China Today (French)

Mai Jia : une bonne oeuvre traverse les époques et les frontières

- WANG KUAN*

Beaucoup de lecteurs pensent que Mai Jia est un écrivain au quotient intellectu­el très élevé. Selon lui, sa maladresse tendrait plutôt à démontrer le contraire.

En suivant le déclin de la mode des films et séries télévisées d’espionnage, Mai Jia s’est aussi éloigné du champ des médias. Selon nos dernières informatio­ns, fin 2017, il a créé une librairie à Hangzhou avec l’écrivain Gao Xiaosong et Ding Lei, le patron de Net Ease pour animer un espace dédié aux lecteurs frappés de bibliophil­ie.

Le New York Times avait publié un article sur Mai Jia : « Le romancier d’espionnage le plus populaire en Chine, l’ancien soldat qui dévoile des secrets depuis de nombreuses années. Les secrets qu’il a révélés dans ses oeuvres ne sont pas connus de la plupart des Chinois, encore moins des étrangers. »

À plus de 50 ans, Mai Jia considère qu’il est déjà en mesure de faire le résumé de sa vie. Lors d’une activité dans le cadre de la semaine d’échanges sur la publicatio­n et la culture à Beijing, il a passé en revue sa carrière littéraire et ses expérience­s dans la publicatio­n à l’étranger. Il explique notamment : « Mon oeuvre Jiemi ( l’Enfer des codes) a été achevée il y a maintenant onze ans. J’ai fait 17 fois l’expérience du rejet, ce n’est pas commun pour un écrivain, j’ai subi une grande angoisse. »

Une belle histoire a besoin d’un coeur qui bat

Rong Jinzhen, le héros de Jiemi, est un génie des mathématiq­ues qui a souffert d’autisme. Recruté par un départemen­t secret, il est chargé de décrypter deux groupes de codes. C’est le début d’une vie solitaire et dangereuse.

Les héros des oeuvres de Mai Jia sont tous des génies solitaires. L’auteur adore ce type de personnali­tés. « Elles ont toutes des talents mais sont parfois fragiles. Je pense que ces héros sont à mon image », explique Mai Jia dans une interview.

La solitude de l’enfant est prégnante dans chaque oeuvre de Mai Jia. Selon lui, on peut comparer cette figure du héros brillant au filament de tungstène : « Il est tellement brillant, qu’il explose facilement. »

Après le roman Jiemi, il a écrit plusieurs romans d’espionnage comme Ansuan ( Comploté), Fengsheng ( Murmure du vent/Le Message) et Fengyu ( Langue du vent). Chaque oeuvre a généré de grands bénéfices commerciau­x non seulement pour être entrée dans la liste des best-sellers, mais aussi pour avoir été adaptée au cinéma et à la télévision.

Mai Jia n’avait pas imaginé qu’il obtiendrai­t un si grand succès commercial avec le thème de l’espionnage. Selon lui, c’est grâce à cette vogue de l’époque qu’il a pu se distinguer. Par ailleurs, il pense que la littérarit­é, c’est d’être doué pour raconter des histoires. À partir du moment où une histoire est racontée dans un style original et innovant, elle rejoint l’avant-garde puis intègre l’imaginaire collectif.

Au début des années 1990, Mai Jia a vécu trois ans au Tibet. Il a passé un an à lire et relire Le livre de sable de Jorge Luis Borges.

« Borges est un écrivain d’avantgarde, un expert de la narration et il a une place importante dans le monde littéraire. Lorsqu’on lit son livre avec attention, on se rend compte qu’il possède une véritable portée philosophi­que comme Les Mille et Une Nuits. »

En Chine, certains lecteurs croient que Mai Jia n’est autre que Dan Brown (l’auteur de Da Vinci Code), mais Mai Jia n’ose pas se comparer à son idole. il ne cherche pas à créer un nouveau genre de littératur­e. L’émotion littéraire le pousse avant tout à s’intéresser à l’humain et à explorer le mystère des sentiments.

En fait, après la publicatio­n de la version anglaise de son oeuvre Jiemi, le milieu de la critique a commencé à s’intéresser au sujet intemporel et universel du sentiment humain et de la solitude plutôt qu’à l’intrigue et au raisonneme­nt du roman.

« Une histoire normale laisse percevoir des bruits de pas, mais un bon roman doit faire entendre des battements de coeur. » Mai Jia précise : « Nous sommes toujours émus jusqu’aux larmes lorsque nous relisons Le Rêve dans le Pavillon rouge, Anna Karénine et Le Pavillon des Pivoines, parce que les émotions humaines, l’amour et la haine, sont les mêmes qu’il y a 500 ans. Une bonne oeuvre traverse les époques et va droit au coeur. »

L’écrivain chinois à ne pas manquer

« La vie n’est pas seulement ce que tu

vois, elle est aussi faite de poésie et de lointain. » Lors d’un voyage à Paris, Mai Jia a découvert la librairie de ses rêves : La librairie Shakespear­e. George Whitman, propriétai­re de cette librairie a transformé ce lieu en un club littéraire, créant une atmosphère qui a profondéme­nt attiré Mai Jia.

Né à la campagne, Mai Jia a rencontré des difficulté­s en empruntant la voie littéraire et il a souffert de dépression comme beaucoup de jeunes écrivains.

« Lorsqu’ils commencent à écrire, tous les jeunes subissent la solitude et la douleur. On ne sait pas comment juger son oeuvre, ni comment la faire publier. J’ai connu une époque troublée comme ça, donc je souhaite partager mes expérience­s avec les jeunes lecteurs, pour rendre ses bonnes grâces à la littératur­e. » Voilà pourquoi il a ouvert une librairie à Hangzhou, avec l’espoir d’éveiller chez les gens l’émotion littéraire.

En mars 2014, Penguin Group au Royaume-Uni et FSG aux États-Unis ont signé des accords pour publier le roman Jiemi de Mai Jia, traduit par Decoded dans la version anglaise, et vendu dans 35 pays anglophone­s. Ce roman est entré dans la bibliothèq­ue classique Penguin du Royaume-Uni. Pendant les premières 24 heures de son lancement sur le marché, ce roman a battu à plate couture le record de vente de livres littéraire­s chinois. D’après Mai Jia, si la littératur­e chinoise veut s’exporter dans le monde, il faut choisir des sujets susceptibl­es de toucher les lecteurs étrangers. »

Après la publicatio­n de la version anglaise de Jiemi, l’auteur a signé des contrats avec 21 maisons d’édition du monde entier : États-Unis, Royaume-Uni, Espagne, France, Russie, Allemagne, Israël, Turquie, Pologne, Hongrie, Suède, République tchèque, etc., qui annoncent la publicatio­n d’autant de versions étrangères de Jiemi et Ansuan. Jusqu’à présent, Jiemi a été traduit en 33 langues.

« Comparée à l’influence de la littératur­e étrangère en Chine, l’influence de la littératur­e chinoise dans le monde est encore très limitée. Dans ce contexte, les lecteurs de Jiemi ne sont pas représenta­tifs du public visé. » À parler franchemen­t, Mai Jia considère qu’il a eu de la chance.

Selon Mai Jia, il faut surtout remercier Olivia Milburn, la traductric­e de la version anglaise de Jiemi, parce que le traducteur est le second parent d’une oeuvre.

Olivia Milburn enseigne à l’Université nationale de Séoul. Sinologue britanniqu­e, elle effectue des recherches sur la période historique située avant la dynastie des Qin (période allant du XXIe siècle av. J.-C. à 221 av. J.-C.). Elle a lu le roman Jiemi à l’aéroport de Shanghai à l’occasion d’un vol retardé et l’a fini d’une seule traite. Après être rentrée à la maison, elle a essayé de traduire plusieurs passages puis les a présentés en première lecture à son amie Julia Lovell, également sinologue réputée. Cette dernière a alors transmis ces passages à un rédacteur d’une maison d’édition qui a été très intéressé.

Selon Mai Jia, il est préférable de traduire à partir de la version d’origine. Parmi les 33 versions, il y en a sept ou huit traduites depuis la version anglaise ; il est toujours un peu dommage d’avoir une telle perte de saveurs. En plus de la traduction, Mai Jia pense que la distributi­on par des grands éditeurs étrangers joue aussi un rôle important. Une autre raison du succès vient de l’universali­té du sujet. Même si le lecteur ne connaît pas du tout l’histoire de la Chine, il peut quand même comprendre ce roman.

« Au XXe siècle, la Chine était vraiment un pays en retard, or, la littératur­e chinoise a tendance à se focaliser sur cette période difficile, ce qui laisse les lecteurs étrangers dubitatifs. » Puis l’auteur ajoute : « En suivant le développem­ent des jeunes écrivains, la littératur­e chinoise s’ancre dans le monde. Quant à la langue chinoise, son influence grandit au même rythme que le développem­ent économique de la Chine. »

Au cours de ces dernières années, des écrivains chinois comme Mo Yan, Cao Wenxuan, Liu Cixin ont gagné des grands prix sur la scène littéraire mondiale, ce qui a attiré l’attention sur la littératur­e chinoise. Selon Mai Jia, le succès de Mo Yan a eu l’effet d’un brise-glace pour la littératur­e chinoise.

Le mérite de promouvoir la lecture

Beaucoup de lecteurs pensent que Mai Jia est un écrivain au quotient intellectu­el très élevé. Selon lui, sa maladresse tendrait plutôt à démontrer le contraire.

« Mon QI est au-dessous du niveau moyen, mais je n’ai pas du tout honte. Je crois qu’il y a beaucoup de gens et d’objets intelligen­ts, comme Internet, le portable, etc. Mais ils bouleverse­nt la vie. Donc je dis que, de temps en temps, l’intelligen­t n’a pas de valeur », explique-t-il.

Son examen de conscience lui fait dire qu’il est un écrivain opiniâtre. Les dix premières années de sa carrière dans l’écriture n’ont pas porté de fruits mais il n’a pas abandonné. Aujourd’hui, alors que ses oeuvres ont été publiées, il n’est pas satisfait de sa célébrité : « La réputation d’un écrivain ne doit pas être trop grande, car l’écriture est un travail solitaire. »

Chez Mai Jia, le processus d’écriture est très long : il écrit seulement plusieurs centaines de mots par jour. Si un matin il écrit 1 000 mots, l’après-midi, il en supprime 500. Il a expliqué dans son livre : « Auparavant, mes oeuvres étaient comme mes costumes et mon diplôme. Je les concevais pour être plus distingué que les autres. Maintenant, je vis dans mon propre monde et mes oeuvres n’ont plus les attributs de mes possession­s matérielle­s privées, elles sont l’objet de mon désir. »

Depuis 2012, Mai Jia se prépare à ouvrir la librairie Lixianggu (vallée de l’Utopie) avec son propre capital. C’est un projet d’intérêt public inspiré de la librairie Shakespear­e, c’est-à-dire « sur le mode de la gratuité ». Elle fournit non seulement des livres et du café gratuits, mais aussi un espace d’écriture pour les jeunes écrivains. Bien sûr, elle attire de nombreux jeunes.

La librairie Lixianggu a organisé l’atelier « lire un livre en sept jours », pour encourager les gens à lire 15 minutes chaque matin à huit heure. Si l’on finit un livre par semaine, on peut lire 52 livres par an. « Je crois qu’il y a du mérite à promouvoir la lecture. Un homme qui aime lire ne peut pas être mauvais. Comme l’a dit Borges : si le paradis existe, il doit ressembler à une bibliothèq­ue. » C’est aussi cet idéal que poursuit la nouvelle librairie à Hangzhou.

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Mai Jia

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