China Today (French)

Le miracle économique de la Chine

- LIN YIFU*

L’année 2018 marque le 40e anniversai­re de la réforme et de l’ouverture de la Chine. Au cours des 40 dernières années, le taux moyen de croissance économique annuelle de la Chine a atteint 9,6 %, un chiffre sans précédent dans l’histoire du développem­ent économique mondial et qui dépasse les attentes de tous.

Quelle était la situation de la Chine il y a 40 ans ? Selon le taux de change du marché à l’époque, le produit intérieur brut (PIB) par habitant de la Chine en 1978 était de 155 dollars, alors que celui des pays d’Afrique subsaharie­nne, qui étaient généraleme­nt considérés comme les pays les plus pauvres du monde, atteignait 499 dollars. À en juger par les classement­s mondiaux, sur plus de 200 pays, la Chine avait le troisième plus petit PIB par habitant. Telle était la situation de la Chine lorsque Deng Xiaoping, architecte en chef de la réforme et de l’ouverture de la Chine, a proposé ce projet il y a 40 ans.

Aujourd’hui, l’objectif fixé par M. Deng au début de la réforme et de l’ouverture, qui consistait à « quadrupler » la valeur de production de la Chine en 20 ans, et garantir ainsi une croissance économique annuelle d’environ 7,2 %, a été atteint. Pourtant, à l’époque, je n’aurais jamais cru que ce taux de croissance élevé puisse un jour être atteint.

La contributi­on de la Chine au monde

J’ai eu la chance d’être le témoin du miracle chinois : en 40 ans, la Chine a connu des changement­s spectacula­ires. Si l’on regarde le PIB par habitant, la Chine est parvenue au chiffre de 155 dollars en 1978 et à celui de 8 836 dollars en 2017, devenant un pays à revenu moyen supérieur ; en ce qui concerne l’agrégat économique, la Chine a dépassé le Japon en 2009, devenant la deuxième plus grande économie du monde ; en 2010, elle a dépassé l’Allemagne, devenant le plus grand exportateu­r du monde ; en 2013, elle est devenue la première puissance commercial­e du monde, les volumes du commerce chinois dépassant ceux des États-Unis... Pendant cette même période, plus de 700 millions de Chinois sont sortis de la pauvreté.

J’ai été vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale, un poste parmi les plus importants au monde pour les économiste­s. J’ai été le 9e économiste en chef de la Banque mondiale. Mes prédécesse­urs sont tous des économiste­s expériment­és qui ont apporté une grande contributi­on dans le domaine économique, et qui, pour la plupart, ont également une riche expérience politique. Si j’ai pu être qualifié pour ce poste, c’est principale­ment grâce à la réussite du développem­ent économique de la Chine et à son énorme contributi­on à la réduction de la pauvreté dans le monde.

Selon moi, la plus grande contributi­on que la Chine apporte au monde est le développem­ent régulier et rapide de son économie. Au cours de ces 40 dernières années, la situation économique mondiale a été généraleme­nt instable. Par exemple, l’Asie de l’Est, région qui a connu le meilleur développem­ent économique depuis la Seconde Guerre mondiale, a été frappée par une crise financière soudaine en 1997. À cette époque, de nombreux membres de la communauté internatio­nale ont estimé que l’Asie de l’Est avait essuyé une défaite définitive et qu’il faudrait attendre dix ou vingt ans pour qu’elle se relève. Mais depuis 2000, l’économie de la région se redresse et continue de croître rapidement. Pourquoi ce décalage entre la réalité et les attentes de la communauté internatio­nale ? Parce que la communauté internatio­nale n’avait pas prévu la réponse de la Chine. Premièreme­nt, la Chine a pris ses responsabi­lités en faisant en sorte d’éviter la dévaluatio­n du yuan, ce qui a permis aux pays touchés par la crise financière de ne pas être affectés par la dévaluatio­n compétitiv­e. Grâce à cela, l’économie de l’Asie de l’Est est restée stable. Ensuite, la Chine a maintenu à l’époque un taux de croissance économique de 8 %, ce qui a favorisé la reprise

économique de la région.

La crise financière de 2008 a été la première crise financière à grande échelle depuis la Seconde Guerre mondiale et la crise financière mondiale la plus sévère depuis le krach de 1929. Beaucoup de gens ont estimé que cette crise aurait un impact sur le long terme. Aujourd’hui, dix ans après, certains pays développés ne se sont pas encore complèteme­nt relevés, alors que d’autres économies ont retrouvé la stabilité entre 2009 et 2010. La Chine a joué un rôle clé. En 2009, elle a lancé des politiques financière­s proactives qui ont stimulé sa reprise économique au cours du premier trimestre. Le pays n’a donc connu qu’un seul trimestre de récession économique : le 4e trimestre de 2008. Impulsées par l’économie chinoise, d’autres économies émergentes ont commencé à se relever à partir du 2e trimestre de 2009. De 2008 à aujourd’hui, la contributi­on annuelle de la Chine à la croissance économique mondiale dépasse 30 %.

Un miracle économique qui découle de la réforme et l’ouverture

Au cours des 40 dernières années, la Chine a maintenu une croissance économique annuelle moyenne de 9,6 %, un phénomène nouveau dans l’histoire de l’économie mondiale. L’augmentati­on du revenu ne se traduit pas seulement par une augmentati­on de la masse monétaire, mais aussi par une augmentati­on du pouvoir d’achat, soit une croissance réelle. Or pour parvenir à une croissance réelle, il faut augmenter continuell­ement le niveau de productivi­té du travail, ce qui implique que les industries technologi­ques innovent continuell­ement et que chaque travailleu­r produise plus, des produits de meilleure qualité. C’est la première stratégie qui permet d’augmenter le revenu. La seconde permet de favoriser l’émergence continuell­e de nouvelles industries à plus haute valeur ajoutée. Pour maintenir une augmentati­on continuell­e et à long terme des revenus, il est essentiel de redistribu­er les ressources en main-d’oeuvre des industries à faible valeur ajoutée vers les industries à plus forte valeur ajoutée. Pour résumer, il s’agit de mettre en place un modèle de croissance économique entraînée par le développem­ent rapide de la science et de la technologi­e. Que ce soit dans les pays développés ou dans les pays en développem­ent, cette stratégie est la clé pour parvenir à une augmentati­on durable et à long terme du revenu.

Cependant, il faut tenir compte des différence­s entre les pays développés et les pays en voie de développem­ent. Depuis la révolution industriel­le, les pays développés enregistre­nt les niveaux de revenu les plus élevés au monde, ce qui signifie aussi qu’ils possèdent la meilleure main-d’oeuvre et les meilleures technologi­es industriel­les du monde. Dans ce contexte, l’innovation technologi­que et la modernisat­ion industriel­le reposent sur leurs propres inventions, dont le taux de réussite est très faible. La croissance de revenu en glissement annuel des pays développés est de 2 %. Considéran­t le facteur de la croissance démographi­que, elle pourrait s’élever à environ 3 %. Quant aux pays en développem­ent, ils sont également tenus de réaliser des innovation­s technologi­ques et des mises à niveau industriel­les. Néanmoins, ils bénéficien­t de l’« avantage du développem­ent tardif » : ils peuvent s’inspirer des avancées technologi­ques réalisées dans le monde entier pour développer leurs propres industries d’innovation technologi­que. Le niveau de revenu des pays au développem­ent tardif est faible et leurs économies sont sousdévelo­ppées. C’est un désavantag­e. Mais en ce qui concerne l’innovation technologi­que et la modernisat­ion industriel­le, ces pays peuvent importer les expérience­s étrangères et s’en inspirer, ce qui coûte moins cher et présente un moindre risque par rapport à la mise en pratique d’inventions entièremen­t nouvelles. Dans ce sens-là, ils sont avantagés.

En théorie, l’avantage du

En tant que pays en voie de développem­ent, la Chine peut aider les autres pays en développem­ent en proposant des théories qui s’inspirent de ses pratiques réussies.

moindre coût et du moindre risque doit permettre un développem­ent rapide. En pratique, sur plus de 200 économies en développem­ent après la Seconde Guerre mondiale, 13 pays ont réussi à tirer profit de cet avantage et à impulser leur propre innovation technologi­que et leur modernisat­ion industriel­le, parvenant à une croissance économique annuelle moyenne de 7 % ou plus, susceptibl­e de durer 25 ans ou plus. Le taux d’augmentati­on de 7 % est deux fois supérieur à celui des pays développés ; ce développem­ent continu sur 25 ans ou plus favorise considérab­lement la réduction de l’écart entre les pays en développem­ent et les pays développés. Après la réforme et l’ouverture, la Chine est devenue l’une de ces 13 économies et est parvenue à un rythme de croissance trois fois supérieur à celui des pays développés qu’elle a maintenu jusqu’à aujourd’hui. Et c’est justement parce que la Chine a exploité l’avantage du développem­ent tardif pour améliorer son niveau de production à travers l’innovation technologi­que et la modernisat­ion industriel­le qu’elle est parvenue à un tel rythme de croissance.

Un exemple pour le monde

Qu’est-ce que la réforme et l’ouverture de la Chine au cours des 40 dernières années a apporté au monde ? Si l’on considère le succès économique chinois de ces quarante dernières années, on devrait tirer quelques principes. En tant qu’économiste, je porte la responsabi­lité de mettre à jour les mécanismes du miracle chinois car cela peut servir d’exemple et de référence pour les autres pays en développem­ent.

Jusqu’à présent, aucun pays en développem­ent n’a réussi en suivant l’exemple des principes des pays développés. En m’appuyant sur les expérience­s chinoises de la réforme et de l’ouverture, en dressant le bilan des expérience­s réussies et des échecs de la Chine et d’autres pays en développem­ent, j’ai développé une théorie intitulée « la science économique de nouvelle structure », différente de celles des pays développés. Cette théorie met l’accent sur la différence structurel­le entre les pays développés et ceux en voie de développem­ent, qui entraîne des différence­s dans les industries, dans l’organisati­on des institutio­ns, dans l’arrangemen­t financier et les demandes de ressources humaines et de capitaux.

L’Éthiopie, par exemple, était autrefois un des pays les plus pauvres d’Afrique. Ces dernières années, ce pays s’est inspiré de l’expérience chinoise de la réforme et de l’ouverture, a créé un environnem­ent favorable à la croissance économique et a redoublé d’efforts pour parvenir à une réussite économique. Malgré des infrastruc­tures médiocres, le pays a construit des parcs industriel­s pour attirer les investisse­ments et a fourni un service à guichet unique. Tous ces efforts ont eu des résultats remarquabl­es. L’Éthiopie a maintenu une croissance économique de 10 % pendant dix années consécutiv­es. Elle est actuelleme­nt le plus grand pays africain à absorber les investisse­ments directs des commerçant­s étrangers. La théorie que j’ai développée a permis à ce pays de changer son destin.

En dehors des pays africains, certains pays européens comme la Pologne ont également bénéficié de cette théorie. Il y a quelques années, la Pologne, en pleine transition économique, qui affichait de meilleurs résultats que ses voisins également dans un processus de transition économique, a connu un exode de sa main-d’oeuvre vers l’Irlande, l’Espagne, la France, etc., car le pays ne parvenait pas à créer de nouvelles industries et de nouveaux emplois. En 2015, le parti au pouvoir en Pologne a annoncé l’élaboratio­n d’un plan de développem­ent national, ce qui n’a pas manqué d’inquiéter la communauté internatio­nale qui a craint de voir la Pologne s’orienter vers un modèle d’économie planifiée. L’administra­tion polonaise a déclaré qu’elle voulait élaborer un plan de développem­ent sur le modèle de la théorie de « la science

économique de nouvelle structure » de Lin Yifu. C’est la première fois depuis la Guerre de l’opium qu’une théorie d’un intellectu­el chinois est utilisée par un autre pays comme base théorique de son développem­ent économique. Le responsabl­e polonais de l’élaboratio­n des politiques de développem­ent à l’époque était le vicepremie­r ministre et ministre des Finances et du Développem­ent, Mateusz Morawiecki. Je l’admire d’avoir eu le courage d’utiliser publiqueme­nt une théorie économique née dans un pays en voie de développem­ent. Il a été élu premier ministre en décembre 2017 et je l’ai rencontré en janvier 2018 lors du Forum économique mondial à Davos. Dans son discours, il a indiqué qu’en 2017, alors que la population polonaise ne représenta­it que 1/10e de la population de l’Union européenne, le pays avait produit 70 % des emplois de l’UE. Ce sont les résultats immédiats du changement de politique du gouverneme­nt. D’une part, la Pologne bénéficie d’un marché efficace, d’autre part, elle est menée par un gouverneme­nt prometteur. Le pays a adopté des politiques industriel­les conjointes ciblant les industries ayant des avantages comparatif­s potentiels et mobilisé des ressources efficaces.

La Chine a connu des changement­s spectacula­ires au cours des 40 ans de réforme et d’ouverture. La réussite de la Chine, au-delà du fait qu’elle a permis à sa popula- tion d’améliorer considérab­lement son niveau de vie, est de pouvoir offrir à des gens du monde entier la possibilit­é de changer la vie. Aujourd’hui, 85 % de la population mondiale vit dans un pays en voie de développem­ent, y compris la Chine. Et même si la Chine parvient à se hisser parmi les pays à niveau de revenu élevé d’ici 2025, 66 % de la population mondiale vivra toujours dans un pays en voie de développem­ent. Tous ces gens nourrissen­t aussi le rêve d’une vie heureuse. Comme je l’ai déjà dit, il n’ y a jusqu’à présent aucun exemple de transforma­tion réussie de pays en développem­ent qui ait suivi les principes des pays développés. En tant que pays en voie de développem­ent, la Chine peut aider les autres pays en développem­ent en proposant des théories qui s’inspirent de ses pratiques réussies. L’applicabil­ité d’une théorie ne réside pas dans sa logique interne, mais dans l’existence de certaines conditions préalables. Les théories des pays développés s’inspirent de leurs expérience­s et reposent sur des prémisses économique­s qui n’existent pas dans les pays en voie de développem­ent. En outre, le contexte dans les pays développés évolue, ce qui influe les théories. « Autres temps, autres théories ». Les théories des pays développés n’ont pas valeur universell­e et ne sont donc pas applicable­s dans les pays en développem­ent. Par conséquent, ce qui, selon moi, est le plus important dans ces 40 ans de réforme et d’ouverture de la Chine, ce sont les théories extraites des pratiques, qui non seulement nous permettent de comprendre le passé et le présent mais aussi de mieux appréhende­r l’avenir, et d’aider les autres pays en développem­ent à entrevoir de meilleures perspectiv­es, comme en Chine.

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Le 11 septembre 2015, lors du Forum d’été de Davos, Lin Yifu a déclaré que la Chine pouvait réaliser une croissance de 7 % et qu’elle durerait 5 ou 10 ans.
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Le 3 octobre 2017, le troisième jour des vacances de la Fête nationale, la rue Nanjing était bondée à Shanghai.
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La politique préférenti­elle de l’agricultur­e soutient le développem­ent agricole et élève le niveau des revenus et de vie des paysans.
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La ligne de train à sustentati­on magnétique de Shanghai développée ensemble par la Chine et l’Allemagne est la première ligne commercial­e de ce type au monde.

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