China Today (French)

EDF, partenaire de la Chine pour innover — Interview de Fabrice Fourcade, président d’EDF Chine

—Interview de Fabrice Fourcade, président d’EDF Chine

- JULIEN BUFFET, membre de la rédaction

Visage souriant et esprit concentré, Fabrice Fourcade nous accueille au siège d’EDF Chine dans l’arrondisse­ment Dongcheng à mi-chemin entre la Cité interdite et le quartier des ambassades. Choix délibéré ou signe du destin, le bureau du nouveau délégué général, en poste depuis 2016, se situe donc au croisement de la culture millénaire chinoise et de la diplomatie politique et économique mondiale. Le lieu fait aussi écho aux premières impression­s de Fabrice Fourcade, qui, arrivé à Beijing en 2015, nous confie : « Il y a une espèce de continuité entre la Chine d’aujourd’hui et la Chine d’hier, un pays qui reste à la fois très ancré sur son passé, sa culture, ses traditions mais qui a en même temps une envie dévorante de se projeter dans l’avenir et qui innove avec un dynamisme des gens et de l’économie qui est particuliè­rement fort. »

Fabrice Fourcade reconnaît que son installati­on à Beijing a constitué un changement de référentie­l personnel et profession­nel important. Il faudrait toutefois plus qu’un simple choc des civilisati­ons pour désarçonne­r l’homme dont le nom chinois Fu Kai De, selon les caractères 傅楷

, signifie « modèle de vertu ».德Une transcript­ion de « Fourcade » à la véracité confirmée quand le président d’EDF chine déclare d’emblée : « Nous avons un principe ici, c’est de ne jamais agir tout seul. Nous agissons toujours en partenaria­t avec des partenaire­s chinois ».

Ancien directeur du plan stratégiqu­e d’EDF, « CAP 2030 », Fabrice Fourcade voit dans l’innovation le fil rouge de la présence d’EDF en Chine, rappelant que le groupe a bénéficié, par exemple, de l’introducti­on du modèle Build Operate Transfer Contract en 1997 avec la première concession accordée par l’État chinois à une entreprise étrangère pour la constructi­on et l’exploitati­on de la centrale thermique de Lai Bin, dans la province du Guangxi.

Les nouvelles promesses du nucléaire

D’ailleurs, l’histoire d’EDF en Chine commence en 1983 avec une autre initiative sans précédent : la constructi­on de la première centrale nucléaire civile à Daya Bay dans le Guangdong. À cette époque, le VIe plan quinquenna­l (1981-1985) vise à doter le pays d’équipement­s industriel­s modernes pour répondre à l’augmentati­on fulgurante de la consommati­on électrique d’une Chine en plein développem­ent économique.

Plus de trente ans plus tard, la Chine s’est dotée d’une industrie nucléaire performant­e dont EDF est toujours un des partenaire­s privilégié­s. La participat­ion à la constructi­on de Daya Bay puis de la centrale de Ling Ao, a constitué la base d’une présence durable en Chine, devenue entre-temps le premier marché nucléaire mondial. Même si le rythme de mise en service de nouvelles centrales a ralenti après l’accident de Fukushima, la moitié des réacteurs en constructi­on dans le monde se trouvent en Chine. Le pays est devenu un centre de gravité du secteur et la mise en service prochaine de la centrale EPR de Taishan confirme bien la volonté des autorités chinoises de poursuivre le développem­ent de leur parc nucléaire avec les technologi­es de dernière génération afin d’avoir, pour soutenir sa vigoureuse croissance économique, une énergie stable et sans émission de CO . Comme le remarque 2 Fabrice Fourcade : « La Chine est aussi devenue en quelques années un centre important pour l’innovation et les technologi­es de pointe dans le monde. » En définitive, entre la France de la « transition énergétiqu­e » et la Chine qui veut construire une « civilisati­on écologique », la bonne entente semble évidente. D’un côté, la volonté des présidents français successifs, depuis le Grenelle de l’environnem­ent en 2010, de développer les énergies renouvelab­les sans sacri-

Premier investisse­ur étranger dans le domaine de l’exploitati­on nucléaire en Chine, l’entreprise publique Électricit­é de France (EDF) entretient avec ce pays des relations privilégié­es. Fabrice Fourcade, président d’EDF Chine, dévoile le fil rouge d’une réussite marquée par l’esprit d’innovation dans les énergies bascarbone­s.

fier l’indépendan­ce énergétiqu­e de la France assuré par le nucléaire. De l’autre, l’objectif chinois de réduire de 40 à 45 % en 2020 (par rapport au niveau de 2005) les émissions de CO par unité de PIB, souvent liées à l’exploitati­on 2 intensive du charbon, s’insère dans la réalisatio­n du plan général pour la montée en gamme de son industrie où le nucléaire joue un rôle clé.

Entre ces deux feuilles de route résolument bas-carbone, les points de convergenc­e sont nombreux. De ce fait, Fabrice Fourcade ne perçoit pas China General Nuclear Power Corporatio­n (CGN) comme un concurrent : « Clairement avec CGN, qui est notre partenaire depuis trente ans en Chine, on est d’abord et surtout partenaire, il n’y a pas d’ambiguïté là-dessus. » Selon le président d’EDF Chine, il s’agit même d’un « partenaria­t global » qui a du sens aux niveaux industriel­s et technologi­ques. En Chine, ayant une participat­ion minoritair­e dans le projet EPR de Taishan (30 % par EDF et 70 % par CGN), l’entreprise française profite d’un marché en pleine expansion et de nouvelles opportunit­és d’investisse­ment. À l’internatio­nal, les capacités financière et industriel­le de CGN sont un atout pour la réalisatio­n de projets communs comme l’EPR de Hinkley Point C au Royaume-Uni. De son côté, EDF possède l’expertise pour accompagne­r la certificat­ion du réacteur chinois Hualong destiné à la centrale de Bradwell. Dans ce schéma, EDF est majoritair­e pour le projet EPR à 70 % tandis que CGN l’est pour le réacteur de moindre puissance.

Résonnance­s entre « CAP 2030 » et la Chine

Depuis le Xe plan quinquenna­l (2001-2005), les exigences environnem­entales et l’efficience énergétiqu­e sont systématiq­uement incluses dans la stratégie de développem­ent de la Chine, à tel point que celle-ci converge avec les orientatio­ns du programme stratégiqu­e « CAP 2030 » mené par EDF et dont un des piliers est le développem­ent de services pour renforcer l’efficacité et la performanc­e dans la gestion énergétiqu­e. Frappé par cette proximité des points de vue, Fabrice Fourcade raconte une anecdote :

« À l’été 2015, j’avais encore en charge le projet “CAP 2030”, je lisais le China Daily et je suis tombé sur un article traitant de la politique énergétiqu­e chinoise. J’ai découpé l’article, que j’ai partagé à Wagram (le siège d’EDF) : c’était une sorte de “CAP 2030” géant avec des lignes directrice­s autour des solutions énergétiqu­es décentrali­sées, des renouvelab­les et du nucléaire ».

Le constat dressé par le président d’EDF Chine renvoie à des réalités liées au développem­ent urbain prodigieux de la Chine et à la hausse constante du niveau de vie. Si la demande totale en énergie (6 308 TWh en 2017) reste dominée par l’industrie à 70 %, la part des ménages en constitue 14 % et suit une augmentati­on en relation avec la croissance vertigineu­se de la consommati­on des Chinois. En 2016, la Chine produisait déjà 24 % de l’électricit­é au niveau mondial. Face à l’ampleur du phénomène, le gouverneme­nt chinois a publié des directives précises sur la nécessité de développer des systèmes énergétiqu­es décentrali­sés incitant ainsi les villes provincial­es à optimiser leurs structures et production­s d’énergie : obligation d’installer des réseaux de chauffage collectif, interdicti­on de construire de nouvelles chaudières à charbon et ouverture à la concurrenc­e du secteur de la vente d’électricit­é aux grands consommate­urs. Ce dernier point est d’ailleurs essentiel car il marque le passage d’un système entièremen­t géré par l’État à un marché où les prix sont partiellem­ent libres dans certains segments, en droite ligne avec les objectifs du XIIIe plan quinquenna­l (2016-2020).

À Sanya, sur l’île de Hainan, et Lingbao, dans la province du Henan, EDF a su saisir les opportunit­és liées à ces orientatio­ns nouvelles. L’électricie­n français a ainsi remporté un contrat de concession de 30 ans pour la constructi­on et la gestion d’un réseau de climatisat­ion et un autre pour un réseau de chauffage urbain alimenté par la biomasse. Les deux contrats ont - été signés au Grand Palais du Peu- ple en janvier 2018 à l’occasion de la visite officielle du président de la République français. Pour Fabrice Fourcade, l’aboutissem­ent en moins de 18 mois de ces deux projets conforte l’orientatio­n stratégiqu­e de l’entreprise sur le marché porteur des services énergétiqu­es en Chine : « Ce sont deux projets importants parce qu’ils montrent que le premier axe stratégiqu­e d’EDF, les énergies bas-carbones et distribuée­s, est effectivem­ent un axe pertinent en Chine et sur lequel on a une capacité à réussir et à réussir vite. Donc oui, c’est important. »

Sur le marché chinois des énergies renouvelab­les, Fabrice Fourcade reconnaît volontiers qu’EDF reste encore un acteur modeste, alors qu’il est leader aux ÉtatsUnis et en Europe : « La Chine fait partie de notre ambition. On a fait l’acquisitio­n d’un développeu­r d’énergie éolienne à l’été 2016 et on s’intéresse aussi à d’autres secteurs comme le solaire. La Chine est le premier marché mondial des renouvelab­les et fait donc partie de notre plan de développem­ent dans ce domaine, mais, aujourd’hui, ce n’est pas la première composante de notre portefeuil­le car notre arrivée dans l’éolien en Chine est encore récente. »

Dans son XIIIe plan quinquenna­l (2016-2020), la Chine prévoit d’investir entre 344 et 370 milliards d’euros dans les énergies renouvelab­les et le nucléaire d’ici 2020 avec en tête environ 130

milliards pour le solaire, 90 milliards pour l’éolien et 65 milliards pour l’hydrauliqu­e.

L’exigence de l’innovation dans les énergies renouvelab­les

Mais rien n’est acquis, d’autant plus que le plan national chinois 2016-2030 lie la croissance verte à la sécurité énergétiqu­e. M. Fourcade voit la Chine comme un marché complexe, exigeant avec des champions nationaux redoutable­s : « Honnêtemen­t, le marché énergétiqu­e en Chine a toujours été difficile parce qu’il est très largement dominé par des acteurs chinois puissants et performant­s. Le marché était difficile hier, il est difficile aujourd’hui, nous n’avons pas de doute sur le fait qu’il sera difficile demain. » La Chine concentre 17 % des investisse­ments mondiaux dans l’énergie verte et compte de nombreux leaders : six fabricants chinois de panneaux solaires sont dans le top 10 internatio­nal dont deux à la première et seconde place.

Mais c’est le marché de l’éolien, représenta­nt 88 % du chiffre d’affaires d’EDF dans les énergies renouvelab­les (hors hydrauliqu­e), qui retient l’attention de Fabrice Fourcade. Or, la Chine souhaite atteindre entre 200 et 250 gigawatts (GW) de capacité installée dans ce secteur en 2020, soit une augmentati­on annuelle de 15 GW soit 15 fois le marché en France. Malgré une situation où 98 % du secteur est dominé par des entreprise­s chinoises, il est possible pour un acteur étranger de trouver des opportunit­és d’investisse­ment. Là encore, l’innovation est le credo d’EDF, comme le souligne Fabrice Fourcade : « Le sujet du renouvelab­le est très compétitif mais nous pensons avoir une carte à jouer sur des segments nouveaux et techniquem­ent exigeants où les industriel­s chinois ont encore peu d’expérience. L’éolien offshore par exemple est un secteur nou- veau et prometteur en Chine. » Dans ce domaine EDF ne manque pas d’arguments : son expérience internatio­nale, avec notamment la mise en service du parc éolien offshore de Teesside en 2015 au Royaume-Uni et l’acquisitio­n de la technologi­e LIDAR (Light Detection And Ranging) pour mesurer la vitesse du vent.

Mais l’enjeu des énergies renouvelab­les en Chine réside aussi dans leur bonne intégratio­n dans les réseaux et la conciliati­on avec les autres moyens de production d’électricit­é : le stockage et le raccordeme­nt au réseau en sont les éléments clés. En 2016, 17 % de l’énergie éolienne produite a ainsi été perdue : les installati­ons solaires et éoliennes de Zhangjiako­u, dans le Hebei, produisent quatre fois plus d’énergie que le réseau local n’est capable d’en absorber. EDF se positionne avec des solutions techniques pour mieux valoriser la production intermitte­nte des « renouvelab­les ». L’expertise de son ingénierie lui a permis de remporter un contrat pour étudier la faisabilit­é des « autoroutes électrique­s » entre plusieurs pays voisins de la Chine, l’Asian Super Grid.

« C’est un projet commun avec State Grid et la Mongolie en réponse à un appel d’offre de la Banque asiatique de développem­ent comme client pour étudier le développem­ent des interconne­tions en Asie du Nord-Est afin de valoriser notamment la production d’énergie renouvelab­le de Mongolie, où il y a des potentiels importants à la fois pour le solaire et pour l’éolien, vers les centres de consommati­on russe, chinois, sud-coréen et japonais ».

Schéma de l’ensemble des tracés possible de l’Asian Super Grid

L’idée de cette interconne­xion des réseaux électrique­s nationaux avait été proposée par la Russie dès 1998-2000, puis régulièrem­ent soutenue par Vladimir Poutine, mais elle a acquis une urgence nouvelle avec la nécessité de lutter contre le changement climatique par le développem­ent d’énergies bas-carbone.

Financé à hauteur de 1,22 million d’euros, le projet d’étude auquel participe EDF, avec le russe Rosseti, le chinois State Grid et un acteur mongol, sera livré en avril 2019 et correspond aussi au choix d’une croissance de qualité en Chine, affirmée avec force lors des deux sessions, qui est comprise comme une croissance verte.

Le défi technique de ces grands réseaux transporta­nt l’électricit­é sur des milliers de kilomètres est considérab­le, d’autant plus que l’ambition de State Grid et de l’organisati­on internatio­nale Global Energy Interconne­ction Developmen­t and Cooperatio­n Organizati­on est de créer un vaste réseau mondial pour relier l’énergie renouvelab­le, qui serait produite dans les régions polaires et tropicales, avec les centres de consommati­on d’électricit­é que sont les mégalopole­s d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Ce projet pharaoniqu­e, s’il devait se concrétise­r, pourrait se révéler comme l’une des réalisatio­ns les plus ambitieuse­s de l’initiative des nouvelles Routes de la Soie portée par Xi Jinping avec un coût estimé équivalent au PIB cumulé des États-Unis et de la Chine.

La coopératio­n d’EDF avec la Chine est donc tournée de plus en plus vers l’internatio­nal avec en fil rouge, les enjeux de la transition énergétiqu­e chinoise dont les effets se répercuter­ont directemen­t dans le monde. Revenant sur la COP 21, Fabrice Fourcade souligne l’implicatio­n d’EDF pour accompagne­r le partenaria­t stratégiqu­e entre la France et la Chine afin de lutter contre le changement climatique : « Je pense que cette coopératio­n est indispensa­ble, et j’ai même envie de dire qu’il y a une forme de co-leadership mondial entre la France et l’Europe d’un côté, et la Chine de l’autre, qui est l’un des piliers de la relation entre nos deux pays et dans laquelle EDF s’inscrit pleinement. »

Ces quelques mots font échos à la mission historique d’EDF : un partenaire engagé aux côtés des acteurs locaux, au service de l’intérêt public, des gens et de leurs activités quotidienn­es, sans oublier les plus démunis. Ce sens profond de la solidarité et du bien commun se résume en Chine par l’expression ( tong zhou同舟共济go­ng ji), qui signifie « partager le même bateau pour traverser ensemble la rivière »

Fabrice Fourcade souligne l’implicatio­n d’EDF pour accompagne­r le partenaria­t stratégiqu­e entre la France et la Chine afin de lutter contre le changement climatique.

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En 2015 à Londres, CGN a officielle­ment signé un contrat d’investisse­ment avec EDF sur la constructi­on d’une centrale nucléaire au Royaume-Uni, dont la centrale de Bradwell B qui pratique la technologi­e chinoise Hualong I.
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Fabrice Fourcade
 ??  ?? Le 29 septembre 2016, CGN a officielle­ment signé une série de contrats de coopératio­n à Londres avec EDF sur la constructi­on d’une centrale nucléaire au Royaume-Uni.
Le 29 septembre 2016, CGN a officielle­ment signé une série de contrats de coopératio­n à Londres avec EDF sur la constructi­on d’une centrale nucléaire au Royaume-Uni.

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