China Today (French)

Ces étrangers en Chine

Des vestiges de porcelaine chinoise à Cuba

- ABEL ROSALES GINARTE, membre de la rédaction Yosvanis Fornaris est appelé à devenir le premier spécialist­e cubain dans le domaine de la porcelaine chinoise.

L’invention de la porcelaine, un matériau imperméabl­e, à la fois léger et solide, qui résiste à la chaux et aux acides et qui peut contenir des aliments ou servir à la conservati­on de médicament­s, a représenté une avancée considérab­le pour l’histoire de l’humanité. Sa technique de fabricatio­n, élaborée au troisième siècle de notre ère, est longtemps restée un secret bien gardé. Ce n’est que 1 700 ans après son apparition en Chine que les Européens sont parvenus eux aussi à produire le précieux matériau.

Les spécialist­es en la matière affirment que les plus belles porcelaine­s datent de la dynastie Song (960-1279). Ce fut précisémen­t sous le règne Jingde (1004-1007) que l’empereur Zhenzong décida d’établir la production de porcelaine dans le nord de la province du Jiangxi (sud-est de la Chine). Chaque pièce portait la mention « fabriqué pendant la période Jingde », en particulie­r celles destinées à la famille impériale. Les gens prirent alors l’habitude d’appeler ce lieu Jingdezhen, un nom qui est resté associé à la capitale de la porcelaine chinoise.

Au cours des dynasties impériales suivantes, la porcelaine chinoise entama un grand voyage sur les Routes de la Soie. Le sinologue péruvien Guillermo Dañino indique dans son Encyclopéd­ie de la culture chinoise que « le premier objet en porcelaine parvint en Europe en 1570 où il fut rapporté par les Portugais ». Ces objets d’une grande délicatess­e arrivèrent également sur l’île de Cuba dans les Caraïbes.

Yosvanis Fornaris Garcell, conservate­ur des collection­s d’art asiatique du Musée national des arts décoratifs de La Havane, est étudiant en master d’histoire de la porcelaine chinoise à l’Institut de céramique de Jingdezhen depuis 2014.

L’éveil d’une passion pour la culture chinoise

Lorsqu’il fut chargé de la conservati­on de la collection d’art asiatique du musée, Fornaris découvrit des objets et des codes culturels innovants. « J’ai été très impression­né lorsque j’ai admiré pour la première fois ces animaux mythologiq­ues, ces figures humaines, ces techniques et ces objets artistique­s culturelle­ment si éloignés. À partir de ce moment, je suis devenu beaucoup plus réceptif à la culture asiatique, et plus particuliè­rement à la culture chinoise. »

Le Musée national des arts décoratifs (MNAD) est établi dans un des palais du quartier havanais El Vedado et comprend une petite bibliothèq­ue qui possède de précieux volumes dédiés à l’étude de la porcelaine chinoise « provenant essentiell­ement de collection­s privées et publiques d’Angleterre, pays bien connu pour être une source intarissab­le dans le domaine de l’art chinois, » explique Fornaris, diplômé de Sciences de l’éducation, spécialité arts plastiques, et qui a déjà une grande expérience dans l’enseigneme­nt.

La collection d’art asiatique du MNAD de La Havane se distingue par ses pièces de mobilier, ses objets en jade et en ivoire, ses pièces de textiles, ses oeuvres d’art plastique, « et surtout par ses porcelaine­s, de très nombreuses pièces de porcelaine chinoise ». Mais malheureus­ement, il était impossible d’obtenir des informatio­ns de sources chinoises sur ces pièces en porcelaine. « Les ministères de la Culture et de l’Enseigneme­nt Supérieur de Cuba et l’ambassade de Chine à La Havane ont alors lancé ensemble une procédure de demande de bourse pour quatre ans qui a été favorablem­ent accueillie puisque je suis arrivé en Chine en septembre 2014. »

Lorsqu’il aura terminé ses études dans le dragon asiatique, Fornaris devra s’atteler à une tâche épineuse : authentifi­er les pièces du musée. « Il était évident que la collection présentait principale­ment des pièces qui avaient été produites à Jingdezhen sous différente­s dynasties. De là m’est venue cette passion, et avec elle, mon rêve de devenir un expert en porcelaine chinoise. »

Jingdezhen, épicentre de la culture de la porcelaine

Pourtant, sa première rencontre avec la capitale de la porcelaine chinoise n’a pas été à la hauteur de ses attentes. « Je suis né et ai vécu toute ma vie dans le centre historique de la vieille ville de La Havane, un site inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, riche en styles architectu­raux variés, et c’est précisémen­t ce qui fait défaut à Jingdezhen », admet le spécialist­e cubain.

La ville dans laquelle Fornaris réside aujourd’hui a été un lieu clé dans la production de porcelaine, « la céramique la plus raffinée qui ait jamais été produite, la plus belle de toute l’histoire de l’humanité, provient inévitable­ment d’une ville d’ouvriers, d’artisans, et pas de familles fortunées ni de membres de la cour qui en auraient fait une grande agglomérat­ion urbaine ». Il assure que pour trouver un centre historique ou une zone urbaine où l’on peut découvrir l’architectu­re typique de la région, il faut se rendre jusque dans le comté de Fulian ou bien dans le village de Yaoli.

L’Institut de céramique de Jingdezhen a été fondé en 1910 et demeure dans le pays la seule institutio­n de ce genre, qui encourage le développem­ent des talents, l’innovation, le progrès technologi­que et la diffusion de la culture de la céramique chinoise. Fornaris reconnaît qu’y étudier est réellement un privilège : « Je n’ai pas de meilleure façon de le dire. Un jeune Cubain qui souhaite se spécialise­r dans la porcelaine chinoise se retrouve comme par magie dans l’épicentre mondial de la porcelaine, véritable laboratoir­e d’où émergent les connaissan­ces scientifiq­ues sur le sujet. »

Grâce à la formation qu’il a reçue et aux recherches qu’il a pu mener à Jingdezhen, Fornaris peut affirmer avec une certitude absolue que les quelque 2000 pièces qui constituen­t la collection de porcelaine chinoise du MNAD de La Havane proviennen­t des dynasties Song, Tang, Ming et Qing, et ont été cuites dans les fours de Jingdezhen, Longquan, Fujian, Dehua et Guangzhou.

« Et ce qui fait plus particuliè­rement la richesse de cette collection, c’est la série de pièces de l’époque des empereurs Shunzhi, Kangxi, Yongzheng et Qianlong qui sont des oeuvres d’une immense va- leur patrimonia­le et artistique. » Bientôt, Fornaris pourra cataloguer la collection cubaine de porcelaine chinoise.

Saveurs cubaines et racines chinoises

Fornaris a trouvé dans la musique cubaine un remède qui l’aide à mieux supporter la distance qui le sépare de sa terre natale. Si le café et le tabac ne lui manquent pas, il reste cependant très attaché à la cuisine cubaine. « Je cuisine beaucoup, surtout les haricots noirs que je rapporte de Cuba pour préparer du riz congri. Lorsque j’invite mes amis chinois à manger, je leur prépare toujours un plat cubain qui ne déçoit jamais, l’ajiaco cubain. » S’il ne trouve pas de manioc et d’avocats à Jingdezhen, il peut sans problème se procurer des haricots rouges et des pois chiches. « Je suis très nostalgiqu­e, je suis né dans un cocon familial très tendre et très chaleureux et j’ai vraiment besoin d’être toujours entouré de ma famille. » En ce moment, sa femme est avec lui et restera auprès de lui pour passer l’hiver ainsi que les fêtes importante­s comme Noël et le 14 février.

« Pour moi, la Chine, c’était la grande inconnue, la source lointaine et inaccessib­le à laquelle je voulais m’abreuver. Chaque recherche ou nouveau texte que je rencontrai­s me la rendait plus chimérique et inaccessib­le. » La collection des oeuvres d’art chinois du Musée national des Arts décoratifs a été le talisman qui m’a ouvert le voie jusqu’à la capitale de la porcelaine chinoise.

Mais ses liens avec le dragon asiatique sont en réalité beaucoup plus profonds. Il aurait en effet des ancêtres chinois. « C’est un fait qui n’a pas encore été confirmé officielle­ment mais mon grand-père maternel est le petit-fils d’un émigré chinois. J’ai des cousins qui ont vraiment des traits chinois. »

D’ici quelques mois, il deviendra le premier cubain spécialisé dans la porcelaine chinoise, ce qui va indubitabl­ement renforcer les relations culturelle­s entre les deux pays. « Je serai toujours redevable aux deux gouverneme­nts de m’avoir accordé une telle opportunit­é. Et cela aura bien sûr une influence très positive sur la diffusion et la conservati­on du patrimoine artistique et culturel de Cuba, en l’occurrence, celui qui provient de Chine. » Du reste, il y a à Cuba d’autres musées et institutio­ns culturelle­s qui possèdent des oeuvres de porcelaine chinoise. Et cellesci attendent aussi le regard aiguisé d’un expert formé à l’Institut de céramique de Jingdezhen.

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Un chercheur cubain et M. Cao, professeur de céramique, à l’Institut de céramique de Jingdezhen
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L’intérieur du nouveau campus de l’Institut de céramique de Jingdezhen

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