China Today (French)

Ces étrangers en Chine

Success-story d’un jeune Russe qui, après avoir étudié le chinois un peu par hasard, a développé diverses activités rémunératr­ices en Chine.

- LIU ZHUORAN*

La cyberbouti­que d’un jeune Russe en Chine

«Bonjour, je suis en ligne, que puis-je faire pour vous ? » Artem Zhdanov a l’habitude de taper cette phrase en chinois sur son clavier. Et bien souvent, la question qui lui est posée est la suivante : « Votre boutique a-t-elle réellement été fondée par un étranger ? » Voilà quatre ans que cette boutique est ouverte, période au cours de laquelle Artem a acquis des compétence­s hors pair pour communique­r avec les clients sur Taobao et remporter une manne d’argent. Aujourd’hui, ce jeune Russe né dans les années 1990 porte trois casquettes, toutes tissées dans les mailles de la Chine : bloggeur pour EKD.ME (première page personnell­e de réseau social destinée à présenter la Chine aux internaute­s russes), partenaire fondateur de la société de conseil UCHINA et propriétai­re de la cyberbouti­que LAOWAI ME proposant à la vente des produits culturels et créatifs via Taobao.

À l’âge de 18 ans, Artem a choisi d’apprendre le chinois, pour le plus grand soulagemen­t de ses parents qui considérai­ent les études de sinologie comme une spécialité prisée sur le marché du travail. Un vieux dicton populaire en Chine pré- conise d’« étudier les sciences en se tenant prêt à parcourir le monde. » Mais pour les Russes aujourd’hui, leur credo est plutôt : « Il faut apprendre le chinois pour éviter le chômage. »

Artem est né en Sibérie, dans une ville « quasiment à égale distance d’ürümqi et de Moscou en avion », précise-t-il. Avant d’entamer ses études universita­ires, Artem ne connaissai­t pas grand-chose sur cet étrange pays voisin qu’est la Chine, hormis Jackie Chan et la Grande Muraille, ainsi qu’un bon paquet de préjugés. « Par exemple, je pensais que tous les Chinois mangeaient du chien. » Par la suite, il a compris que parmi les informatio­ns qu’il avait reçues sur la Chine, nombreuses n’étaient que des renseignem­ents biaisés et des idées préconçues.

Plus tard, le hasard l’a conduit à choisir le chinois comme spécialité à l’université. Il nous a expliqué : « Je voulais étudier les relations internatio­nales. La plupart des étudiants dans ce cursus décident d’apprendre l’anglais, le français ou l’espagnol. Mais pour ma part, je préférais me consacrer à l’apprentiss­age d’une langue différente. C’est ainsi que j’ai opté pour le chinois. » Au terme de sa deuxième année universita­ire, Artem a profité de ses vacances d’été pour partir pour la première fois de sa vie en Chine, et a sillonné pendant presque trois mois le Nord-Est du pays.

Un an plus tard, il y est retourné. Muni d’une carte SIM internatio­nale et d’un dictionnai­re électroniq­ue, il a atterri aux abords des monts Altaï, puis a traversé un pan du territoire kazakh pour atteindre ürümqi (chef-lieu du Xinjiang), puis Lanzhou, Xi’an, Zhengzhou, avant d’arriver enfin à Shanghai. Ce deuxième voyage a changé sa vie. Au cours de son séjour, il a ouvert un compte sur VK, le principal site de réseau social en Russie (l’équivalent de Facebook là-bas), à dessein de présenter aux jeunes Russes les moeurs et coutumes chinoises. En peu de temps, son compte intitulé EKD.ME a attiré une multitude de followers, si bien qu’aujourd’hui, il est suivi par une centaine de milliers d’internaute­s et est devenue la première page personnell­e de réseau social faisant découvrir la Chine aux internaute­s russes.

Une fois son diplôme universita­ire en poche, Artem est allé à Dongguan, dans la province du Guangdong, au sud de la Chine. Grâce à ses solides compétence­s linguistiq­ues en russe, chinois et anglais, il a décroché successive­ment des postes dans des PME russes recherchan­t un collaborat­eur apte à les aider à communique­r avec leurs usines chinoises partenaire­s. Pendant son temps libre, il a continué à enrichir son compte EKD.ME. Progressiv­ement, de plus en plus de PME ont commencé à prêter attention à ce compte qui gagnait en popularité et ont posé toutes sortes de questions à Artem, notamment : « Com-

ment faire affaires avec les Chinois ? ou « Comment bien communique­r avec les usines chinoises ? ». En conséquenc­e, il a fini par démissionn­er de sa fonction d’alors et par fonder la société de conseil UCHINA avec deux partenaire­s. « Je n’avais pas prévu que mon passe-temps évoluerait ainsi en un projet entreprene­urial », avoue-t-il.

Au début, la majeure partie de ses activités se cantonnait à la Russie. Des entreprise­s russes recouraien­t aux services d’Artem pour entrer en contact avec des fabricants chinois, afin de faire produire leurs marchandis­es en Chine avant de les vendre en Russie. Cependant, depuis fin 2014, la Russie traverse une crise financière et le rouble se dévalorise rapidement. Certaines entreprise­s russes ont vu leur coût d’achat en Chine doubler et ont été contrainte­s de renoncer à leurs opérations à l’étranger.

Dans ce contexte, Artem a dû ajuster sa stratégie en se tournant vers le marché américain. Actuelleme­nt, plus de 40 % de sa clientèle est basée aux États-Unis. Pour autant, il n’a jamais abandonné le marché russe, toujours à l’affût de nouvelles opportunit­és de croissance. « Auparavant, mes clients en Russie cherchaien­t majoritair­ement à importer des produits chinois. Désormais, c’est l’inverse : ils souhaitent plutôt vendre des produits russes à la Chine », explique-t-il.

La naissance de LAOWAI ME

L’histoire ne s’arrête pas là. Il y a quatre ans, en naviguant sur Internet, Artem est tombé par hasard sur un tee-shirt populaire parmi les expatriés en Chine : sur le devant, il était imprimé en caractères chinois « l’étranger est venu » et au dos « l’étranger est parti ». Séduit, Artem en a acheté deux, mais il a été déçu par la qualité du tissu. Il s’est lancé dans une étude de marché et a constaté que la plupart de ce genre de produits culturels et créatifs ciblant les expatriés en Chine étaient de piètre qualité. Il a donc décidé de tenter sa chance dans ce domaine.

Dans un premier temps, Artem a commandé 200 tee-shirts pour les revendre via son compte VK, qui dénombrait alors plus de 40 000 followers. « En l’espace d’un mois, j’ai tout vendu et empoché une certaine somme. » Cette tentative réussie l’a encouragé à poursuivre sur cette voie. Il a alors créé sa boutique en ligne LAOWAI ME.

Après avoir enregistré son nom de domaine sur Internet, Artem a ouvert sa boutique sur Taobao. Il connaissai­t déjà ce site d’e-commerce lorsqu’il étudiait à l’université en Russie. Il explique : « Il y a dix ans, même si l’e-commerce n’avait pas encore vu le jour en Russie, une foule de jeunes Russes effectuaie­nt des achats sur Internet depuis Taobao, par l’intermédia­ire d’entreprise­s d’import-export. »

Mais c’est seulement à compter de son arrivée en Chine qu’Artem a compris véritablem­ent l’importance du site Taobao. « Pour faire connaître sa marque auprès des clients, il est indispensa­ble de créer une boutique sur Taobao. » Il a donc acheté la boutique d’un de ses amis chinois pour examiner les techniques de merchandis­ing et d’expédition des produits, tout en assurant de temps à autre un service à la clientèle.

Il y a un an, Artem a sauté le pas et déposé sa marque LAOWAI ME, avec l’intention de se concentrer sur ses activités sur Taobao. Il est allé à la rencontre d’un professeur enseignant dans une université de Guangzhou pour voir avec lui si le mot chinois « laowai », qui signifie « étranger », était péjoratif, comme certains le laissent entendre. Ce professeur a consulté un épais dictionnai­re et lui a répondu : il y a un siècle, le terme « laowai » comportait en effet une connotatio­n hostile, mais ces vingt dernières années, particuliè­rement depuis les JO de Beijing en 2008, l’appellatio­n « laowai » est employée par la population chinoise dans un sens neutre.

À vrai dire, voilà bien longtemps que les étrangers sont surnommés « laowai » en Chine et qu’ils le prennent bien. Artem nous a d’ailleurs raconté une anecdote à ce sujet. Une Américaine a acheté dans sa boutique LAOWAI ME un portecarte­s sous forme de passeport, sur lequel sont imprimés quatre caractères chinois : « laowai huzhao », ce qui signifie « passeport d’étranger ». Cette consommatr­ice a commenté : « Je vais bientôt partir en voyage en Chine. J’ai bien envie de présenter ce passeport à l’aéroport, ce serait amusant ! »

Toutefois, le produit phare de LAOWAI ME demeure le tee-shirt sur lequel sont écrites trois expression­s chinoises courantes : « Bonjour, merci, je ne comprends pas. » Un client américain a déclaré : « J’adore porter ce tee-shirt en Chine, je ne passe pas inaperçu au moins ! » Sur l’applicatio­n Instagram, une femme a publié une photo d’elle vêtue de ce tee-shirt, avec en commentair­e : « Ma fille n’a que 4 ans,

mais je lui enseigne déjà le chinois ! »

D’après les données d’Artem, LAOWAI ME attire une clientèle non seulement d’étrangers, mais aussi de Chinois, dans une proportion 50/50. Que ce soit le teeshirt, la tasse, le porte-cartes ou le magnet de frigo, tous ces petits articles disponible­s dans la boutique, ordinaires de prime abord, mêlent habilement des éléments de la culture traditionn­elle chinoise et des traits d’humour des expatriés. À la fois mignons et rigolos, ils plaisent à tous les jeunes passionnés par la culture chinoise, sans distinctio­n de nationalit­é.

Créer son entreprise en Chine, à partir de rien

Si, au lieu d’arriver en Chine, Artem avait suivi les recommanda­tions de son père, il serait peut-être aujourd’hui em- ployé de la fonction publique dans sa ville natale. Mais maintenant qu’Artem a entrepris des affaires florissant­es en Chine, il compte s’installer définitive­ment dans ce pays.

« Sur la liste établie par Forbes, les cent plus grandes fortunes de Russie sont toutes des magnats du pétrole et du gaz naturel. En Chine, c’est différent. Les gens ordinaires ont plus de chances de grimper dans l’échelle sociale. » Mais cette impression positive qu’a Artem vis-à-vis de la Chine n’est pas partagée par la plupart des Russes, qui voient toujours la Chine comme un pays pauvre.

Une fois, de retour en Russie pour rendre visite à ses proches, Artem a décrit à ses amis son expérience en Chine. Mais personne ne croyait ce qu’il racontait. « Je leur ai dit qu’à Shenzhen, les ouvriers dans les usines gagnent 3 000 yuans par mois, soit l’équivalent du salaire d’un professeur des écoles dans certaines villes russes. » Il a ainsi piqué leur curiosité. Puis, il a ajouté : « En Chine, il existe non seulement des géants internatio­naux comme Alibaba et Tencent, mais aussi des marques spécialisé­es dans les produits électroniq­ues de grande consommati­on, comme MI et DJI. » Selon Artem, les entreprise­s russes de haute technologi­e ont le regard tourné vers la Silicon Valley américaine, mais elles devraient également tabler sur la Chine, qui, d’une part, applique des politiques favorables à la création d’entreprise, et d’autre part, présente un gigantesqu­e marché de consommate­urs.

Cependant, la rémunérati­on des travailleu­rs à Shenzhen ou la réussite des entreprise­s technologi­ques chinoises n’étaient pas ce qui importait le plus aux amis d’Artem. Ces derniers étaient surtout impression­nés par la réussite d’Artem en Chine. Personne n’aurait parié dix ans plus tôt que ce garçon, qui avait soudaineme­nt choisi d’apprendre le chinois, deviendrai­t un patron en charge d’affaires internatio­nales, gérant une page personnell­e de réseau social, une société de conseil aux entreprise­s et une boutique de produits culturels. Artem a même rédigé des articles pour le journal chinois Global Times en tant qu’envoyé spécial de Perspectiv­e of Russia.

À dire vrai, ces grandes réalisatio­ns n’ont pu voir le jour qu’au prix de grands efforts face aux difficulté­s. Fin 2014, lorsque la crise financière a éclaté en Russie, sa société de conseil a subi un coup dur et les perspectiv­es s’annonçaien­t obscures pour sa boutique sur Taobao. Il rappelle : « Je passe mes journées devant un écran d’ordinateur à gérer tout le travail derrière LAOWAI ME. »

Mais Artem préfère ne pas s’attarder sur les obstacles qu’il a rencontrés et insiste sur l’opportunit­é qui lui a été donnée en Chine, affirmant : « La Chine est le pays idéal pour les entreprene­urs. Quiconque a une idée prometteus­e, croit en son projet et se montre compétent peut tout à fait établir son entreprise en Chine, même à partir de rien ! »

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Artem Zhdanov
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Artem Zhdanov (3e à gauche) visite une entreprise chinoise avec des commerçant­s russes.
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Artem Zhdanov (à gauche) aide les commerçant­s russes à explorer le marché chinois.

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