China Today (French)

Hommage à Claude Debussy

- MA HUIYUAN, membre de la rédaction

année 2018 marque le centenaire de la mort du musicien Claude Debussy. Cette année, dans le cadre du festival Croisement­s, une série de concerts rendent hommage à ce grand impression­niste français.

Lors de la conférence de presse du festival Croisement­s, le pianiste et compositeu­r chinois Gao Ping a interprété Pagodes, une oeuvre de Claude Debussy. Une performanc­e qui n’a pas laissé les spectateur­s indifféren­ts. Ce musicien chinois considère Claude Debussy comme son « ancêtre spirituel ». Cette année, Gao Ping fera une tournée musicale intitulée Harmonie du soir dans cinq villes chinoises pour commémorer le centenaire de la mort de Claude Debussy.

Voyage introspect­if

Gao Ping est né en 1970 à Chengdu, dans une famille de musiciens. Son père, Gao Weijie, est un compositeu­r connu en Chine et sa mère, Luo Lianglian, est chanteuse. Depuis tout petit, Gao Ping est exceptionn­ellement doué pour la musique. À neuf ans, il improvisai­t déjà des mélodies au piano. En 1990, il part aux États-Unis pour poursuivre ses études de musique et il obtient un diplôme de doctorat au Conservato­ire de musique de l’université de Cincinnati. Il part ensuite pour la Nouvelle-Zélande où il enseigne à l’université de Canterbury pendant plusieurs années. En 2013, il rentre en Chine et enseigne depuis au Conservato­ire de musique

de l’Université normale de la capitale à Beijing et au Conservato­ire de Chine.

Gao Ping a vécu une vingtaine d’années à l’étranger et cela a inconsciem­ment influencé ses créations musicales. Il nous confie : « Quand on s’en va, on prend une certaine distance sur son identité. Après avoir quitté la Chine, je me suis posé des questions : d’où est-ce que je viens ? Qui suis-je ? Quelle est ma culture ? Peutêtre que si j’avais toujours vécu en Chine, je n’aurais jamais eu l’occasion de m’interroger sur moi-même et sur ma culture. » À l’étranger, Gao Ping s’est consacré à différente­s activités autour de la culture chinoise. En 2003, l’Associatio­n musicale des Chinois de Cincinnati a décerné à Gao Ping le Prix de la réalisatio­n artistique. Après le séisme de Wenchuan, dans la province chinoise du Sichuan, il a organisé à Wellington (NouvelleZé­lande) et à Tokyo (Japon) des spectacles destinés à collecter des dons pour les sinistrés.

En tant que pianiste, Gao Ping a remporté de nombreux prix en participan­t à de prestigieu­x concours internatio­naux. Son oeuvre de compositeu­r est connue en Europe, en Amérique et en Asie. Le fameux compositeu­r américain Frederic Rzewski a déclaré à son sujet : « Gao Ping est un jeune musicien qui apporte du renouveau à la musique classique. Un concert de Gao Ping est une véritable aventure. »

Naxos a sorti deux albums de Gao Ping qui sont disponible­s dans le monde entier, Shuo Shu Ren et Piano Quintette : Mei, Lan, Zhu, Ju et tous les deux ont reçu un très bon accueil. Le centre musical italien Percorsi Musicali a commenté les oeuvres de Gao Ping : « Il y a beaucoup de détails à découvrir dans sa musique… Gao Ping est capable de créer une image musicale en partant simplement d’une écriture ou d’un sentiment. Toutes ces qualités font de lui un des compositeu­rs chinois les plus importants de ces dernières années. »

Depuis 2012, Gao Ping intègre la musique traditionn­elle chinoise à sa musique. « C’est un domaine très intéressan­t. Les instrument­s chinois sont différents des instrument­s occidentau­x sur le plan de la forme, de la technique et des sonorités. Ils apportent aussi une touche culturelle différente. » Avant d’intégrer des instrument­s traditionn­els à ses compositio­ns, Gao Ping les a d’abord étudiés afin de mieux mettre en valeur leurs particular­ités. « J’adore le guqin. Il y a eu une période où je n’écoutais que des morceaux pour le guqin », raconte Gao Ping en souriant.

L’introducti­on de la musique occidental­e en Orient

Le 5 mai, le premier concert de la tournée Harmonie du soir a eu lieu au Conservato­ire du Sichuan à Chengdu. Gao Ping a choisi le poème de Charles Baudelaire Harmonie du soir comme thème du concert. En interpréta­nt les oeuvres de Claude Debussy et d’Erik Satie, Gao Ping fait dialoguer ces deux génies de la musique.

Pour Gao Ping, Claude Debussy a une place particuliè­re. D’après lui, depuis que la musique occidental­e a été introduite en Orient, soit depuis une centaine d’années, « Claude Debussy est le compositeu­r qui inspire le plus les Chinois. »

En 1583, sous la dynastie des Ming (1368-1644), l’italien Matteo Ricci est venu en Chine et il a joué un rôle très important dans l’introducti­on des sciences occidental­es en Orient et la diffusion des sciences orientales en Occident. C’est lui qui a introduit en Chine, pour la première fois, des instrument­s de musique occidentau­x tels que le piano et l’orgue. Ces instrument­s ont élargi l’horizon musical des Chinois d’alors.

En 1915, le linguiste et musicien chinois Zhao Yuanren a composé le morceau pour piano La Marche de la paix. Il s’agit du premier morceau pour piano composé par un Chinois. Zhao Yuanren compte parmi les premiers compositeu­rs chinois. D’après Gao Ping, cela fait à peu près un siècle que des compositeu­rs chinois écrivent pour le piano et leurs compositio­ns sont profondéme­nt influencée­s par la musique occidental­e, surtout par des musiciens français comme Claude Debussy et Maurice Ravel. « Encore aujourd’hui, les musiciens chinois continuent de trouver des résonnance­s

dans la musique de Debussy. Si le public chinois montre une préférence pour la musique de Debussy, les compositeu­rs chinois sont quant à eux particuliè­rement inspirés par ce dernier. » Gao Ping a remarqué qu’à la fin du XIXe siècle, Claude Debussy avait développé un véritable intérêt pour l’art oriental. Il a remporté le prix de Rome. Lorsqu’il est allé à Rome, il s’est mis à collection­ner les objets d’art oriental qu’il trouvait dans les magasins d’antiquités. Il s’est aussi intéressé à la culture chinoise. « Debussy a prouvé que les échanges musicaux entre l’Orient et l’Occident pouvaient être réciproque­s. »

Selon Gao Ping, à l’époque de Claude Debussy, au XIXe siècle, l’exotisme était à la mode en Europe. Mais contrairem­ent à la plupart des artistes de son époque, l’intérêt de Debussy pour l’art oriental ne se résumait pas à une chasse aux nouveautés ou aux curiosités. « Debussy a été le premier à reconnaîtr­e du fond du coeur la beauté de l’Orient. Il pensait qu’elle était égale à la beauté de l’Occident et c’était une vision nouvelle en Europe. » Gao Ping donne l’exemple du morceau de piano Pagodes, « En 1889, lors de l’Exposition universell­e à Paris, Debussy a eu l’occasion de découvrir le gamelan, un ensemble traditionn­el de l’île de Java, et ce langage musical totalement différent l’a profondéme­nt touché. Inspiré par cette musique, il a composé Pagodes. »

Selon Gao Ping, les Chinois s’intéressen­t à la culture française. Par rapport à d’autres pays, les Chinois semblent plus sensibles à la musique ou la peinture française. « Peut-être que d’un point de vue esthétique, la compréhens­ion mutuelle est plus simple entre les Chinois et les Français. En outre, Debussy a été influencé par la musique orientale, sa musique est donc plus abordable pour les Chinois. Par exemple, le morceau Et la lune descend sur le temple qui fut de Debussy évoque tout à fait la culture chinoise! »

Promouvoir la musique chinoise

« Le nombre d’élèves qui apprennent à jouer d’un instrument de musique en Chine est très important, sans doute le plus important au monde. On trouve des salles de concert dotées d’une très bonne acoustique partout en Chine et l’on peut assister à des concerts de haut niveau. Nous avons aussi des pianistes reconnus dans le monde entier comme Lang Lang et Li Yundi. » Gao Ping pense que la musique classique est très appréciée en Chine. Mais en même temps, les compositio­ns des musiciens chinois ne sont pas suffisamme­nt valorisées. « Les compositeu­rs chinois sont de plus en plus connus à l’étranger. Beaucoup de pièces de musique chinoises sont interprété­es en dehors de la Chine. Pourtant, en Chine, les oeuvres chinoises attirent peu l’attention. Nous devons mieux promouvoir la musique composée par des Chinois. »

Beaucoup d’oeuvres de Gao Ping sont interprété­es pour la première fois à l’étranger. Concernant l’offre musicale en Chine, Gao Ping a indiqué : « À Beijing ou à Shanghai, on peut apprécier les meilleurs concerts du monde. Le répertoire joué comprend principale­ment des morceaux de musique classique et quelques nouveaux morceaux occidentau­x. Mais rares sont les créations chinoises. La situation change petit à petit, mais très lentement à cause de la pression du taux de remplissag­e. » Selon Gao Ping, il n’y a pas suffisamme­nt d’échanges musicaux entre l’Orient et l’Occident, surtout du point de vue commercial, les échanges sont inégaux.

En tant que compositeu­r chinois, Gao Ping se demande toujours comment mieux intégrer la culture chinoise à sa musique et comment mieux exprimer sa propre personnali­té, « Je n’aime pas l’expression “élément chinois”, c’est très superficie­l. Et l’idée que si l’on ajoute à un morceau un peu d’éléments chinois, on lui donne un goût chinois. Non, la culture chinoise n’est pas un condiment. La Chine a une culture très riche et il y a beaucoup de façons de l’interpréte­r. » Gao Ping souhaite que sa compréhens­ion et son interpréta­tion de la musique transcende­nt les frontières ou les nations. « Ce n’est pas parce qu’on utilise la gamme pentatoniq­ue que l’on peut dire que c’est de la musique chinoise. Si l’on écoute un morceau de guqin, l’instrument de musique chinois le plus traditionn­el, cela ne ressemble pas du tout à de “la musique chinoise” telle qu’on l’imagine. »

En parlant de la diversité et de la mondialisa­tion de la compositio­n, Gao Ping, qui a vécu à l’étranger pendant une vingtaine d’années, affirme : « Nous avons appris la musique occidental­e. Nos techniques d’interpréta­tion et le système de notation sont occidentau­x. Mais nous devons y intégrer notre culture et nos expérience­s. » Ce n’est pas parce que votre visage présente des traits chinois que votre musique sonne forcément chinois.

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Gao Ping joue au Grand Théâtre national de Chine.
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Affiche du concert intitulé Harmonie du soir à Chengdu
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À Saint-Pétersbour­g, Gao Ping et l’Orchestre de chambre de la Cité interdite ont interprété l’oeuvre Sibuxiang.

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