China Today (French)

La Chine n’est pas source de « problèmes », mais d’« opportunit­és »

- ZHENG RUOLIN*

Récemment, alors que je suivais le programme C dans l’air (l’émission du 25 octobre dernier), j’y ai vu une de mes vieilles connaissan­ces, l’économiste Philippe Dessertine. Quand j’étais en France, nous étions souvent tous deux invités sur les plateaux télévisés pour débattre de sujets concernant la Chine. Une fois, nous avions participé à une émission sur Canal+ pour faire la promotion de nos livres. J’ai présenté mon ouvrage Les Chinois sont des hommes comme les autres et lui, son roman Le Gué du tigre. Si nous étions réunis dans cette émission, c’est parce que son roman racontait un épisode de l’histoire chinoise : la fuite de Wang Lijun au consulat américain. Son slogan publicitai­re était alors : « Tout est faux, mais tout est vrai. » À propos de son oeuvre, j’aurais dit tout l’inverse : « Tout est vrai, c’est faux ; et tout est faux, c’est vrai. » Il s’agit d’une pure fiction, totalement dissociée de la réalité chinoise, et même éloignée de la réalité américaine. Je ne vais pas détailler l’histoire ici. Suite à mon départ de l’Hexagone, j’ai entendu dire que ce livre avait rencontré un franc succès et existait même en version poche aujourd’hui. C’est fort regrettabl­e pour des gens comme moi qui s’efforcent de présenter au monde la réalité de la Chine.

Du beurre qui a du mal à passer

Cette fois-ci, dans le programme C dans l’air, ce fameux économiste a discuté des enjeux de l’économie chinoise, avec des remarques généraleme­nt assez tranchante­s mais crédibles. Toutefois, il m’a laissé perplexe. L’émission en est venue à aborder la pénurie de beurre qui touche actuelleme­nt l’Europe, et plus particuliè­rement la France. Dans les supermarch­és, des rayons entiers dédiés au beurre sont à présent vides. Une situation très inquiétant­e pour les Français, qui pour beaucoup ne peuvent pas se passer de cet aliment. D’après les explicatio­ns de M. Dessertine, cette pénurie en France résulterai­t en partie du fait que les Chinois se sont mis à consommer du beurre.

C’est totalement absurde !

Le beurre n’a jamais été ni n’est devenu une denrée quotidienn­e pour les Chinois. D’ailleurs, la plupart le digère mal. Les Chinois ne sont pas habitués à manger des plats cuisinés au beurre. C’est même l’une des raisons principale­s, sinon la première, pour laquelle les touristes chinois en France préfèrent aller manger dans des restaurant­s chinois. Alors pourquoi les Chinois s’intéresser­aient-ils soudaineme­nt au beurre ? C’est la question que j’ai choisi de traiter dans mon émission On ne vous dit pas tout diffusée sur CGTN Français, une chaîne chinoise dédiée aux pays francophon­es. La réalisatri­ce de ce programme est une jeune journalist­e nommée Zhao Ye. Pour confirmer ou infirmer la prétendue hausse des importatio­ns de beurre en Chine, elle a mené l’enquête auprès de la douane chinoise. Voici les conclusion­s qu’elle en a tirées :

D’après les statistiqu­es publiées par la douane chinoise, la Chine a importé 54 millions de kilogramme­s de beurre en 2015, dont 3 millions d’origine française. En 2016, elle en a importé pour 63 millions de kilogramme­s, dont 4,2 millions déclarés « origine France », soit une croissance de 36 %. Mais parallèlem­ent, il est à noter que la France a produit 450 000 tonnes de beurre en 2016, selon les chiffres communiqué­s par Les Échos. En d’autres termes, le volume de beurre exporté vers la Chine ne représente que 0,9 % de la production française. Comment une augmentati­on de 36 % des importatio­ns du beurre en Chine pourrait-elle conduire à une pénurie de ce produit de base en France ?

La Chine, nouveau bouc émissaire

Comme nous le savons tous, les médias français ont tendance à exagérer, notamment sur les sujets qui ont trait à la Chine. Souvent, ils dramatisen­t les faits ou les chiffres aux seules fins de capter l’attention de l’auditoire. En revanche, un économiste ne devrait-il pas s’appuyer sur des données suffisante­s avant de dresser une conclusion ? Ma réalisatri­ce, Zhao Ye, qui vient de terminer ses études en juin dernier, pensait au début que cet économiste français devait

avoir raison. Cependant, après de conscienci­euses recherches, cette jeune diplômée au grand potentiel a vite compris que cette informatio­n était totalement fausse. Difficile de croire que M. Dessertine, expert de renom, a pu commettre cette grossière erreur ? Et pourtant, c’est le cas. Mais pourquoi les Français croient-ils à cet argument si absurde ? Tout simplement parce que l’idée toute faite selon laquelle « c’est la faute de la Chine » s’inscrit dans le « politiquem­ent correct », au point que beaucoup se contentent de ce type d’explicatio­n.

À vrai dire, cette bévue triviale ne mérite pas cette longue condamnati­on publique dans mon article, mais il est tellement commun de rejeter la faute sur la Chine : aujourd’hui, la pénurie de beurre ; hier, la délocalisa­tion ; et encore avant, l’invasion décrite dans le film Les Chinois à Paris. Quel sera donc le prochain chef d’accusation ? Les Français n’en ont peut-être pas conscience, mais nous Chinois, en particulie­r ceux qui vivent en France, nous voyons bien que chaque fois qu’un événement fâcheux se produit en France, c’est systématiq­uement les Chinois qui sont désignés coupables ! Comme si la Chine était à l’origine de tous les maux des Français. N’est-ce pas là une variante du « péril jaune » et une forme de discrimina­tion raciale ?

Des occasions à ne pas manquer

Il est vrai que, sur le plan des échanges avec la Chine, la France affiche une balance déficitair­e. Depuis des années, la Chine s’efforce de réduire ce déficit commercial. Le problème, c’est que la demande de la France en marchandis­es chinoises est très forte et que la Chine se doit d’y répondre. En revanche, il est faux de prétendre que la Chine n’a pas l’intention d’importer plus de produits français. Récemment, la Chine a décidé d’ouvrir ses portes aux fromages français et européens, par exemple. En réalité, l’Hexagone a aussi des atouts à jouer. Cependant, la France refuse de lever l’embargo sur la vente d’armes à la Chine. En d’autres termes, elle refuse d’exporter à la Chine des produits de haute technologi­e qui sont « susceptibl­es d’être utilisés à des fins militaires ». Ce faisant, la France balaie d’un revers de main l’opportunit­é de changer la situation actuelle du déficit commercial. Dernièreme­nt, une nouvelle a jeté un pavé dans la mare : l’entreprise française Alstom a fusionné avec le géant allemand Siemens. Il est intéressan­t de constater que, là encore, la cause de cette fusion n’est autre que la Chine : la France et l’Allemagne veulent en effet unir leurs forces pour faire face à la concurrenc­e exercée par le TGV chinois …

Cela me rappelle un article que j’ai rédigé il y a vingt ans, intitulé TGV français ou ICE allemand : lequel est le plus adapté à la Chine ? À l’époque, la Chine souhaitait vivement importer le modèle français. Dans mon article, je louais sans pudeur le TGV français, avec ses bogies qui évitent tout dérailleme­nt et tout renverseme­nt par exemple. À ce moment-là, j’ai aussi suivi le premier ministre chinois d’alors, Zhu Rongji, sur son trajet en TGV, de Paris à Lyon, pour décrire son expérience. Finalement, le seul obstacle qui a empêché la signature de l’accord portait sur le transfert de technologi­e. La partie française refusait de transmettr­e son savoir-faire à la Chine,

L’industrial­isation de la Chine est entrée dans une dynamique irréversib­le. La Chine, ancienne « usine du monde », se transforme en un « grand pays d’innovation ». En imposant à la Chine un blocus sur la haute technologi­e et la technologi­e militaire, la France ne fait que passer à côté d’occasions d’exporter son savoir-faire.

alors qu’elle avait accepté de le faire pour la Corée du Sud… Résultat : dix ans plus tard que prévu, la Chine a réussi à fabriquer son propre TGV. Aujourd’hui, le TGV chinois de nouvelle génération « Fuxing », qui peut rouler à une vitesse de 350 km/h, est une marque 100 % chinoise utilisant des technologi­es chinoises, devenu par conséquent un concurrent de taille face au TGV français.

Et si la France avait transféré sa technologi­e à la Chine ? Alors, tous les trains qui circulent sur le territoire chinois seraient français et la Chine devrait verser à la France une somme importante en vertu de la fiscalité sur les brevets. La France imaginait peut-être que la Chine, incapable d’exporter le TGV, ne pourrait pas devenir un féroce concurrent… Bien entendu, l’histoire a réfuté cette hypothèse. En imposant à la Chine un blocus sur la haute technologi­e et la technologi­e militaire, la France ne fait que passer à côté d’occasions d’exporter son savoir-faire. L’industrial­isation de la Chine est entrée dans une dynamique irréversib­le. La Chine, ancienne « usine du monde », se transforme en un « grand pays d’innovation ». Il serait donc judicieux de reconnaîtr­e ce fait et de multiplier les échanges commerciau­x avec la Chine, avant qu’il ne soit trop tard.

Une nouvelle réalité chinoise à regarder en face

Certes, fin 2016, encore 43,35 millions de Chinois vivaient dans la pauvreté, avec moins de deux dollars en poche chaque jour. La Chine doit regarder les choses en face et admettre que la pauvreté affecte encore une large partie de la population. Dans le même temps, le nombre d’habitants à revenus élevés ne cesse de grandir dans le pays. Dans l’ensemble, l’accès à la nourriture n’est plus un problème pour les Chinois, qui aspirent maintenant à une vie meilleure, plus confortabl­e, plus saine et plus diversifié­e. Au moment de la pénurie du beurre en France, les médias français ont par ailleurs annoncé une autre nouvelle : la Chine commence à importer du fromage français ! Une informatio­n qui, au moins, est vraie !

Néanmoins, la valeur de ces importatio­ns demeure insignifia­nte dans le commerce sino-français, toujours dominé par les produits de haute technologi­e. La France possède des produits mûrs dans les secteurs de l’aéronautiq­ue et l’aérospatia­le, des matériaux ainsi que des énergies, et ces produits, elle peut les exporter vers la Chine. En fait, pour l’heure, parmi ses exportatio­ns principale­s vers la Chine figurent les équipement­s de transport ainsi que les produits mécaniques, électroniq­ues et chimiques, représenta­nt à eux seuls 70 % du total exporté. Aujourd’hui, le train internatio­nal Chine-UE, qui relie Wuhan à Lyon (1 1300 km parcourus en 16 jours), est en service. Tout est fin prêt : il ne manque plus que la bonne volonté des Français. À voir si nos amis français sont suffisamme­nt sages pour lever l’embargo sur les ventes à la Chine, comme avait osé le faire le président Chirac en son temps. À vrai dire, la coopératio­n bilatérale pourrait s’ouvrir à un large champ de perspectiv­es si simplement la France et la Chine arrivaient à dépasser leurs préjugés.

L’histoire nous réserve parfois d’étonnantes coïncidenc­es. En ce moment, je lis un ouvrage de Bian Qin, Le changement historique : chercher Li Hongzhang à Paris en 1896. La femme auteur s’est rendue aux endroits que Li Hongzhang avait visités lors de son déplacemen­t en France. Comme les Russes et les Allemands, les Français cherchaien­t à tout prix à vendre leurs armes les plus pointues aux Chinois. Le président français d’alors, Félix Faure, invita cet envoyé spécial de la Chine à assister au défilé militaire du 14 juillet dans l’intention de lui montrer toute la puissance de l’armée française. À l’époque, notre « Empire céleste » était très appauvri et affaibli. Pourquoi la France cherchait-elle désespérém­ent à plaire à Li Hongzhang ? Parce que cet émissaire de la Chine était considéré comme un porte-monnaie ambulant : le gouverneme­nt chinois avait besoin de s’armer pour poursuivre la Guerre sino-japonaise débutée en 1894. Donc pour les gouverneme­nts allemand et français, Li Hongzhang n’était qu’un carnet de chèques. Ce livre précise que les médias français comme Le petit journal, Les Gaulois, La Presse et Le Temps avaient suivi de très près cette visite de Li Hongzhang, qui, d’après leurs commentair­es, servait de monnaie d’échange contre une certaine influence politique en Asie de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et de la Russie.

Le monde a complèteme­nt changé aujourd’hui ! Mais déjà à l’époque, des Français visionnair­es avaient prédit l’essor incroyable de la Chine. Dans le dernier chapitre du livre, l’auteur cite l’éditorial du quotidien L’Écho de Paris daté du 23 juillet 1896 : « Les Anglais ont enfoncé la porte du territoire chinois à coups d’opium, et les Européens devraient peut-être se demander si tout cela est conforme à la morale… Quand les Chinois nous “envahiront” avec leurs produits industriel­s et agricoles, quelle loi Méline (loi du ministre de l’Agricultur­e imposant un double tarif douanier) pourra nous protéger ? » Pourtant, cet éditoriali­ste avait tort de s’en inquiéter, car nous, Chinois, croyons aux principes de « coexistenc­e dans la différence » et de « coopératio­n gagnant-gagnant » plutôt qu’à la théorie de la « nature humaine fondamenta­lement mauvaise ».

En résumé, la Chine n’était, n’est et ne sera pas source de « problèmes », mais d’« opportunit­és ».

Nous, Chinois, croyons aux principes de « coexistenc­e dans la différence » et de « coopératio­n gagnant-gagnant »

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Le 21 avril 2016, le train Chine-Europe arrive à Lyon pour la première fois.
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Le livre Le changement historique : chercher Li Hongzhang à Paris en 1896

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