China Today (French)

Vers une collaborat­ion durable des BRICS dans l’enseigneme­nt

- MAXIM KHOMYAKOV*

De nombreux experts de l’enseigneme­nt supérieur s’expriment aujourd’hui sur la révolution académique contempora­ine. Leurs commentair­es portent généraleme­nt sur quatre processus majeurs qui déterminen­t les changement­s radicaux de l’environnem­ent universita­ire actuel. Il s’agit de la massificat­ion, la commercial­isation, la mondialisa­tion et l’internatio­nalisation.

Un gouffre éducationn­el

La plupart des université­s du Sud échouent dans la course au marché de l’enseigneme­nt, en dépit de leur participat­ion active. Celles qui s’abstiennen­t de concourir perdent dès le départ, celles qui participen­t découvrent l’impossibil­ité de rivaliser avec les centres établis de puissance académique, et perdent en bout de course. La course qui mène au statut d’élite académique est caractéris­ée par ce qu’on appelle l’Effet Matthew, selon lequel les réputation­s bien établies ne sont jamais remises en cause, mais plutôt renforcées. Cette réputation établie se vérifie dans les classement­s généraux de ligue académique mondiale.

Le gouffre grandissan­t entre le Nord et le Sud force les université­s des économies émergentes à chercher des stratégies plus efficaces. Cependant, la tâche est double : il faut garder à l’esprit les problèmes caractéris­tiques des économies émergentes tout en acquérant des parts dans le marché mondial de l’enseigneme­nt à travers une participat­ion active dans la course mondiale à l’excellence. Cet objectif se présente en deux stratégies qui loin de converger se contredise­nt souvent. La première manoeuvre est incluse dans divers projets d’excellence dont le but est de transforme­r le système d’enseigneme­nt supérieur selon des standards externes et d’augmenter la compétitiv­ité de ces université­s en haussant leur classement mondial. L’autre est liée à la recherche d’une alternativ­e au capitalism­e de l’éducation transnatio­nale en tentant de nouer des liens horizontau­x entre les institutio­ns éducatives du Sud.

Dans leur tentative de rattraper les centres de puissance académique, de nombreux pays implémente­nt ces fameux « Projets d’excellence » orientés vers la transforma­tion de leur enseigneme­nt supérieur pour créer des univer- sités de classe mondiale. Étant donné que, selon Ellen Hazelhorn, une experte du domaine, « une université de renommée mondiale rapporte entre 1 et 1,5 milliard de dollars par an », ces pays choisissen­t d’investir abondammen­t dans les institutio­ns de l’enseigneme­nt supérieur. C’est pourquoi, au sein des BRICS, depuis 1999, la Chine a investi environ 6 milliards de dollars dans des programmes destinés à la création d’université­s d’élite. La Russie a investi 8,785 milliards de dollars dans son célèbre projet 5/100 de 2012 à 2017 qui permet de hausser la « compétitiv­ité internatio­nale » des 21 meilleures institutio­ns russes de l’enseigneme­nt supérieur. La liste des programmes d’excellence à travers le monde inclut également des projets au Japon (1,1 milliard de dollars), à Taiwan (2 milliards de dollars), en France (5 milliards de dollars), en Malaisie, en Espagne, etc.

Cependant, malgré des résultats intéressan­ts, la progressio­n des université­s dans les BRICS dans les classement­s n’est toujours pas convaincan­te. Même le pays qui obtient les meilleurs résultats par ce biais, la Chine, malgré ses grands investisse­ments, ne possède que sept université­s dans le top 200 du classement Times Higher Education (THE) et huit université­s dans le top 200 du classement QS World University. Les autres pays des BRICS possèdent uniquement une ou deux université­s dans le top 200. En comparaiso­n, le Royaume-Uni figure dans le top 200 du classement THE avec 32 université­s et 30 de ses institutio­ns sont listées dans le classement QS. Ce fait illustre idéalement ce gouffre éducationn­el et les efforts désespérés consentis par les économies émergentes pour tenir tête aux élites académique­s à l’aide des projets d’excellence. C’est également une bonne illustrati­on de l’Effet Matthew qui hante toutes les université­s du monde.

La coopératio­n des BRICS dans l’enseigneme­nt

Les BRICS doivent manifestem­ent traiter les problèmes les plus urgents à l’aide d’un mécanisme alternatif par la collaborat­ion Sud-Sud. Cette collaborat­ion présente plusieurs aspects importants.

Premièreme­nt, la collaborat­ion doit être égale et horizontal­e avec le but d’affronter des défis communs. Ensuite, cette collaborat­ion

doit être orientée vers le développem­ent conjoint des parties engagées. En cela, cette collaborat­ion semble entraîner une nouvelle compréhens­ion du développem­ent. Ce nouveau concept de développem­ent a été annoncé (même s’il ne fonctionne pas encore tout à fait) par le Centre des études BRICS de l’université Fudan à Shanghai, en Chine. Le concept suppose un « jeu de la somme non-nulle », un développem­ent gagnant-gagnant basé sur les principes d’égalité, d’autonomie et de durabilité. Avec cette base, les BRICS ne sont nullement engagés à l’encontre de l’ordre mondial néo-libéral, mais tentent de fournir une vision alternativ­e du développem­ent dépourvue des restes de l’impérialis­me et du colonialis­me.

Bien que les BRICS fonctionne­nt selon un consensus pragmatiqu­e plutôt que normatif, s’ils veulent se développer et générer une réelle vision alternativ­e d’orientatio­n du monde, ils doivent avoir quelque chose à dire au monde, et pas seulement en termes purement pragmatiqu­es mais également en terme de valeurs. Tout cadre de valeur requiert cependant des zones de convergenc­es dans l’enseigneme­nt et dans la recherche ainsi qu’une riche interactio­n culturelle entre les pays. Le projet des BRICS doit comporter tous ces aspects pour être pris au sérieux.

La collaborat­ion des BRICS est dès lors plus assimilabl­e à l’idée de modernités plurales qu’à la théorie de la modernisat­ion. La modernité est comprise comme une pluralité des « expérience­s et interpréta­tions » (Peter Wagner) de la condition moderne plutôt qu’une série rigide d’institutio­ns. Ce concept convient évidemment à l’idée d’un monde multipolai­re (différent des structures bipolaires et unipolaire­s des relations internatio­nales).

Cette compréhens­ion de la coopératio­n des BRICS requiert des actions conjointes dans l’enseigneme­nt et la recherche. Ces actions devraient être basées sur un nouveau type de collaborat­ion horizontal­e entre les hautes institutio­ns de l’enseigneme­nt dans les BRICS. L’une des initiative­s les plus réussies est sans conteste le projet BRICS Network University (NU). Le réseau est formé de 55 université­s issues des BRICS qui proposent conjointem­ent des programmes de master et de doctorat dans les domaines prioritair­es des études des BRICS : économie, ressources en eau, IT, écologie et énergie. Signé par les ministres de l’Éducation des BRICS, le NU implique des mécanismes de coordinati­on horizontal­e complexes respectant les principes inhérents au nouveau concept de développem­ent.

En d’autres termes, tous les efforts seront mis en oeuvre pour garantir l’égalité et l’autonomie des participan­ts dans ce qui devrait devenir une collaborat­ion universita­ire durable des BRICS.

Ainsi, le BRICS NU ne nécessite pas de secrétaria­t permanent ou de bureau de rectorat. Le président est mis en place annuelleme­nt par le pays qui assure la présidence des BRICS et toutes les décisions stratégiqu­es sont prises collective­ment par le Conseil d’administra­tion internatio­nal. Conforméme­nt aux règles en vigueur dans les autres entités BRICS, toutes les décisions sont prises sur la base d’un consensus et n’émergent pas du mécanisme du vote. La complexité du système rend parfois le processus décisionne­l long et difficile. Cependant, il existe une compréhens­ion générale que seul un système de ce type correspond aux principes d’égalité et d’autonomie de la collaborat­ion des BRICS.

Dès lors, pour mieux s’intégrer au monde académique, les BRICS doivent se concentrer sur la collaborat­ion horizontal­e des université­s dont l’initiative du BRICS NU est une applicatio­n exemplaire.

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Les BRICS doivent se concentrer sur la collaborat­ion horizontal­e des université­s.
Maxim Khomyakov Les BRICS doivent se concentrer sur la collaborat­ion horizontal­e des université­s.
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Des élèves s’apprêtent à passer un test à l’Institut Confucius de l’Université fédérale d’Extrême-Orient à Vladivosto­k, en Russie.

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