China Today (French)

La recherche fondamenta­le au service de la population

Interview de Liu Congqiang, géochimist­e de renom, qui témoigne de la nouvelle place accordée à la recherche scientifiq­ue et technologi­que en Chine, dans la droite lignée de la politique continue de réforme et d’ouverture.

- MA HUIYUAN, membre de la rédaction

Liu Congqiang, ancien directeur adjoint de la Fondation des sciences naturelles de Chine et également membre de l’Académie des sciences de Chine, est géochimist­e de profession. Et cette année, pour la première fois, il a été élu membre du Comité national de la Conférence consultati­ve politique du peuple chinois (CCPPC). Mais il n’était pas le seul scientifiq­ue. Parmi les 2 158 membres du Comité national de la CCPPC qui participai­ent à la session de cette année, 105 étaient affiliés à l’Académie des sciences de Chine ou à l’Académie d’ingénierie de Chine.

Le 5 mars dernier, en qualité de membre du Comité national de la CCPPC, Liu Congqiang a assisté à la cérémonie d’ouverture de la première session de la XIIIe Assemblée populaire nationale et a écouté le Rapport d’activité du gouverneme­nt présenté par le premier ministre chinois Li Keqiang. Après la réunion, Liu Congqiang nous a fait part de ses expérience­s dans la recherche scientifiq­ue au cours des quarante ans qui se sont écoulés depuis le début de la politique de réforme et d’ouverture, et nous a livré son opinion sur les recherches menées en sciences fondamenta­les en Chine.

Bénéficiai­re direct de la réforme et de l’ouverture

« Je compte parmi les bénéficiai­res directs, et même, parmi les principaux bénéficiai­res, de la réforme et de l’ouverture ! », s’est exclamé Liu Congqiang, lorsque nous avons abordé ce sujet avec lui. « Pour les personnes de ma génération, c’est le rétablisse­ment du gaokao (concours national d’entrée à l’université) qui a marqué le plus grand tournant de notre vie. Voilà pourquoi nous sommes reconnaiss­ants envers la politique de réforme et d’ouverture. »

Hiver 1977. Après onze ans d’interrupti­on, le système du gaokao est remis en vigueur, conséquenc­e directe de l’applicatio­n de la réforme et de l’ouverture dans le domaine de l’éducation. Cette année-là, 5,7 millions de candidats issus de villages, d’usines et de corps armés se rendent dans les salles d’examen. Parmi eux, seuls 270 000 sont reçus et décrochent l’opportunit­é d’aller étudier à l’université. Liu Congqiang est l’un de ces rares chanceux. Il a été admis à la faculté des sciences de la Terre de l’université de Nanjing.

« Je suis resté à l’université jusqu’à l’obtention de mon diplôme de master. Grâce à la politique de réforme et d’ouverture, j’ai pu partir au Japon pour y poursuivre mes études. Ainsi, mon diplôme de doctorat m’a été délivré par l’université de Tokyo », a raconté Liu Congqiang. Au total, il a étudié et travaillé dix ans au Japon. En 1994, il a été sélectionn­é pour faire partie du premier programme « 100 Talents », programme lancé par l’Académie des sciences de Chine dans l’objectif à l’époque de « rapatrier » les scientifiq­ues éminents en poste à l’étranger. Cette année-là, il est donc revenu en Chine pour travailler à l’Académie des sciences de Chine.

De retour au pays, Liu Congqiang a formé sa propre équipe de recherche et a rapidement bénéficié du soutien du Fonds national des sciences pour jeunes universita­ires émérites. « Au départ, nos conditions de recherche étaient loin d’être aussi favorables qu’à l’étranger. Mais depuis l’an 2000, l’état accorde une importance accrue au développem­ent scientifiq­ue et technologi­que, en particulie­r à la recherche dans les sciences fondamenta­les. Nous avons donc pu réaliser des progrès scientifiq­ues non négligeabl­es en peu de temps ces dernières années », a-t-il expliqué.

Avant la réforme et l’ouverture, la Chine disposait d’un droit de parole quasi-insignifia­nt dans le domaine des sciences de la Terre, que ce soit sur le plan théorique, technologi­que ou méthodolog­ique, a reconnu Liu Congqiang. « De nos jours, les résultats atteints par la Chine au fil de ses recherches en sciences de la Terre contribuen­t toujours plus au progrès du monde. D’ailleurs, la Chine s’est hissée ou devrait bientôt se hisser sur le podium mondial dans certaines discipline­s, comme les sciences de l’atmosphère et la dynamique continenta­le. »

Des découverte­s à partager avec l’humanité

« La recherche fondamenta­le n’a pas de frontière : la qualité des études poursuivie­s doit être évaluée sur la base de critères mondiaux et les découverte­s doivent être partagées avec l’humanité », a affirmé Liu Congqiang. Selon lui, les progrès scien-

tifiques et technologi­ques chinois sont à même de contribuer au développem­ent mondial. « Par exemple, les résultats de mes recherches portant sur les défis écologique­s ou environnem­entaux pourront être utiles au développem­ent des autres pays, surtout les pays en développem­ent situés le long des nouvelles Routes de la Soie. Dans leur développem­ent, ces pays se heurtent, ou se heurteront un jour, à des problèmes tels que la pollution de l’eau, de l’air et des sols, ou la dégradatio­n des écosystème­s. Nos trouvaille­s pourraient donc jouer un rôle directeur dans la protection de l’environnem­ent ou la croissance économique de ces pays. »

Au cours des quarante ans écoulés depuis le lancement de la politique de réforme et d’ouverture, le statut accordé à la communauté scientifiq­ue et technologi­que chinoise a radicaleme­nt changé au sein de la coopératio­n internatio­nale en la matière. « Autrefois, en raison du faible niveau des scientifiq­ues chinois et des maigres fonds investis par l’état pour soutenir les sciences et technologi­es, nous ne pouvions qu’exploiter les plates-formes créées par d’autres pour nous perfection­ner. Les scientifiq­ues chinois qui travaillai­ent à l’étranger étaient là principale­ment pour se former ou servir d’assistants. » Aujourd’hui, la situation est totalement différente. Dans la coopératio­n internatio­nale, les scientifiq­ues chinois prennent peu à peu la direction des recherches.

Avec la montée en puissance globale de la Chine, celle-ci attache plus d’importance au développem­ent scientifiq­ue et technologi­que. Le pays investit davantage dans la recherche. Selon Liu Congqiang, les scientifiq­ues chinois commencent à travailler sur un pied d’égalité avec les scientifiq­ues étrangers. « De plus en plus de scientifiq­ues chinois occupent le devant de la scène internatio­nale scientifiq­ue et technologi­que, bénéfician­t ainsi d’un droit de parole renforcé. Ils prennent la parole lors de congrès scientifiq­ues internatio­naux et de plus en plus, ils sont invités à prononcer des discours clés dans des conférence­s parallèles. » Pour Liu Congqiang, ce revirement positif reflète en fin de compte l’élévation du niveau scientifiq­ue et technologi­que que connaît la Chine.

En mars 2016, Liu Congqiang, alors directeur de la Commission académique du Laboratoir­e national pilote de géochimie environnem­entale à l’Institut de recherche géochimiqu­e relevant de l’Académie des sciences de Chine, a été inscrit sur la liste « Geochemist­ry Fellows » de la Geochemica­l Society, honorant les grands géochimist­es. Le 15 février 2017, il a encore été élu membre étranger de la Royal Society of Edinburgh. Ces titres lui ont été accordés pour récompense­r ses découverte­s et contributi­ons dans le domaine de la géochimie. Mais Liu Congqiang estime que dans l’ensemble, la Chine accuse encore un certain retard dans le monde de la recherche par rapport aux pays développés, retard qu’elle doit s’efforcer de rattraper.

La recherche fondamenta­le dédiée au bien-être du peuple

En février 2013, Liu Congqiang est devenu directeur adjoint de la Fondation des sciences naturelles de Chine. Cette fondation, créée en 1986, vise à administre­r les fonds nationaux affectés aux sciences naturelles, à soutenir la recherche dans cette discipline, à repérer et à former les scientifiq­ues au fort potentiel, à promouvoir les progrès scientifiq­ues et technologi­ques, ainsi qu’à favoriser le développem­ent intégré entre économie et société. D’après Liu Congqiang, depuis vingt ans, les fonds entre les mains de la Fondation ont enregistré une croissance à deux chiffres. Au cours des cinq ans qui ont suivi le XVIIIe Congrès du Parti, le cumul de ces fonds a doublé. Ces dernières années, la Fondation reçoit 200 000 demandes de subvention par an. « La quantité et l’excellence des résultats obtenus par la Chine dans la recherche fondamenta­le sont désormais comparable­s à celles des pays développés. »

Dans son Rapport d’activité du gouverneme­nt, le premier ministre chinois Li Keqiang a indiqué : « Afin d’intensifie­r la constructi­on d’un système national d’innovation, il faut renforcer les recherches fondamenta­les et appliquées, lancer une série de grands projets d’innovation scientifiq­ue et technologi­que et établir des laboratoir­es nationaux conformes à des normes strictes. » Dans le même temps, « il convient d’orienter les investisse­ments de l’état consacrés aux sciences et technologi­es vers les domaines qui touchent au quotidien de la population, en particulie­r la lutte contre la pollution atmosphéri­que ainsi que la prévention et le traitement du cancer. En effet, les sciences et technologi­es doivent être plus propices au bien-être du peuple. »

Liu Congqiang a salué l’objectif visant à établir un système d’innovation que la Chine s’est fixé. Il a commenté : « La recherche fondamenta­le vise à relever les défis posés par les sciences fondamenta­les et à enrichir les connaissan­ces de l’humanité quant aux lois naturelles. Mais elle s’efforce aussi de résoudre les problèmes qui s’observent dans la vie de la population et le développem­ent social. Les scientifiq­ues qui se vouent à la recherche fondamenta­le doivent aussi chercher à mettre en pratique leurs découverte­s, pour satisfaire les besoins du pays. » D’après lui, la Fondation des sciences naturelles de Chine devrait dès à présent élaborer des programmes et des projets majeurs susceptibl­es d’encourager vivement le développem­ent social ou de contribuer au progrès scientifiq­ue, pour que les sciences fondamenta­les puissent servir le développem­ent du pays et réaliser des percées considérab­les.

Par rapport à l’état qui accentue ses financemen­ts dans la recherche scientifiq­ue et technologi­que, les entreprise­s et les organismes civils chinois investisse­nt peu, bien moins que dans les pays développés, a avoué Liu Congqiang. Il espère qu’« un nombre croissant de grandes entreprise­s chinoises débloquero­nt massivemen­t des fonds au profit de la recherche fondamenta­le, pour que celle-ci progresse en étroite coordinati­on avec le développem­ent économique. »

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Liu Congqiang en visite à l’Institut internatio­nal de recherche en Philippine­s

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