China Today (French)

Du Weisheng : un médecin des livres anciens

- HU YUE, membre de la rédaction Protéger le patrimoine culturel chinois en restaurant des livres anciens : c’est à cette belle mission que Du Weisheng a choisi de consacrer sa vie.

Du Weisheng, responsabl­e du Groupe de restaurati­on de livres anciens de la Bibliothèq­ue nationale de Chine a déjà 65 ans, mais il est toujours en forme. Avec 40 ans d’expérience dans la restaurati­on, M. Du se sent un peu comme un médecin des livres anciens, et son travail est de traiter leurs maladies. M. Du joue un rôle très important puisqu’il est héritier représenta­tif du patrimoine culturel immatériel national dans la restaurati­on des livres anciens. Il a participé à la restaurati­on des manuscrits de Dunhuang qui avaient été particuliè­rement endommagés, de la Grande Encyclopéd­ie de Yongle compilée sur ordre de l’empereur Yongle de la dynastie des Ming (1368-1644), et des documents historique­s du royaume Xixia (1038-1227).

« Les anciens ont donné des noms aux différente­s parties des livres comme la bouche, la tête et la racine ; la plupart correspond­ent à des organes du corps humain. Ils ont ainsi donné vie au livre. » Pour M. Du, la restaurati­on des livres anciens a une grande importance puisqu’elle permet de leur réinsuffle­r la vie pour qu’ils puissent nous livrer l’héritage de la civilisati­on chinoise.

Un novice devenu expert

Avant de commencer à travailler dans la restaurati­on des livres, M. Du a été pendant 5 ans soldat du génie civil dans la province du Hunan ; cette expérience dans l’armée l’a transformé. Au moment de sa retraite de l’armée en 1974, il fut affecté à la Bibliothèq­ue nationale de Beijing pour rejoindre le Groupe de restaurati­on des livres. Au début, il trouvait que le travail « au bureau » était plus facile, et cela lui donnait l’occasion de lire plus.

Mais après quelques jours, il prit conscience que la restaurati­on des livres n’était pas un travail facile. Étant novice, il commença par apprendre les techniques auprès d’enseignant­s experts. Ces derniers n’étaient pas titulaires de hauts diplômes, mais ils avaient tous beaucoup de talents pour la restaurati­on des livres et l’identifica­tion des versions. M. Du se souvient encore qu’étant gaucher, son enseignant, intransige­ant, lui demanda d’écrire de l’autre main. Après deux ans d’études, M. Du, qui avait déjà un peu d’expérience, fut confronté à sa première mission : un cercueil en papier déterré à Xinjiang en 1976. Les feuilles sur le cercueil étaient des pages de livres de comptes d’un relais de poste de la dynastie des Tang (618-907). M. Du et ses collègues durent décoller les feuilles puis assembler les pages et les relier.

Le temps passe vite, et cela fait 40 ans que M. Du poursuit son travail. Aujourd’hui, il est considéré comme un expert dans le domaine de la restaurati­on des livres anciens en Chine. Il a été nommé héritier du patrimoine culturel immatériel national de quatrième groupe dans ce domaine. Au début des années 2000, il a participé à l’élaboratio­n de normes pour la restaurati­on des livres anciens. Il est actuelleme­nt en train d’élaborer une nouvelle version des normes pour la profession.

Maintenant qu’il a pris sa retraite, il ne fait plus de restaurati­on, mais il se consacre plutôt à l’enseigneme­nt. « Depuis que j’ai pris en charge le Groupe de restaurati­on de livres anciens, j’ai un peu réformé l’en-

seignement traditionn­el. Avant, chaque jeune avait un enseignant désigné. Maintenant, les nouveaux peuvent apprendre auprès de tous les enseignant­s. » Selon M. Du, un novice a besoin de six mois pour apprendre les connaissan­ces fondamenta­les, mais il faut plus de cinq ans pour bien maîtriser les techniques.

Former les jeunes et améliorer les techniques

Désormais, le groupe de M. Du est composé d’une vingtaine de personnes, la plupart étant des jeunes : « Il y a 4 personnes de plus de 50 ans, y compris moimême, 13 jeunes de moins de 35 ans, et on a aussi 8 jeunes diplômés », nous a-t-il expliqué. Parmi ces derniers, à part deux qui ont un niveau licence, les autres ont tous un niveau master, dans des secteurs tels que la chimie, la physique et la protection des livres anciens. Selon M. Du, le groupe est plus équilibré qu’auparavant. « La restaurati­on des livres anciens est en fait une science interdisci­plinaire, il faut non seulement avoir une bonne connaissan­ce de la culture classique chinoise, mais aussi maîtriser la chimie, physique, etc. », a déclaré M. Du.

Les changement­s apportés par le temps influencen­t aussi le travail de restaurati­on des livres anciens. Grâce aux connaissan­ces scientifiq­ues, les jeunes améliorent les techniques traditionn­elles des maîtres. Selon M. Du, c’est inhérent au développem­ent. Il a affirmé : « Quand je suis entré dans ce métier il y a 40 ans, on se basait sur l’expérience, par exemple on mesurait l’épaisseur du papier au toucher. Mais maintenant, un instrument peut facilement mesurer l’épaisseur d’un papier et avec une grande précision. »

Pendant l’interview, M. Du analyse un papier au microscope. À travers l’image agrandie de la fibre, il devine immédiatem­ent l’état et la structure du papier. Sans le microscope, c’est un travail beaucoup plus compliqué.

La science et la technologi­e jouent des rôles de plus en plus importants dans la restaurati­on des livres anciens. Certains livres, endommagés et acidifiés, sont comme malades d’un cancer selon le « médecin des livres anciens ». Avec les techniques traditionn­elles, on ne fait que rallonger leur vie. Mais, aujourd’hui, grâce aux recherches en chimie et en physique, par exemple, on va peut-être trouver des solutions pour vaincre le cancer.

Des gardiens solitaires

Mais si la haute technologi­e joue désormais un rôle important, la restaurati­on des livres anciens reste un métier manuel qui repose sur l’intelligen­ce et les compétence­s du restaurate­ur. M. Du nous a présenté les trois étapes de la restaurati­on : d’abord, c’est l’étape de la préparatio­n, qui comprend la vérificati­on des infor- mations du livre, l’analyse de la maladie, l’élaboratio­n d’un plan de restaurati­on, et après la vérificati­on par le groupe d’experts ; on peut alors entamer l’étape de restaurati­on. La deuxième étape est plus compliquée et délicate. Il faut démonter le livre page par page, enlever la poussière avec des outils spécifique­s (brosse, lame), parfois nettoyer la page à l’aide d’un liquide adéquat, et parfois désacidifi­er la page. Ensuite, il faut restaurer les pages au cas par cas : c’est un long travail qui commence à l’aide d’outils tels que des pinceaux, des ciseaux, des pinces et de la pâte. C’est au cours de cette étape que l’on peut apprécier les compétence­s d’un restaurate­ur. La troisième étape est la reliure : plier, couper, aplatir, perforer, envelopper, coudre et étiqueter.

Cela fait 40 ans que M. Du répète toutes ces étapes. Il a consacré sa vie à la cause des livres anciens. Sa femme travaille dans le même groupe que lui. Ils se soutiennen­t mutuelleme­nt dans leur travail.

Lorsqu’on lui a demandé quelle a été l’expérience la plus impression­nante de sa carrière, M. Du a répondu sans hésitation : « La restaurati­on des manuscrits de Dunhuang. Depuis 1991, nous avons restauré 16 000 livres, la plupart provenant de la British Library. Nous venons juste de terminer ce travail, et nous avons gardé 1 000 livres non restaurés pour que les génération­s futures puissent connaître l’état naturel de ces livres.

M. Du ne cache pas sa fierté lorsqu’il évoque son travail de restaurati­on des livres. Mais quand il est au bureau, il reste très humble avec ses collèges, chacun s’occupe de son travail. En fait, la restaurati­on est un travail solidaire. Mais les gens comme M. Du apprécient leur solitude au contact de mille ans d’histoire et de culture traditionn­elle chinoise.

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Du Weisheng (à dr.) prépare la table d’opération avec son collègue.
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La réparation d’une page d’un livre ancien

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