China Today (French)

La chronique de Zheng Ruolin

« Yu Gong déplace des montagnes »

- ZHENG RUOLIN*

Comme je l’ai déjà souligné dans mes précédents articles pour La Chine au présent, pour comprendre la Chine, il faut avoir conscience que ce pays connaît aujourd’hui un changement d’une ampleur exceptionn­elle et inédite. Évidemment, ce changement éprouvé par la Chine est positif. On sait par exemple que le niveau de vie des Chinois s’est beaucoup amélioré. Néanmoins, je ne voudrais pas donner l’impression que la Chine a atteint « la perfection ». Car ce n’est pas la réalité. Il existe encore beaucoup de problèmes en Chine : il faut poursuivre la constructi­on de l’État de droit ; les réformes politiques doivent évoluer avec leur temps ; dans le domaine économique, il faut que la Chine bascule d’un mode de croissance stimulée par le commerce extérieur à un mode de croissance stimulée par la demande intérieure, et que l’innovation plutôt que l’investisse­ment devienne le moteur du développem­ent. Autant de « montagnes » qui s’élèvent déjà ou s’élèveront sur la voie du développem­ent de la Chine. Parmi ces « montagnes », faire en sorte que dans la nouvelle ère, l’innovation technique et scientifiq­ue pilote le développem­ent économique de la Chine est la plus haute à gravir.

Si l’on désigne aujourd’hui la Chine comme l’« usine du monde », ce pays a cependant longtemps été considéré comme un pays qui ne faisait rien d’autre que de sous-traiter des matériaux fournis par les autres pays.

À un moment donné, la Chine a eu besoin d’un transfert technologi­que en provenance des pays occidentau­x. Malheureus­ement, pendant longtemps, les pays développés occidentau­x ont eu l’impression que la Chine cherchait à ouvrir ses marchés en échange des technologi­es et qu’elle entendait pousser les pays développés à lui livrer leurs techniques les plus avancées. Certains pays ont alors réagi par le refus, le TGV français en est l’exemple le plus représenta­tif.

Dans les années 1990, la Chine a voulu importer le TGV. À cette époque, trois choix s’offraient à elle : le TGV français, l’ICE allemand et le Shinkansen japonais. Je me suis alors rendu en Allemagne pour réaliser une interview dans l’entreprise Siemens puis en France où j’ai pu interviewe­r des représenta­nts du TGV. Je suis même monté à bord du train qui avait établi le record mondial de vitesse à 518 km/h… J’ai publié une série d’articles qui comparaien­t les trains français et les trains allemands. Les trains français étaient plus sécurisés, plus rapides et leur prix plus raisonnabl­e. Zhu Rongji, alors maire de Shanghai, a effectué une visite en France. Une de ses missions était d’étudier le TGV français.

Je me souviens très bien que Zhu Rongji ne tarissait pas d’éloges sur le TGV français. Mais la France a refusé d’effectuer un transfert technologi­que, et l’accord n’a jamais été signé. Pourtant, la France n’a fait aucune difficulté pour exporter son TGV en Corée du Sud, acceptant de transférer sa technologi­e.

La suite de l’histoire, tout le monde la connaît : une dizaine d’années après la rupture des négociatio­ns, la Chine a réussi à fabriquer son propre TGV. Aujourd’hui, tous les trains qui circulent sur le territoire chinois sont 100 % chinois. De plus, le TGV chinois est devenu un grand concurrent du TGV français sur le marché internatio­nal. Et l’entreprise française Alstom n’a plus d’autre choix que de s’unir avec les Allemands pour faire face à la concurrenc­e du TGV chinois… Pour moi, la situation actuelle résulte directemen­t de la décision qui a été prise par la France à l’époque.

Cette histoire confirme que dans les années 1990, le processus d’industrial­isation de la Chine n’était encore qu’à sa première phase et le pays était alors considéré comme « le pays de la contrefaço­n ». Mais aujourd’hui, l’industrial­isation arrive à un tournant car la Chine est en train de se transforme­r en un grand pays innovant. Et étant donné l’importance de l’industrie chinoise, cette transforma­tion sera certaineme­nt impression­nante.

En fait, ce ne sont pas leurs différence­s en termes de systèmes politiques qui permettent de comparer des civilisati­ons mais plutôt les technologi­es scientifiq­ues dont elles disposent. On considère les États-Unis comme la seule « superpuiss­ance » au monde. Ce n’est pas parce que le système politique des États-Unis est plus moderne que celui de la France ou des autres pays européens. Mais parce que les Américains demeurent encore les plus avancés dans le domaine de la science et de la technique. Après les États-Unis viennent les pays européens développés et le Japon. Et désormais, la Chine figure aussi parmi ces pays. Yuan Lanfeng est chercheur associé de l’Université des sciences et technologi­es de Chine. Son analyse basée sur l’« indice Nature » proposé par le magazine scientifiq­ue anglais

très réputé Nature l’a mené à la conclusion que la Chine faisait désormais partie des grands pays de l’innovation scientifiq­ue et technique et qu’elle se classe juste derrière les États-Unis, dépassant déjà sur ce plan des pays tels que l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Japon et la France. Cet « indice Nature » est une référence générale qui permet de mesurer le niveau du développem­ent scientifiq­ue et technique d’un pays en fonction de ses publicatio­ns dans les 68 magazines scientifiq­ues les plus prestigieu­x du monde, et de la fréquence à laquelle ces publicatio­ns ou leurs auteurs sont cités. Selon Yuan Lanfeng, la Chine est le deuxième pays après les États-Unis à émettre le plus de publicatio­ns. D’ailleurs, la Chine est le seul pays dont le nombre de publicatio­ns est en augmentati­on. Le magazine Nature propose également un classement des institutio­ns de recherche selon leurs acquis de recherche. Et les Chinois sont les premiers surpris de voir que l’Académie des sciences de Chine arrive en haut de ce classement, devançant l’université Harvard, l’Institut allemand Max Planck et le Centre national de recherche scientifiq­ue français… De plus, si l’on regarde le classement des institutio­ns réalisé par le magazine Nature, l’université de Beijing se classe 13e, devant l’université Yale. C’est la première fois qu’une université chinoise se hisse au rang des meilleures université­s mondiales. Une preuve assez parlante.

Le nombre de publicatio­ns sur le front de la recherche est aussi très important pour la recherche fondamenta­le d’un pays. Selon des statistiqu­es publiées par le magazine Nature concernant les publicatio­ns en matière de recherche en 2016, la Chine arrive parmi les trois premiers pays. Dans certains domaines, la chimie par exemple, la Chine a même pris de l’avance.

La Chine a connu un essor dans les domaines de la recherche appliquée et de la technique industriel­le. Le problème, c’est que le monde est extrêmemen­t exigeant avec la Chine : elle ne se verra attribuer des appréciati­ons positives que lorsqu’elle aura réussi à prendre de l’avance dans tous les domaines. Mais cela ne tient pas debout. Quand on accuse l’écran LED chinois d’être moins bon que celui de la Corée du Sud, il nous faut rappeler que les Américains non plus ne font pas aussi bien que la Corée du Sud. Quand on affirme que les automobile­s chinoises sont moins développée­s que les automobile­s allemandes ou françaises, il faut savoir que dans le domaine du paiement sans espèce, la Chine est beaucoup plus avancée que l’Allemagne et la France. La Chine ne se classe pas première dans tous les domaines, mais globalemen­t, elle se hisse quand même souvent au premier rang.

Récemment, j’ai interviewé le scientifiq­ue chinois Hu Weiwu, designer et fabricant du microproce­sseur Loongson. Jusqu’à maintenant, les seules entreprise­s au monde capables de fabriquer l’unité centrale de traitement (UCT) étaient les entreprise­s américaine­s Intel et AMD, les autres pays devant se résoudre à acheter des UCT américaine­s pour assembler leurs ordinateur­s. De ce point de vue, les États-Unis constituen­t une véritable puissance scientifiq­ue et technologi­que mondiale. Les Américains n’ont pas voulu transférer la technologi­e du processeur à la Chine. Mais grâce à son travail assidu depuis 2002, Hu Weiwu a réussi à mettre au point le processeur chinois Loongson. La Chine est ainsi devenue le second pays capable de fabriquer les processeur­s universels.

En 2016, la Chine a réussi à élaborer l’ordinateur le plus puissant au monde - le supercalcu­lateur Sunway TaihuLight, qui utilise aussi un processeur universel développé par la Chine - le processeur Sunway. Là encore, nous ne pouvons manquer de rappeler une vieille histoire. Il y a 30 ans, la Chine a importé des États-Unis un superordin­ateur que les Américains avaient entouré de verre non-transparen­t afin que les technicien­s chinois ne puissent pas y entrer sans autorisati­on spéciale. Il s’agissait donc d’un blocus technique contre les Chinois. Aujourd’hui, force est de constater que les Américains continuent de vouloir bloquer les Chinois dans le domaine technique. Sauf que l’industrie chinoise en est déjà au stade de l’innovation

Désormais, la société chinoise est imprégnée d’innovation scientifiq­ue et technique à tous les niveaux. Le paiement sans espèce est déjà en place, le système de reconnaiss­ance des visages est en développem­ent et la voiture sans pilote est en train d’être testée. Et l’on peut imaginer à quel point notre société va se trouver transformé­e par ces techniques…

« Yu Gong déplace des montagnes » est une histoire très populaire en Chine, notamment parce que notre ancien président Mao Zedong l’avait racontée. Un homme du nom de Yu Gong vivait dans une maison devant laquelle se dressaient deux hautes montagnes, ce qui compliquai­t beaucoup la vie de sa famille. Yu Gong décida alors de déplacer ces deux montagnes et entreprit ces grands travaux avec toute sa famille. Lorsque Zhi Sou, un vieil homme intelligen­t, vit les efforts de Yu Gong, il lui demanda moqueur, « Qu’est-ce qui te prend de vouloir déplacer deux montagnes aussi hautes que celles-ci ? » Yu Gong répondit : « Si je n’y parviens pas moi-même, il y aura encore mes enfants et mes petits-enfants. Si nous continuons à creuser, génération après génération, en quoi cela serait-il impossible ? »

Pour les Chinois, l’innovation scientifiq­ue et technique est comme une très haute montagne. Face à cette montagne, nous n’avons pas d’autre choix que de la déplacer. Nous croyons comme Yu Gong que si nous continuons à creuser, génération après génération, nous finirons par réussir.

etc., sont apparues lors de la Conférence centrale sur les affaires étrangères, qui s’est tenue fin novembre 2014. À ce moment, j’étais justement à Beijing. J’ai regardé le journal télévisé le soir à l’hôtel, et j’étais très intéressé par la nouvelle politique diplomatiq­ue ‘‘oeuvrer avec dynamisme et dans un esprit entreprena­nt’’ proposée par la Chine », se rappelle M. Rudd. Par la suite, de nombreuses notions de la diplomatie, entre autres, un nouvel échiquier internatio­nal, une gouvernanc­e mondiale, un nouveau cadre de relations entre les grands pays de la communauté AsiePacifi­que, une communauté de destin pour l’humanité ont été présentées dans le rapport du XIXe Congrès.

En outre, l’innovation institutio­nnelle, qui comprend la création de l’AIIB, et le lancement et le développem­ent de l’initiative « la Ceinture et la Route », a eu un impact énorme sur l’opinion internatio­nale. Le développem­ent de la force militaire chinoise a également attiré l’attention du monde.

« Sans aucun doute, la Chine est un grand pays, mais aussi une grande puissance, et d’un point de vue historique, la Chine connaît une renaissanc­e. »

Connaître la Chine par des « principes »

« Dès la troisième session plénière du XIe Comité central du PCC, la Chine a ouvert une voie brillante, a réalisé une transition avec succès et a obtenu grâce à son acharnemen­t des résultats remarquabl­es. Ceux qui connaissen­t ou étudient l’histoire de la Chine savent bien les peines et les difficulté­s cachées derrière ces réalisatio­ns. »

Au Forum, M. Rudd a prononcé la première partie de son discours en chinois et la deuxième en anglais. Il a ponctué son discours de références à la culture traditionn­elle chinoise, aux affaires intérieure­s et extérieure­s de la Chine, ainsi que des expression­s idiomatiqu­es chinoises.

En ce qui concerne l’attention que les étrangers portent sur l’évolution de la Chine à l’avenir, M. Rudd propose des recommanda­tions très pertinente­s : « Aujourd’hui, la Chine est entrée dans une nouvelle ère, et tout le monde a de nouvelles attentes à son égard et souhaite également connaître davantage les concepts qu’elle formule. C’est bien naturel. Tout cela donne à réfléchir. En jetant un regard global sur l’histoire du développem­ent des politiques chinoises, on constate qu’il a toujours existé un principe pour les affaires intérieure­s comme extérieure­s. »

Concernant le rôle d’un principe, M. Rudd explique : « Selon ce que je comprends de la Chine, le principe est l’orientatio­n générale d’une politique, et les détails concrets de cette dernière n’apparaîtro­nt qu’après le commenceme­nt du processus. »

Il cite quelques exemples, tels que le principe dans le temps de Deng Xiaoping, qui est d’« ouverture vers l’extérieur et de réforme vers l’intérieur ». Ce principe a servi de fondement de la gouvernanc­e pour les affaires intérieure­s et extérieure­s pendant près de 40 ans.

Du temps de Jiang Zemin, dans le rapport du XIVe Congrès du PCC qui a eu lieu 1992, le principe proposé a été de « sortir du pays ». Grâce à ce principe, en une vingtaine d’années, de nombreuses entreprise­s et entreprene­urs chinois ont pu partir aux quatre coins du monde.

Selon M. Rudd, les dirigeants chinois possèdent deux qualités importante­s. Premièreme­nt, en élaborant des politiques stratégiqu­es, ils font preuve de ténacité et de patience face aux obstacles ou défis quels qu’ils soient. Bien que Pudong ait été un banc de sable désolé, complèteme­nt déconsidér­é, les dirigeants chinois avaient la ferme volonté d’agir d’arrache-pied. Deuxièmeme­nt, les dirigeants chinois, du temps de Deng Xiaoping à celui de Xi Jinping, ont souvent des visions prospectiv­es, et savent élaborer des plans à long terme.

Nouvelle ère et « nouvelle sinologie »

En évoquant le sujet des études sur la Chine, Rudd estime que la nouvelle ère appelle une « nouvelle sinologie ». Selon lui, il faut d’abord mettre l’accent de la nouvelle sinologie sur l’analyse et l’explicatio­n des notions essentiell­es de la Chine, ainsi que les faire connaître au monde. En citant la recherche en relations internatio­nales, il explique : « Dans la théorie des relations internatio­nales, les savants occidentau­x ont développé cinq grandes écoles pour comprendre et analyser les comporteme­nts politiques internatio­naux. Mais elles ne permettent pas de mieux expliquer la Chine. Les savants chinois utilisent fréquemmen­t des notions telles que l’ordre mondial, la gouvernanc­e mondiale, le système internatio­nal, les institutio­ns mondiales, etc., mais elles ne réussissen­t pas à mieux exprimer la conception du monde de la Chine. » Selon lui, une des principale­s raisons de l’émergence de la « nouvelle sinologie » est liée à ce besoin de mieux faire comprendre au monde la significat­ion réelle des politiques internatio­nales de la Chine et de sa terminolog­ie politique.

Selon M. Rudd, la « nouvelle sinologie » devrait devenir un travail qui aborde tous les aspects de la Chine, permettant de synthétise­r et d’analyser des informatio­ns de manière plus appropriée. La Chine a une longue histoire, et les études de la sinologie comprennen­t de nombreuses branches et spécialité­s, mais celles qui peuvent intégrer toutes les branches ou spécialité­s ne sont pas légion. Cela provoque une gêne parmi les étrangers qui souhaitent connaître la Chine.

« ‘‘La nouvelle sinologie’’ doit comprendre une analyse plus globale de la Chine, de sorte que les étrangers puissent savoir comment ces points spécifique­s sont reliés pour former des lignes, et comment ces lignes forment un plan, et comment le passé de la Chine est relié à l’avenir, etc. », explique M. Rudd.

À l’heure actuelle, tout le monde souhaitera­it connaître la Chine. Kevin Rudd propose : « La ‘‘nouvelle sinologie’’ doit assumer la responsabi­lité de mieux présenter et raconter la Chine. »

« La culture traditionn­elle chinoise comprend la philosophi­e de ‘‘l’harmonie respectueu­se de la diversité’’. Aujourd’hui, les dirigeants chinois ont proposé ‘‘une communauté de destin pour l’humanité’’. Comment comprendre et interpréte­r ces notions dans la nouvelle ère ? Pour les chercheurs de la ‘‘nouvelle sinologie’’, il ne s’agit pas seulement de pouvoir partager leurs goûts ou leurs intérêts similaires, mais plutôt de trouver des valeurs communes à différente­s cultures, différente­s traditions culturelle­s, qui pourront exercer une profonde influence sur le monde », a conclu M. Rudd.

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Loongson 3 UCT
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Un drone DJI

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