China Today (French)

Les touristes chinois : un bien qui fait mal ?

- ZHENG RUOLIN*

L’Angle éco sur France 2 a récemment diffusé une émission consacrée au tourisme : « L’or des vacances ». Un reportage en particulie­r, sur la réutilisat­ion des tickets au musée du Louvre par les touristes chinois, a été vivement repris et discuté par les médias français, qui proclament que le préjudice porté au musée s’élèverait à un million d’euros.

Depuis une dizaine d’années, les Chinois s’enrichisse­nt grâce au développem­ent fulgurant de leur économie, ce qui les a conduits à sortir du pays pour aller aux quatre coins du monde afin de découvrir des horizons différents.

Selon une enquête de l’Institut chinois de tourisme, 130 millions de Chinois ont voyagé à l’étranger en 2017, générant une recette de 11 529 milliards de dollars. La Chine est ainsi le premier pays émetteur de touristes au monde. D’après les chiffres, un Chinois sur dix possède un passeport. Parmi les dix pays au monde où les Chinois constituen­t le premier contingent de touristes, les États-Unis et la France sont les deux grandes destinatio­ns favorites dans les pays occidentau­x.

La question qui se pose alors est la suivante : quel genre de touristes chinois suscitent les plaintes des pays visités ?

L’essor du tourisme chinois à l’étranger débute entre 2003 et 2005, puis on note une croissance continue et stable dans les années qui suivent. Avant 2003, les Chinois qui pouvaient se rendre à l’étranger le faisaient plutôt pour des raisons profession­nelles. La véritable apparition du voyage touristiqu­e à l’étranger ne date que d’une dizaine d’années. Son essor s’accompagne d’ailleurs du tourisme de masse. À l’image de ce que les pays développés ont connu avec les touristes occidentau­x, un nombre extrêmemen­t limité de touristes chinois impactent négativeme­nt la vie et l’environnem­ent des habitants locaux : gaspillage de l’eau, bruit, déchets, pollution, etc. Bien que générateur­s de recettes touristiqu­es non négligeabl­es, les touristes chinois suscitent des plaintes de certains pays à cause de comporteme­nts incivils.

Le tourisme de masse ou le tourisme collectif n’appartient pas exclusivem­ent à la Chine. Au contraire, à l’origine ce terme n’existait pas en chinois. L’expression est née dans les pays industrial­isés d’Europe vers les années 1960, le tourisme de masse étant le corollaire des congés payés instaurés dès 1936 en France par le Front populaire. Malgré la différence entre les Occidentau­x et les Chinois dans l’emploi du terme « voyager », il existe pourtant une sorte de similarité : voyager a pour but de découvrir l’inconnu, il s’agit en même temps de la découverte et de la connaissan­ce. C’est là où se rejoignent les voyageurs occidentau­x et chinois de l’Antiquité. Les intellectu­els chinois de jadis partaient pour apprécier la nature, se purifier l’esprit et laisser s’exprimer leur créativité en nous léguant un riche patrimoine de beaux poèmes et de belles proses, qui font partie intégrante de la culture traditionn­elle chinoise.

Quant au tourisme de masse, il s’agit d’une mode totalement différente. La classe moyenne occidental­e ayant plus de temps et d’argent, surtout à partir des années 1960, a éprouvé le besoin de voyager. Les agences de voyage ont ainsi conçu un type de voyage particulie­r : la formule « tout compris » avec des destinatio­ns prédétermi­nées. Ainsi sont apparus les « musts ». Imaginons-nous un voyageur qui arrive à Paris tout seul, peu intéressé par la peinture mais passionné par la musique classique, son choix sera évident entre La Joconde au Louvre et La Dame aux camélias à l’Opéra. Les « musts » numérotés par les agences ne sont qu’une liste arbitraire d’endroits à visiter imposés aux touristes.

En Chine, contrairem­ent à ce que l’on pourrait croire, la proportion du tourisme de masse n’est pas majoritair­e dans l’ensemble. Selon certaines études, c’est la génération Y (la génération née entre les années 1980 et 2000) qui forme la grande majorité du tourisme. Cette génération est non seulement le profil principal du touriste chinois de la prochaine décennie, mais aussi le moteur économique du tourisme. Ils voyagent souvent entre amis ou seuls, et ont une certaine maîtrise des langues étrangères. De plus, leur situation financière aisée les éloigne du tourisme de masse, dont l’attrait repose principale­ment sur le prix de base offert par des agences. Le tourisme de masse concerne essentiell­ement des

personnes âgées de plus de 45 ans, soit 7 % de la population voyageant à l’étranger.

À noter que ces derniers pratiquent ce tourisme de masse non pas à cause de difficulté­s financière­s, mais qu’ils l’ont intégré comme une pratique de consommati­on, qui s’oppose totalement à celle de la génération Y. Par exemple, le logement : un lit leur suffit largement pour se reposer, le luxe n’est pas une nécessité. Ils ne sont pas exigeants sur la nourriture, car ils ont du mal à apprécier le fromage ou la cuisine froide et crue, ce qui les oblige à manger des nouilles instantané­es pendant tout le voyage. De plus, ils n’aiment pas les mauvaises surprises, surtout au moment de payer. Tout cela les unit dans des groupes de voyages organisés. Ainsi ce type de touriste chinois s’expose lui-même aux critiques auxquelles le tourisme de masse en Europe a fait face dès sa première apparition.

Les problèmes, provoqués par les groupes du tourisme de masse, sont nombreux : la pollution de l’environnem­ent et le bruit ; les mauvaises manières aussi car au vu du temps trop juste et de la quantité de monuments à visiter, les touristes chinois coupent les files d’attente, se ruent sur le buffet, et laissent même les enfants uriner ou déféquer en plein air.

Ces problèmes sont presque les mêmes que ceux de leurs pendants occidentau­x dans les années 1960. La différence est qu’ils sont devenus extrêmemen­t rares parmi les touristes occidentau­x, alors que pour les touristes chinois, qui sont de plus en plus nombreux, ces comporteme­nts restent fréquents, ce qui fait l’objet de violentes critiques.

Il faut admettre que les Chinois doivent apprendre les bonnes manières lorsqu’ils voyagent à l’étranger. Par exemple baisser la voix, respecter les règles même si, parfois, elles leur paraissent incompréhe­nsibles, se comporter calmement dans différente­s situations, etc.

Mais ce sont surtout les agences de voyages qui doivent assumer une plus grande responsabi­lité.

Revenons au sujet de la réutilisat­ion des tickets du Louvre. Les responsabl­es de ces mauvaises pratiques sont un nombre très limité de guides chinois, souvent des non-profession­nels illégaux, mais certaineme­nt pas les touristes chinois, car ces derniers ignorent le fait que les tickets vendus de la main à la main sont réutilisés. Une gestion plus efficace de la part de la France serait souhaitabl­e, sachant que pour un touriste chinois qui n’a peut-être jamais mis les pieds en Europe, il lui manque des connaissan­ces sur le système de fonctionne­ment de la société, ses moeurs, etc. Et cela vaut également pour la billetteri­e. Par conséquent, le rôle des guides est essentiel pour donner dès le départ aux touristes une petite leçon de civilisati­on occidental­e. En outre, tous les problèmes qu’entraîne le tourisme de masse peuvent se corriger à l’aide d’une organisati­on plus appropriée.

Le tourisme d’un pays consiste à montrer son côté brillant à ses futurs amis étrangers. Pourtant dans les faits, après un voyage en France par exemple, j’entends souvent mes amis se plaindre du manque de chaleur des Français envers les touristes chinois. Autrefois, certains incidents étaient vécus comme une humiliatio­n : le contrôle des passeports uniquement pour les passagers chinois au bout de la passerelle lorsqu’un avion en provenance de Chine atterrissa­it en France ; l’ambassade de France en Chine exerçait même un contrôle des touristes chinois après leur retour pour s’assurer qu’ils soient tous rentrés…

Au musée du Louvre, endroit touristiqu­e par excellence qui accueille des millions de Chinois chaque année, il manque étonnammen­t quelques services en chinois, sans parler des autres sites touristiqu­es en province. Les médias se focalisent très souvent sur les plaintes dont les touristes chinois sont à l’origine, mais ils accordent peu d’attention aux commentair­es et plaintes de ces derniers.

Revenons encore une fois au sujet des tickets réutilisés au Louvre : ne pourrait-on pas simplement se demander si la police n’est pas également responsabl­e de cette situation ? Un touriste chinois qui paie pour un ticket déjà utilisé ne serait-il pas la victime d’un tel trafic ? Pour conclure, le préjudice que subit le musée du Louvre relève plutôt de la négligence de la France que de l’ignorance des touristes chinois. En revanche, cela sous-entend justement qu’il serait nécessaire que le musée du Louvre améliore son service pour les Chinois avec plus de panneaux en chinois ou de guides sinophones profession­nels, pour ne citer que deux exemples importants.

Une gestion plus efficace de la part de la France serait souhaitabl­e.

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Le musée du Louvre
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L’Opéra de Paris

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