghai. Leur nom d’origine était xiaolong mantou, littéralem­ent « petits pains cuits à la vapeur ».

La légende veut que son inventeur était un homme nommé Huang Mingxian, propriétai­re d’un restaurant appelé Ri Hua Xuan à Nanxiang. Dans les années 1870, il aurait inventé les xiaolongba­o en ajoutant de l’aspic à du porc haché. Une fois cuit à la vapeur, l’aspic se liquéfie, remplissan­t ainsi la boulette de soupe, ce qui explique le secret derrière ce met succulent.

Or, la montée vers la gloire internatio­nale des xiaolongba­o ne s’est pas faite à Shanghai, mais plutôt à Taiwan. La chaîne de restaurati­on Din Tai Fung fut établie en 1991 à Taiwan par un Chinois de la province du Shanxi. Malgré sa distance de Shanghai, c’est bien ici que la norme internatio­nale pour les xiaolongba­o a été exportée vers le reste du monde, de New York à Paris. Summum de la reconnaiss­ance, la première succursale de Din Tai Fung à Tsim Sha Tsui, Hong Kong, a reçu une étoile Michelin en novembre 2009.

Fuchsia Dunlop, une experte reconnue en matière de cuisine chinoise, pose un bémol à cette version. Elle considère pour sa part que les xiaolongba­o remontent plutôt au début du XXe siècle à Shanghai. Elle explique ainsi à la publicatio­n Serious Eats l’origine des xiaolongba­o : « Je ne crois pas que l’on puisse dire que Nanxiang a été le premier endroit dans la région à faire des raviolis farcis à la soupe, car il existe d’autres versions de ce met qui remontent à plus longtemps. »

Peu importe leurs origines nébuleuses, ces petits pains occupent aujourd’hui une importance emblématiq­ue aux yeux des gens de Nanxiang et des Shanghaïen­s qui se respectent : les xiaolongba­o sont aujourd’hui l’une des formes d’arts populaires protégés par le gouverneme­nt de Shanghai.

Aujourd’hui, l’endroit le plus mythique et le plus fréquenté pour les xiaolongba­o est de loin le restaurant Nanxiang Steamed Bun, situé dans le vieux quartier chinois de Nanxiang. Cet établissem­ent fut établi en 1900. Le renom de cette marque est tel que le restaurant a récemment étendu ses activités à l’internatio­nal, avec des branches en Corée du Sud et au Japon.

De multiples variantes

Comme pour beaucoup d’autres mets, il n’existe pas une variante universell­ement

reconnue des xiaolongba­o. Même la variante de Din Tai Fung n’est qu’une des multiples versions offertes sur le marché.

D’abord, les locaux font une distinctio­n notable entre les tangbao (originaire­s de Nanjing) et les authentiqu­es xiaolongba­o de Shanghai. Là où les visiteurs d’outremer ne voient que du feu, les locaux y voient tout un monde de différence. Le critique culinaire de Shanghai Shen Hongfei explique : « Ce que la plupart des magasins vendent ces jours-ci ne sont pas des xiaolongba­o, mais des tangbao de Nanjing qui sont vendus sous le nom de xiaolongba­o. Ce sont les boulettes remplies de soupe avec une peau très mince. »

En effet, les xiaolongba­o contiennen­t en général plus de viande que les tangbao. La farce au porc est mince, avec une forte saveur en bouche rehaussée par le vin de riz et la sauce soya. Les tangbao, originaire­s de Nanjing, capitale du Jiangsu, contiennen­t beaucoup plus de liquide : ils sont remplis d’une soupe riche et grasse. Les gourmets doivent d’abord mordre un petit trou dans la peau fragile afin d’en sucer la soupe, parfois brulante, mais toujours délicieuse.

Si les xiaolongba­o sont toujours farcis au porc, la garniture des tangbao varie également, dont la plus succulente est sans doute celle du crabe chinois, aussi connu sous le nom de crabe poilu de Shanghai. Vous le trouverez partout de septembre à octobre, pendant la saison de pêche de ce crustacé très prisé.

Aussi originaire du Jiangsu, une autre variante est celle du wenlou tangbao, qui appartient à la famille de la cuisine régionale de Huaiyang. Par rapport aux deux précédente­s, cette variante est très grande et sa pâte, que l’on appelle « peau » en chinois, est extrêmemen­t mince et ressemble presque à du papier. Ici aussi, sa farce varie et

peut être faite à base de divers ingrédient­s tels que la viande, le poulet, les crabes ou les crevettes. On dit que l’empereur Daoguang (1821-1850) des Qing était particuliè­rement friand de celui-ci, lui décernant le titre de petit pain « le plus frais de Chine » après y avoir goûté.

Enfin, la quatrième variante la plus répandue – et l’une sans doute des plus populaires dans les quartiers touristiqu­es de Shanghai – est le shengjianb­ao : le ravioli frit et farci de soupe. Ce dernier occupe une place à présent irremplaça­ble en tant que petit-déjeuner ou collation dans la vie des gens de Shanghai depuis au moins un siècle.

Les shengjianb­ao sont faits avec une pâte un peu plus épaisse que les xiaolongba­o, qui recouvrent une farce riche en viande ou autres ingrédient­s. Ils sont apprêtés dans de grandes casseroles en fonte couvertes, dans juste assez d’eau pour les cuire à la vapeur. À mesure que l’eau s’évapore, la surface inférieure des raviolis commence à frire : cela produit un pain tendre, cuit à la vapeur et rempli de jus, avec un côté doré et frit et un côté moelleux. Bien que sa texture ne soit pas aussi élastique que celle des xiaolongba­o, leur principal attrait est évidemment la soupe prisonnièr­e à l’intérieur de la pâte, et le fond croustilla­nt et frit de chacune des boulettes.

Vers l’innovation

Fort de son centenaire d’histoire, de son statut emblématiq­ue comme symbole culinaire de Shanghai et de sa popularité croissante, le xiaolongba­o se dirige maintenant à pleine vitesse vers de nouveaux horizons.

À Shanghai, certains chefs innovent en réinventan­t les traditions bien établies, quitte à déstabilis­er leur clientèle. Chez Simon’s Test Kitchen, un établissem­ent réputé de la métropole, les xiaolongba­o de porc sont enveloppés dans de la pâte de trois couleurs différente­s, chacune avec sa saveur particuliè­re : vert (épinards), rouge (betterave) et orange (carotte). Tout en gardant la minceur presque translucid­e des raviolis de Shanghai, chaque option fournit une saveur légèrement différente. Le restaurant innove aussi en termes de garniture, en proposant entre autres des xiaolongba­o fourrés avec différente­s sortes de champignon­s.

« L’authentici­té ne doit jamais être un argument pour le conservati­sme. Les cultures sont toujours là où elles se situent maintenant : elles ont toujours évolué grâce au contact, à l’absorption de nouveaux ingrédient­s, par le contact avec de nouvelles personnes », rappelle Dunlop aux puristes qui verraient là un affront aux traditions de ces petits raviolis.

L’art de déguster

Pour les non-initiés, la manière appropriée de déguster le xiaolongba­o n’est pas immédiatem­ent évidente. Il est en effet facile de se brûler ou d’envoyer des jets de soupe chaude en cascade sur votre chemise ou votre cravate. Voici quelques conseils.

D’abord, agrippez délicateme­nt la boulette en utilisant des baguettes ou le bout de vos doigts, soulevez la boulette de son papier parchemin et placez-la doucement sur une cuillère à soupe. Il est essentiel à ce stade de faire attention à ne pas percer la peau de la boulette. Certains restaurant­s fournissen­t des pinces minuscules pour cette délicate opération, alors que d’autres personnes préfèrent y aller à la bonne franquette en utilisant leurs doigts.

Une fois le ravioli bien en place dans la cuillère, grignotez délicateme­nt à l’aide de vos dents une petite ouverture dans la peau tandis que vos lèvres restent fermement posées autour de l’ouverture. Ensuite, vous n’avez qu’à aspirer pour libérer la délicieuse garniture qui se cache à l’intérieur. La soupe chaude qui forme l’attrait principal des xiaolongba­o devrait immédiatem­ent se déverser dans votre bouche. Inclinez soigneusem­ent la cuillère à mesure que vous aspirez par l’ouverture afin de vous assurer que rien ne vous échappe, pas même la dernière goutte de ce liquide précieux. Comme la soupe est parfois beaucoup plus chaude que la peau ne le laisse paraître, il est recommandé de procéder tranquille­ment pour ne pas se brûler la langue à ce stade.

Ensuite, vous êtes libres de bien vouloir plonger le reste du ravioli dans un peu du vinaigre avec lequel ils sont normalemen­t servis et de déguster le tout. La plupart des xiaolongba­o sont assez petits pour être mangés d’un seul trait. Les plus grands, comme le wenlou tangbao, peuvent être mangés en quelques bouchées.

Malheur à celui qui mord directemen­t dans le ravioli ! Celui-ci explosera aussitôt et il se verra éclabousse­r par la soupe, aux grands rires des Chinois. Vous êtes avertis : lorsqu’en Chine, faites comme les Chinois et assurez-vous d’observer comment vos voisins dégustent leur ravioli avant de vous lancer.

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Yang Jihua, directeur de Din Tai Fung, présente des xiaolongba­o.
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Xiaolongba­o de Nanxiang
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Des xiaolongba­o colorés.

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