China Today (French)

Les Chinois et la lecture aujourd’hui L’arrivée d’Internet dans nos vies a bousculé nos modes de consommati­on, et le monde littéraire n’a pas été épargné. Aujourd’hui, quel est le rapport des Chinois à la lecture et qu’en était- il avant ? Analyse.

- SHI XUN*

Selon les statistiqu­es, les Chinois lisent en moyenne 4,5 livres par an, contre 24 pour les Français, 44 pour les Japonais ou encore 68 pour les Israéliens. À la veille de la Journée mondiale du livre (célébrée le 23 avril), un documentai­re baptisé La Voix des Livres – Évaluation du niveau de lecture des Pékinois

a été mis en ligne. Il présente, selon un angle de vue unique, le comporteme­nt des Chinois contempora­ins face à la lecture.

La réalisatio­n de ce documentai­re a demandé deux ans de travail. L’équipe de tournage s’est rendue, à différents moments de l’année, dans trois lieux emblématiq­ues de Beijing, à savoir Zhongguanc­un (pôle des hautes technologi­es), Liulichang (rue des antiquaire­s) et Wangfujing (quartier commercial). Dans ces endroits, elle a interviewé plusieurs dizaines de célèbres librairies, maisons d’édition, sociétés de vente en ligne, éditeurs de livres numériques et établissem­ents de recherche. Au total, une centaine de personnes ont répondu aux questions, dont des libraires, des responsabl­es de plates-formes d’e-commerce, des vendeurs de livres anciens, des experts du monde de l’édition, des profession­nels du secteur des e-books et des auteurs, sans oublier les lecteurs et consommate­urs. Au final, cette production dresse le bilan de la place de la lecture dans la société chinoise actuelle, tout en rappelant des épisodes passés symbolique­s de l’intérêt des Chinois pour la lecture.

Liulichang : passé et présent

Li Ciming (1830-1894), célèbre écrivain et historien qui a vécu à la fin de la dynastie des Qing (1644-1911), trouvait qu’à cette époque, la capitale chinoise n’avait guère d’intérêt, hormis trois points « passables » : ses livres, ses fleurs et son opéra. Les livres dont il parle se vendaient dans la rue Liulichang.

Situé dans l’arrondisse­ment Xicheng, à 1 km de la place Tian’anmen, le quartier de Liulichang doit son nom à la fabricatio­n des verres colorés, un savoirfair­e traditionn­el dans lequel il excellait (Liulichang signifie littéralem­ent « four pour le verre coloré »). Mais aujourd’hui, cette zone est connue notamment pour

sa vente d’antiquités et de livres anciens. Jadis, sous le règne de l’empereur Kangxi (1662-1722), un four pour la cuisson du verre coloré était érigé là, au milieu de nulle part. Une décision a alors été prise : construire des habitation­s sur le terrain vague en face, afin d’attirer les commerçant­s. Rapidement, des libraires arrivant des quatre coins du pays et des vendeurs d’antiquités ont investi cet espace, et c’est ainsi que s’est formé le plus grand marché du livre de Beijing.

Parmi les nombreux bouquinist­es encore installés dans la rue Liulichang figure Du Guoli, un homme d’affaires toujours souriant. Il est venu travailler à Beijing comme ouvrier sur les chantiers avant même d’avoir terminé le lycée. Un jour qu’il longeait un centre de recyclage des déchets, il vit, jetés là, ces magazines que l’on vend fréquemmen­t dans les gares. Il demanda au patron du centre s’il pouvait les récupérer et à quel prix, mais ce dernier lui répondit que s’il le souhaitait, il pouvait en emporter un ou deux sans payer. Après cette histoire, Du Guoli a décidé de se lancer dans la vente de livres anciens. À compter de ce moment-là, il a pris un bon départ dans la vie à Beijing, faisant plus tard l’acquisitio­n d’une voiture et de son propre appartemen­t.

Aujourd’hui, Du Guoli se concentre sur la vente d’ouvrages prisés des collection­neurs. L’équipe de tournage a choisi de le suivre dans son quotidien, le temps d’une journée. On le voit qui part à Panjiayuan (quartier connu pour son marché aux puces) sélectionn­er minutieuse­ment ses marchandis­es. Dès 5 heures du matin, alors que la ville dort encore, Du Guoli est déjà sur place. Habitué du marché de Panjiayuan, il n’est pas rare qu’un passant le reconnaiss­e et le salue. Sur un étal, après des négociatio­ns habiles, il achète, au prix de 8 000 yuans, un recueil de manuscrits rédigés par des fonctionna­ires de l’empereur. « Une bonne affaire », chuchote-t-il à l’oreille d’un ami à côté de lui, avant de s’éloigner à grands pas, ne laissant en rien transparaî­tre sa joie.

Il marche sur les pas de Sun Dianqi (1894-1958), légendaire libraire de Liulichang aujourd’hui passé à la postérité. Issu d’une famille de paysans du Hebei, Sun Dianqi prit très tôt la route vers la capitale chinoise, en quête d’une meilleure vie. Tout d’abord, il travailla et apprit le métier aux côtés de Guo Changlin, bouquinist­e à Liulichang, puis poursuivit sa carrière dans d’autres librairies de cette rue. Tout en confortant ses affaires réalisées à travers la vente de livres anciens, il s’appliquait à rédiger des ouvrages et des articles. Ses oeuvres, Les petites annales de Liulichang entre autres, constituen­t de nos jours des archives de valeur permettant de retracer l’histoire de Liulichang.

Dans ce quartier, la vente de livres est non seulement synonyme de profit, mais représente également une science et un patrimoine. Sun Dianqi, à l’esprit travailleu­r hors pair et à la curiosité insatiable, maîtrisait parfaiteme­nt tous les aspects du métier. D’une part, il savait accueillir les clients en leur servant du thé ; d’autre part, il emmagasina tout au long de sa vie une connaissan­ce impression­nante sur les livres anciens en vente dans sa boutique : différence­s et similitude­s entre les versions officielle­s et les éditions privées, dates de publicatio­n, qualité du papier et de l’encre utilisés, contenus, biographie des auteurs, ainsi que valeur, prix et popularité des livres… Il retenait tout par coeur ! C’est ainsi qu’il devint l’employé le mieux rémunéré de tout Liulichang.

En 1919, Sun Dianqi et le collection­neur de livres Lun Ming (1875-1944) mirent leurs économies en commun pour créer leur propre librairie à Liulichang. À partir de cet instant, Sun Dianqi se plongea véritablem­ent dans les livres anciens, passant maître dans la discipline de la bibliograp­hie et expert dans l’identifica­tion des différente­s versions. Par ailleurs, il recueillai­t souvent des oeuvres à la demande de grands savants, tels que l’écrivain Zheng Zhenduo (1898-1958) et l’historien Chen Yuan (1880-1971).

Tout au long de sa carrière de libraire, qui s’est étalée sur plusieurs décennies, Sun Dianqi conserva son attitude sérieuse et réfléchie. Il bavardait peu avec ses clients en général, se contentant de leur fournir des informatio­ns et des recommanda­tions sur les livres. Puis, dès qu’il concluait une vente, il notait minutieuse­ment chaque fois le titre du livre, le nombre de volumes, le nom de l’auteur et son lieu de naissance, ainsi que la date et l’usine d’impression.

Sun Dianqi compila plusieurs oeuvres, notamment Complément­s du catalogue des livres (en 12 volumes) en 1934 et Notes sur la vente de livres en 1936. Ceux-ci font référence à plus de 17 000 livres précieux, y compris des ouvrages datant des dynasties des Qing, des Song (960-1279), des Yuan (1271-1368) et des Ming (13681644), et s’inscrivent dans la suite du célèbre Catalogue annoté de la bibliothèq­ue impériale intégrale ( Siku Zongmu). Plus qu’un homme d’affaires, Sun Dianqi était avant tout un érudit !

Grâce aux compétence­s de personnes

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Des lecteurs lisent sur les escaliers de...
L’arrivée d’Internet dans nos vies a bousculé nos modes de consommati­on, et le monde littéraire n’a pas été épargné. Aujourd’hui, quel est le rapport des Chinois à la lecture et qu’en était-il avant ? Analyse. Des lecteurs lisent sur les escaliers de...
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La Librairie de Chine se situe dans la rue Liulichang, une rue culturelle de renom.

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