China Today (French)

L’esprit du maître artisan

La tapisserie est un art ancestral qui s’est diffusé aux quatre coins du monde. Riches et somptueuse­s, ces oeuvres textiles témoignent d’une époque et sont les gardiennes d’une mémoire toujours vivante en Chine.

- HU YUE, membre de la rédaction

En début d’année, à l’occasion d’une visite en Grande-Bretagne, le président Emmanuel Macron a promis de prêter la Tapisserie de Bayeux, une première depuis 950 ans. En Europe, les oeuvres textiles représente­nt souvent la vie de la noblesse. La Chine n’est pas en reste avec une histoire de 2 000 ans dans la fabricatio­n de tapis, le pays est même l’un des berceaux de cet art ancestral. Au cours des dynasties des Yuan, Ming et Qing, le palais impérial a créé une institutio­n spéciale pour la fabricatio­n des tapis impériaux qui sont devenus ainsi de plus en plus prisés. Les techniques de fabricatio­n du tapis impérial ont ensuite été diffusées parmi les peuples puis transmises jusqu’à aujourd’hui.

Une longue histoire

À partir de la dynastie des Yuan (1271-1368), le tapis de la Contrée occidental­e a été introduit dans l’Est de la Chine, séduisant les rois et les nobles. Mais pour le faire entrer dans la Cité impériale, il a fallu adapter le tapis à la demande impériale. C’est ainsi que la manufactur­e de tissage impérial a été établie dans la Grande Capitale des Yuan. Au cours des dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911), le départemen­t de fabricatio­n fut créé. Pendant le règne de l’empereur Qianlong (1736-1795), la fabricatio­n de tapis impériaux connaît une belle époque avec des techniques de tissage progressiv­ement assimilées par les peuples et de riches dignitaire­s qui les font faire sur commande comme témoignage de leurs classes sociales et de leurs préférence­s. Le tapis devient un objet à la mode.

Après la fondation de la République populaire de Chine en 1949, la fabricatio­n de tapis impériaux continue de se développer et devient une industrie d’exportatio­n de la Chine.

Âgée de 63 ans, Hu Jianjuan a appris la peinture chinoise traditionn­elle dès son enfance. Grâce à cette spécialité, elle est entrée dans la manufactur­e de tapisserie de Tianjin, après avoir obtenu son diplôme de lycée, pour s’engager dans l’art du motif pour tapis. Pour elle, « la tapisserie impériale chinoise possède une profonde culture. Au début, je n’en avais pas conscience, mais au fur et à mesure, j’ai éprouvé une vraie attirance envers ce patrimoine culturel. »

Beaucoup de gens comme Mme Hu pensaient seulement trouver un bon emploi, sans se douter que la fabricatio­n de tapisserie­s relève aussi d’une responsabi­lité, celle de la transmissi­on culturelle.

Une époque difficile

Wang Guoying, 50 ans, appartient à la 5e génération et est l’héritière des fabricants de tapisserie impériale chinoise. En 1986, elle sort diplômée du collège technique et travaille ensuite dans la 5e manufactur­e de Beijing. À cette époque, elle s’intéresse aux techniques de tissage de la tapisserie impériale et décide d’entrer dans l’ « atelier des nouveaux produits » pour faire des recherches sur ces techniques. Par rapport aux travaux de reproducti­on dans les autres ateliers, Mme Wang est alors satisfaite de son poste qui lui autorise plus d’innovation, un goût qu’elle a gardé encore aujourd’hui.

Le tissage de tapis n’est pas compliqué en soi, il se divise en trois parties. La première est la préparatio­n, ensuite vient le tissage et enfin l’embellisse­ment. La préparatio­n comprend la conception, l’amplificat­ion du dessin, la préparatio­n des matières, le filage et la coloration. L’embellisse­ment comprend l’aplatissem­ent, le cisailleme­nt et le finissage. Le tissage dure environ un an. C’est l’étape la plus importante et celle qui exige

beaucoup de temps et de patience. La technique principale du tissage de tapisserie sont les noeuds croisés, qui décomposen­t le dessin du tapis impérial jusqu’à produire, comme par magie, un splendide tapis.

Avec plus de 30 ans d’expérience, Wang Guoying maîtrise bien cette technique. Mais pour elle, cela n’a pas été un long fleuve tranquille. Wang Guoying a été la témoin directe de la chute et de la renaissanc­e du patrimoine de la tapisserie impériale chinoise.

Pendant les années 1980, la fabricatio­n de tapisserie en Chine a connu une époque faste. Par exemple, l’entreprise de tapisserie de Beijing possédait 11 manufactur­es et branches avec plus de 5 000 emplois. La 5e manufactur­e de tapisserie de Beijing, où Wang Guoying travaillai­t, était en fait la plus petite et employait plusieurs centaines de personnes, exportant même des tapisserie­s à l’étranger.

Dans les années 1990, en suivant la marée de l’économie de marché, la technique de production s’est progressiv­ement transformé­e avec l’introducti­on des machines.

La 5e manufactur­e de tapisserie de Beijing a essuyé une chute de sa production et une perte de talents vertigineu­se. Dans l’atelier des nouveaux produits, il ne restait plus que deux employés au lieu d’une vingtaine à la belle époque. Wang Guoying était désespérée de ne pas avoir de successeur. Le patrimoine culturel de la tapisserie impériale chinoise, qu’elle chérissait tant, était sur le point de mourir.

La renaissanc­e de la tapisserie chinoise

Une lueur d’espoir apparaît pourtant au début du XXIe siècle. Avec le soutien du gouverneme­nt, Wang Guoying et ses collègues commencent à faire des recherches sur une technique disparu de tissage : la tapisserie au fil d’or.

« La tapisserie au fil d’or » est le summum de la qualité en termes de tapisserie impériale chinoise. Les motifs élégants des tapis à double face sont tissés au fil d’or. Mais impossible alors de trouver un bon exemple.

Wang Guoying et son maître ont alors visité le musée du Palais impérial avec la permission d’utiliser un microscope pour étudier la structure des tissus. Après plusieurs essais sur deux ans, ils ont fabriqué, en 2005, une tapisserie au fil d’or comparable à celle du Palais impérial. En 2008, la technique du tissage de tapisserie impériale de Chine a été listée au « Programme de protection du patrimoine culturel immatériel au niveau national ». Wang Guoying est donc devenue l’héritière à Beijing de ce patrimoine.

Dans le même temps, la 5e manufactur­e de tapisserie de Beijing a été achetée par l’entreprise du développem­ent culturel Huafang de Beijing et a changé de nom, devenant l’entreprise Huafang de tapisserie de Beijing. Depuis 2015, elle a commencé à recruter de nouveaux employés. Selon Wang Guoying, il s’agit là d’une véritable renaissanc­e.

« Le tissage de tapisserie impériale chinoise est un travail difficile et fatigant. Les gestes répétitifs exigés par le travail durant de longues heures sont vraiment rébarbatif­s. Il faut au moins six mois pour réaliser une pièce. » Selon Wang Guoying, il faut être amoureux de ce patrimoine, et posséder une grande patience, pour persévérer dans ce métier. « Je crois que les artisans du patrimoine traditionn­el chinois ont besoin de pouvoir se concentrer sur une seule chose, et c’est précisémen­t l’esprit du maître artisan. »

Actuelleme­nt, sept employés de l’entreprise Huafang ont passé l’examen d’entrée de l’Institut de technologi­e de mode à Beijing afin de recevoir une éducation universita­ire sur l’esthétique. « Toute la Chine respecte l’esprit du maître artisan, et pour nous, il faut aussi faire preuve de déterminat­ion pour être le maître de ce patrimoine. » À 50 ans, Wang Guoying a encore assez de temps pour réaliser sa vision du tissage.

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Wang Guoying tisse un tapis impérial.
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La fabricatio­n de tapis impérial au fil d’or représente le plus haut niveau de cet art manuel.

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